Valérie Tauleigne est à la tête d’un exceptionnel atelier de reliure à Corconne, dans le Gard. Un métier qui date du 1er siècle se retrouve magnifié près de chez nous, rencontre.


 

Selon les encyclopédies, la reliure artisanale, au sens propre du terme, consiste à assembler, à relier entre elles les pages d’un livre pour les mettre à l’abri des marques du temps en les protégeant entre deux cartons recouverts souvent de toile ou de cuir. Il faut savoir que toutes les étapes de la reliure sont réalisées à la main à partir de matériaux de qualité dans le cadre d’un savoir-faire et de traditions anciennes, de techniques rigoureuses et de rituels inchangés depuis des siècles. Un lieu magique, donc, où l’on restaure de précieux ouvrages, précieux parfois pour leur contenu, mais aussi pour les liens affectifs qui les lient à leurs possesseurs. Mais ici on ne fait pas que restaurer, on donne aussi jour à des créations originales et on met en forme des recueils administratifs. Ce qui nous a intrigué, c’est le nom de cet atelier :  » L’Œil de Chat »…

 

Valérie Tauleigne, quel est le rapport entre votre atelier et ces animaux ?

L’Œil de Chat, dont j’ai pris le nom, est celui d’un papier marbré, fait à la main, que j’adore et que j’utilise en couverture pour la reliure. A l’origine, c’était une goutte de fiel de bœuf, versée dans la peinture, par les marbreuses et les marbreurs, qui créait cet effet. Aucun rapport direct avec les chats, donc, rassurez-vous La technique de la marbrure consiste à faire flotter des couleurs à la surface d’un liquide , de les organiser à l’aide de peignes ou d’une pointe afin de créer un motif. L’impression se fait ensuite par transfert direct sur une feuille de papier délicatement posée sur la surface liquide. (cf./ papiermarbre.fr)

 

Comment en êtes vous arrivée à ce savoir-faire si précis ?

Tout commence officiellement en 2004, quand j’ai repris l’atelier de reliure des sœurs de Nevers, rue de la Garenne à Montpellier. Elles travaillaient alors pour des avocats, des mairies, mais ces religieuses étaient âgées, leur manufacture était inconfortable pour elles en raison de nombreux escaliers, et malgré une opération de rénovation des locaux elles ont peu à peu abandonné le travail de la reliure. L’atelier s’est vidé et est passé de 30 à 3 personnes. J’ai alors été embauchée, j’ai appris là tout l’art de la reliure dans ses meilleures formes et à la fin de mon contrat, les sœurs m’ont proposé de reprendre leur atelier. J’ai accepté et au bout de deux ans, je me suis installée rue Achille Bégé, dans un superbe lieu. Puis, j’ai eu deux enfants, tandis que le marché de la reliure s’épuisait peu à peu, concurrencé par la numérisation. Après la réforme territoriale de 2014, le passage du siège de la région de Montpellier à Toulouse a été terrible pour moi. Je dirige une petite affaire qui demande beaucoup de travail et qui comporte des charges importantes. Pour moi, c’est un métier de passion, j’adore faire de la reliure, je fais vivre mes lieux, mais je galère. J’ai toujours été contre l’état d’auto-entrepreneur, qui je trouve, entretient la précarité. Je suis toujours restée sous le statut d’artisan, je cotise, je n’ai jamais été au chômage, jamais en congé de maladie. Mon travail doit financer mes locaux, payer mes charges, mes assurances et tous mes frais.

 

Pouviez-vous alors rester à Montpellier ?

Non, bien sûr. Alors, nous avons donc eu l’idée de quitter la ville, de trouver des locaux moins chers. On a atterri à Corconne. Tout de suite, je suis tombée amoureuse de ce village. On a tout d’abord loué au chemin de la Vialatte, on a fait pas mal de travaux et aménagé un garage de 200 m2. Rapidement, j’ai connu beaucoup de monde, on a créé des liens, on a construit un réseau de paniers bio, avec légumes, pains, fromages de chèvre, qu’on a développé avec de l’huile d’olive, du vin et pendant le confinement, c’était la folie. On s’est mis à chercher une maison, on a distribué des papiers dans les boîtes à lettres et on a pu acheter celle où on est aujourd’hui. Mais elle est petite, et cela n’allait pas pour l’atelier de reliure. On a demandé à la municipalité si elle n’avait pas un local à nous louer et elle nous a proposé l’ancien moulin à huile. Juste en face de chez nous, avec de grandes portes, le rêve. Nous y sommes restés deux ans. Puis, la maison de retraite, qui était propriétaire du moulin, a décidé de le vendre… J’ai alors accepté la proposition d’Olivier, mon compagnon. Il souhaitait construire, dans notre jardin, un local tout en bois pour l’atelier. Ce furent alors les démarches : permis de construire, application des diverses normes, et enfin montage, mais on y est arrivé, et début décembre 2021, on emménageait.

 

Où en êtes-vous professionnellement aujourd’hui ?

L’activité reprend. Si la numérisation nous fait toujours du tort, les mairies ont recours à nous pour les registres d’état civil, de délibérations et d’arrêtés, mais aussi le tribunal administratif et les particuliers, en restauration comme en création. Bon nombre de municipalités de par ici sont satisfaites de faire travailler un relieur local. Mon travail est de qualité : toujours cousu et jamais de dos collé. Le prix varie selon le format, la matière de recouvrement, l’importance des travaux éventuels de restauration. J’ai gardé ma clientèle depuis les sœurs de Nevers, mais j’en ai gagné aussi par le bouche à oreille. Les gens sont fidèles et reviennent. Je fais aussi des animations scolaires, j’apprends aux enfants à faire des couvertures, des carnets, j’enseigne le système de la couture à la japonaise pour relier, une solution simple et robuste, adaptée aux débutants et du plus bel effet. Venez voir…

Thierry Arcaix

 

Valérie Tauleigne à l’ouvrage. Photo Thierry Arcaix altermidi

 

Atelier de Reliure « L’Œil de Chat » à Corconne 06 56 80 41 97

 

 

 

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Thierry Arcaix a d’abord été instituteur. Titulaire d’une maîtrise en sciences et techniques du patrimoine et d’un master 2 en sciences de l’information et de la communication, il est maintenant docteur en sociologie après avoir soutenu en 2012 une thèse portant sur le quartier de Figuerolles à Montpellier. Depuis 2005, il signe une chronique hebdomadaire consacrée au patrimoine dans le quotidien La Marseillaise et depuis 2020, il est aussi correspondant Midi Libre à Claret. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages dans des genres très divers (histoire, sociologie, policier, conte pour enfants) et anime des conférences consacrées à l’histoire locale et à la sociologie.