Retour aux commandes pour Anne Fraïsse élue hier présidente de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3. L’enseignante chercheuse retrouve la place qu’elle a occupée durant deux mandats successifs entre 2008 et 2016 à l’issue d’un scrutin qui l’opposait au président sortant Patrick Gilli.


 

La majorité absolue des membres du conseil étant requise, il fallait 17 voix pour être élu(e). Anne Fraïsse a eu 16 voix au premier tour de scrutin contre 11 pour Patrick Gilli et 5 abstentions. Elle a été élue au second tour avec 17 voix et toujours 11 voix pour Patrick Gilli.

Il est probable que la nouvelle présidente prendra une place dans le bras de fer que se livrent la communauté universitaire et le gouvernement sur la loi de programmation de la recherche. Anne Fraïsse a en effet toujours eu le courage de ses opinions. Lors de ses précédents mandats elle a illustré à plusieurs occasions la force de ses convictions, en s’opposant à la loi LRU1 votée en 2007 sous la présidence de Nicolas Sarkozy et poursuivie dans sa mise en œuvre par François Hollande. Anne Fraïsse a également refusé la fusion avec les ex-Montpellier 1 et 2 qu’elle estimait non profitable aux Universités de LLASHS (lettres, langues, arts, sciences humaines et sociales).

 

Ressouder la communauté en interne

 

La situation actuelle de l’université a passablement divisé la communauté universitaire, posant des problèmes en termes de gouvernance. L’enseignement supérieur connaît une crise structurelle profonde depuis de nombreuses années. Les effets de la loi LRU se sont fait sentir jusque dans les nouvelles responsabilités et obligations de service assumées par les enseignants-chercheurs mais aussi dans les conditions d’apprentissage et de vie des étudiants. À cela s’ajoute le contexte ravageur de la pandémie qui accroît grandement les difficultés. Cela appelle, comme ailleurs dans la société, une adaptation et un changement de disquette, ce qu’Anne Fraïsse semble avoir bien compris.

Face à la situation sociale et sanitaire actuelle extrêmement fragilisée, la nouvelle présidente  a pris l’engagement de rendre à la communauté « des conditions de vie sur le campus lui permettant de développer ses capacités sur lesquelles pèse un quotidien trop lourd ; notre attention ira en priorité aux projets destinés à améliorer les conditions d’études et les conditions de travail et ces projets seront conçus et menés au plus près des attentes de l’ensemble de notre communauté. »

 

Tirer parti de ses atouts

 

La définition d’une politique de formation et de recherche toujours plus innovante, réactive et attractive s’impose comme un enjeu déterminant pour les universités. En tant qu’instance de formation, de recherche et de service, l’université peut et doit aider à construire de nouvelles solidarités d’abord au plan national, ainsi qu’aux plans régional et mondial.

Sur le plan international, le programme d’Anne Fraïsse repose sur deux grands axes : le développement des projets sur la francophonie, principalement autour de la Méditerranée mais aussi en Europe de l’Est, et le développement du partenariat avec la Chine. Sous ses mandats précédents ont été mises en place des formations délocalisées, avec double diplôme à Suzhou, en partenariat avec l’Université du Peuple de Chine de Pékin, 1ère université de Lettres et Sciences Humaines de Chine (licence Administration Économique et Sociale (AES) ; Masters Lettres, Histoire ; Doctorat Lettres). La nouvelle ambition vise la poursuite de ce partenariat avec l’Université du peuple de Chine de Pékin « pour faire de l’Occitanie le plus grand pôle franco-chinois de France avec pour centre Montpellier ».

 

S’ancrer dans le réel

 

Anne Fraïsse doit en partie son élection à sa capacité d’ancrer ses actions dans le réel.  « Sur un plan national je porterai avec mon équipe une voix forte qui défende le service public, et nous appliquerons à l’intérieur de notre Université les principes que nous défendons ; nous pouvons convaincre par l’exemple, notre Université peut prouver en choisissant cette voie que l’on peut être une Université reconnue en s’appuyant sur une communauté stable, convaincue de sa valeur et libre de ses choix en recherche et pédagogie ; car nous sommes convaincus, et c’est une position que je défends depuis longtemps. »

En dehors du monde universitaire, Anne Fraïsse a présidé une des associations de parents d’enfants handicapés à l’origine du premier service d’accompagnement scolaire et social de l’Hérault. Femme de persuasion, elle s’est saisie de la notion d’autonomie donnée aux universités pour la mettre en œuvre sans se limiter aux seules notions économiques qui étaient à l’origine du texte. « Il y a une autre voie de développement qu’une gestion étriquée et à l’économie de l’éducation et de la recherche ; parce que nous sommes sûrs que la confiance, la liberté et la participation aux décisions sont plus fortes pour dynamiser une communauté que la sélection, la mise en compétition permanente, la précarité des statuts, les pleins pouvoirs concentrés sur une seule personne ou une équipe restreinte et la violence d’une politique imposée. »

 

Jouer la carte du développement régional

 

Sur le plan de la structuration régionale et locale, l’enseignante chercheuse entend porter toute son attention à : « La coopération avec les Organismes de Recherche, les Écoles Supérieures, l’Université de Montpellier et nos partenaires institutionnels autour de la MSH-Sud [Maison des sciences de l’homme], élément structurant d’une recherche pluridisciplinaire par l’originalité de ses thématiques et de son regard croisé LLASHS et Sciences dures sur les enjeux sociétaux et environnementaux les plus contemporains. »

« Je crois profondément que Paul-Valéry est une Université de LLASHS qui doit être reconnue pour ses valeurs, la richesse de sa diversité, ses forces et ses réussites, qu’elle est un atout pour sa Ville et sa Région. L’Occitanie est la seule région en province qui a deux universités de Lettres, Langues, Arts, Sciences Humaines et Sociales et le travail commun de ces deux grandes communautés doit devenir un atout majeur et structurant dans une société bouleversée par des crises durables et qui cherche de nouvelles directions de développement », a fait valoir Anne Fraïsse durant sa campagne. Elle s’est aussi donné pour objectif de maintenir les postes, même si cela signifie par exemple avoir moins d’équipements : elle souhaite donner la priorité à « l’humain » et aux « cerveaux ».

 

L’arrivée aux manettes de la nouvelle présidente pourrait permettre de faire naître de nouvelles synergies en Occitanie dans les domaines de la recherche et de la formation. Anne Fraïsse a évoqué l’établissement d’un arc LLASHS des universités allant de Nîmes à Toulouse. Reste à savoir avec quels moyens compte tenu des maigres possibilités offertes par la loi de programmation de la recherche. Peut-être en réactivant pendant un instant l’usage de nos yeux pour lire le monde et le reconstruire…

Jean-Marie Dinh

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes:

  1. Loi relative aux libertés et responsabilités des universités.  Anne Fraïsse déclarait à propos de ce texte : « L’autonomie imposée par le pouvoir, c’est surtout un transfert de charges non totalement compensé qui aboutit à des impasses financières, et non l’autonomie scientifique et pédagogique que nous recherchons et que nous avions déjà en tant qu’universités d’État. » son combat a donné lieu à une compensation financière pérenne permettant de combler le déficit de Montpellier 3.
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.