A l’occasion de la tenue du sommet entre le G5 Sahel et la France le 13 janvier 2020 à Pau*, nous publions l’interview réalisé par Seydou Koné que notre ami et partenaire René Naba a donné au journal Malien Relais du Bougouni. Ce regard ne fera pas plaisir à tout le monde, mais il enrichit la politique d’une notion : « Le parler vrai » et contribue ainsi à l’exercice de transparence démocratique.


 

Cet entretien est précédé d’un rapide rappel de la situation actuelle au Mali signé par l’éditeur du journal malien, partenaire avec Altermidi de Madaniya info.

Point sur la situation au Mali

L’opinion malienne est divisée sur le statut des troupes françaises au Mali dont une fraction de l’opinion en réclame le départ.

En 2012, l’Armée française a débarqué au Mali pour lutter contre le terrorisme qui a submergé le septentrion malien, particulièrement les régions de Kidal, Gao et Tombouctou, du fait de la subversion initiée par Ansar Eddine, les pupilles du Qatar, à l’époque le grand allié du président post gaulliste Nicolas Sarkozy, désireux de jouer en Afrique occidentale le pacificateur à la suite de ses déboires en Libye, à l’origine de la déstabilisation du Mali, au-delà du Sahel.

Dans un premier temps, la France a été le seul intervenant dans le cadre de l’opération Serval qui deviendra par la suite l’opération Barkhane. Dans la foulée, l’ONU a déployé sur le territoire malien les forces du Conseil de Sécurité appelées la Minusma (Mission des Nations Unies pour le Mali).

Afin de renforcer sa couverture, l’Etat malien a signé un accord de défense avec la France. Mais en dépit de ces dispositifs, la situation au Mali n’a cessé d’empirer.

  • Le terrorisme s’est déployé du nord au centre puis au Sud du Mali
  • Les séparatistes le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) gagnent de plus en plus de terrain.
  • Des milliers de maliens militaires et civils sont sommairement exécutés
  • Le bilan des dégâts matériels est extrêmement lourd. A tel point que beaucoup de Maliens jugent inutiles les opérations françaises, de même que les mécanismes onusiens. Toutefois, l’opinion reste divisée sur le départ des troupes étrangères et de la France en premier chef.

Le Président Emmanuel Macron a invité les dirigeants des cinq pays victimes du terrorisme sahélien à s’expliquer sur le rejet de leur présence dans ces pays : Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad.

 

Seydou Koné, Editeur du Relais du Bougouni

 

Entretien avec René Naba

Le chroniqueur géopolitique René Naba livre son point de vue sur cette problématique complexe.

Les troupes doivent-elles partir ou pas ?

Loin de me substituer à la volonté du peuple malien et des autres peuples africains, il me parait plus respectueux à leur égard de me livrer à une analyse concrète d’une situation concrète afin de soumettre aux opinions africaines les éléments de réflexion qui leur permettront de faire leur choix.

Près de huit ans après sa constitution, le G5 (1) apparaît comme une force supplétive de la France et pâtit d’un handicap majeur, l’absence de l’Algérie, puissance militaire majeure de la zone, qui occupe de surcroît une position centrale de par son positionnement limitrophe du Mali, principal champ de la confrontation.

Faute d’une coopération avec Alger, l’efficacité du G5 paraît d’autant plus aléatoire que l‘Algérie a une solide expérience de lutte contre les terroristes acquises lors de la «décennie noire» (1990-2000) et que les premiers combattants djihadistes du Sahel proviennent d’Algérie.

Pour les djihadistes, les troupes françaises en Afrique font l’effet d’un chiffon rouge sur un taureau.

Pas la peine de se cacher derrière son petit doigt, n’en déplaise aux nombreux algérophobes qui prospèrent dans les médias à l’occasion de la période transitoire algérienne, faute d‘un débat national sur la stratégie militaire française au Sahel, qui fait cruellement défaut, tant que la situation perdurera le «Mali demeurera l’Afghanistan de proximité de la France».

Le bilan meurtrier de 2019 et la situation alarmante au Burkina Faso posent questions …

En 2019, 1.500 civils ont été tués au Mali et au Burkina Faso et plus d’un million de personnes – deux fois plus que l’an dernier- déplacées à l’intérieur des frontières des cinq pays considérés.

A ce bilan il convient d’ajouter la double attaque djihadiste de Noel 2019 contre le Burkina Faso et le Niger. Au Burkina Faso, l’attaque djihadiste du 24 décembre 2019, le jour du réveillon de Noël, a fait trente-cinq civils,  31 femmes, ont été tués à Arbinda, dans le nord du Burkina Faso, une des plus meurtrières de l’histoire de ce pays sahélien. Le tiers du Burkina Faso, considéré comme un verrou stratégique pour bloquer l’expansion du terrorisme, est désormais contrôlé par des groupes islamistes, sous la menace d’un effondrement.

Au Niger, le 26 décembre, quatorze militaires ont été tués dans une attaque menée par des «terroristes lourdement armés» dans la région de Tillabéri, dans l’ouest du pays. C’est dans cette même région de Tillabéri, proche du Mali, que 71 soldats nigériens ont été tués le 10 décembre, la pire attaque depuis le regain des attaques djihadistes en 2015 dans ce pays sahélien pauvre. L’attaque a été, revendiquée par l’Etat islamique. Tout le Sahel – en particulier le Mali, le Niger et le Burkina -, est désormais visé par les assauts de plus en plus audacieux de groupes islamistes, en dépit du renforcement des armées locales et de la présence de 4500 militaires français.

 

Emmanuel Macron au G5S. Photo Dr

La persistance du colonialisme serait-elle une erreur ?

Le colonialisme une erreur ? Une erreur est par définition vénielle. Mais lorsque cette erreur perdure six siècles, qu’elle se traduit par la dépossession de tout un continent de son patrimoine culturel et le pillage de ses richesses, qu’elle s’accompagne d’une traite négrière matérialisée par la déportation de quinze millions d’Africains au-delà de l’Atlantique, de la répression compulsive des combattants africains accourus en Métropole, souvent contre leur gré, pour sauver leur colonisateur de ses pulsions bellicistes, comme ce fut le cas à deux reprises en un même siècle, lors des deux Guerres mondiales, à Sétif et Guelma (Algérie), à Thiaroye (Sénégal), au Haut Sanaga (Cameroun) et à Madagascar, l’erreur a pour nom crime manifeste.

De surcroît, la persistance d’une forme de colonialisme monétaire matérialisée par le Franc CFA en Afrique occidentale, – seul groupement géopolitique au monde sous tutelle financière de son ancien colonisateur, 70 ans après l’indépendance de l’Afrique, dans une forme de nazisme monétaire –, fait que le crime constitué par le colonialisme est un crime hideux. Un crime contre l’intelligence avant d’être un crime contre l’humanité.

Trêve de fadaise: La France a été le fardeau de l’Afrique en ce que le continent noir, en dépit la maltraitance dont il a été l’objet de la part de «Patrie des Droits de l’Homme», a constitué le socle de la puissance française, le justificatif de sa présence au Conseil de sécurité et de sa dotation du Droit de véto, en dépit de sa piteuse capitulation lors de la seconde guerre Mondiale et sa collaboration avec le nazisme.

Que dire de la gabegie, la corruption, la kleptocratie qui prospère ?

Dix-neuf des 46 pays de l’Afrique subsaharienne possèdent d’importantes réserves d’hydrocarbures, de pétrole, de gaz, de charbon ou de minéraux et 13 pays explorent actuellement de nouvelles réserves. Mais la Banque mondiale estime pourtant que l’Afrique est le continent le plus pauvre du monde. Carlos Lopes, Secrétaire exécutif de la Commission Economique pour l‘Afrique (CEA), estime que «les ressources naturelles de l’Afrique sont une bénédiction et non une malédiction», mais à faible rendement du fait des tares précitées.

Peut-on faire une corrélation entre présence militaire occidentale et prolifération djihadiste ?

Sous couvert de lutte contre le terrorisme, les États-Unis ont multiplié les opérations spéciales en Afrique. Leur présence sur le continent est discrète, mais tentaculaire. L’Amérique a établi son unique base permanente à Djibouti, « hub » de ses activités militaires dans la Corne de l’Afrique où sont stationnés environ 4.000 soldats. C’est de là que décollent les drones qui visent Al-Qaïda dans la péninsule arabique au Yémen et contre les Shebab en Somalie.

Les États-Unis disposent également de 13 bases « secondaires », selon la dernière communication du Commandement américain pour l’Afrique (Africacom) devant le Congrès américain, ainsi que d’une trentaine de bases plus modestes, et surtout plus discrètes, qui peuvent se matérialiser par un simple hangar.

Depuis le début des opérations du Commandement des États-Unis pour l’Afrique en 2008, le nombre de militaires américains sur le continent africain a fait un bond de 170 %, passant de 2.600 à 7.000. Le nombre de mission a augmenté de 1 900 %, passant de 172 à 3 500.

Les frappes de drones ont explosé et le nombre de commandos déployés a augmenté de façon exponentielle, de même que la taille et la portée de la constellation des bases de l’Africom.

En 2018, l’armée des Etats Unis a mené 36 opérations en Afrique, plus que dans toute autre région du monde, y compris dans le Grand Moyen-Orient (2) . Mais depuis la création de l’Africom, les principaux indicateurs de sécurité et de stabilité en Afrique se sont effondrés, selon le Centre africain d’études stratégiques du ministère de la Défense US, une institution de recherche du Pentagone. «Dans l’ensemble, l’activité des groupes islamistes militants en Afrique a doublé depuis 2012», selon cette analyse.

De surcroît, La présence des firmes étrangères en Afrique augmente la violence des territoires miniers. Souvent implantées en Afrique, là où les sous-sols regorgent de matières premières, elles contribuent à alimenter un terrain déjà très conflictuel.

Contrairement à l’Asie où la subversion djihadiste est endogène, en Afrique, elle est exogène, ce qui en fait un produit d’exportation. En Asie (Afghanistan, Pakistan, Irak, Syrie), l’instrumentalisation de l’islam comme arme de combat d’abord contre l’athéisme soviétique durant la guerre d’Afghanistan, (1980-1989), puis lors du mal nommé «printemps arabe» (2011-2015) contre les régimes républicains arabes, a été le fait des pétromonarchies discréditées, en coopération avec le bloc atlantiste, en vue de la survie de leurs régimes décriés.

Le centre africain d’études stratégiques estime à 24 le nombre de «groupes islamistes militants actifs» qui opèrent sur le continent, contre seulement cinq en 2010, selon l’analyse. Aujourd’hui, 13 pays africains font face à des attaques de ces groupes – une augmentation de 160 % sur la même période. En fait, le nombre d’«événements violents» sur le continent a bondi de 960 %, passant de 288 en 2009 à 3 050 en 2018, selon l’analyse du Centre africain.

Bien que divers facteurs aient probablement contribué à l’augmentation de la violence, certains experts affirment que le chevauchement entre l’existence du commandement et les troubles croissants n’est pas une coïncidence.

«La forte augmentation des incidents terroristes en Afrique souligne le fait que l’approche trop militarisée du Pentagone face à ce problème a été un échec lamentable», a déclaré William Hartung, directeur du projet Armes et sécurité au Centre pour la politique internationale. «Au contraire, tenter d’éradiquer le terrorisme par la force risque d’exacerber le problème, de provoquer une réaction terroriste et de servir d’outil de recrutement pour les groupes extrémistes».

Cette augmentation de la présence américaine va de pair avec la multiplication de groupes terroristes et milices armées répertoriées par les États-Unis en Afrique.On en dénombre une cinquantaine aujourd’hui, contre seulement cinq « groupes terroristes majeurs » en 2010.

L’Afrique doit-elle  choisir entre la logique de vassalité et de servitude et  la logique de la dignité ?

Loin de moi la volonté de dicter leur conduite aux Africains, mais au vu de ce panorama, le choix qui s’impose à eux est simple: soit se fourvoyer dans une logique de vassalité vis à vis de leurs anciens colonisateurs, le choix de la servitude éternelle; soit reprendre le flambeau de la dignité admirablement brandi par Patrice Lumumba, (République Démocratique du Congo), Thomas Sankara (Burkina Faso) et magnifiquement concrétisé par Nelson Mandela (Afrique du sud).

 

* Pau est la la ville de garnison du régiment qui a payé le prix du sang le plus élevé dans l’opération meurtrière du 28 Novembre 2019 : 13 officiers et sous-officiers tués dans un télescopage de deux hélicoptères de l’armée française.

(1) Le G5 Sahel ou « G5S » est un cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité, créé lors d’un sommet du 15 au 17 février 20141 par cinq États du Sahel : Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad répartis sur 5 097 338 km.

(2) Le « Grand Moyen-Orient » est un terme utilisé par le président George W. Bush et son administration pour désigner un espace s’étendant du Maghreb et de la Mauritanie au Pakistan et à l’Afghanistan, en passant par la Turquie, le Machrek et l’ensemble de la péninsule Arabique.

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