Étant donné la crise sociale et le mouvement de protestation qui secouent notre pays depuis bientôt un an, on peut penser qu’il existe d’autres priorités en ce moment que le débat sur le port du foulard (hidjab) qui occupe le devant de la scène médiatique depuis près d’un mois (débat lancé par Julien Odoul (RN) qui s’en est pris à une mère musulmane devant son enfant en plein conseil régional).

Ce focus occulte les vrais problèmes et stigmatise une fois de plus la communauté musulmane. Il divise un peu plus l’opinion publique et nous confirme que les vieux démons sont de retour. Ils se lâchent, ces représentants de la droite extrême, et tentent à travers ce débat de nous imposer à nouveau leur vision étriquée et réductrice d’un monde uniforme et autoritaire.

Le déchaînement médiatique, les propos racistes et xénophobes, proférés en toute quiétude par Zemmour soutenu par certains élus et pseudo intellos de la vieille droite, attisent la haine et poussent les esprits les plus malléables à la radicalisation et au passage à l’acte.

Il est aujourd’hui fondamental de lutter contre ces dérives discriminatoires qui mènent à l’escalade et à la surenchère, car elles ébranlent dangereusement les fondements de notre société solidaire qui a été si longue et si difficile à élaborer.

L’histoire est là pour nous rappeler que la mise à l’écart d’un groupe de personnes est la voie vers la chasse aux sorcières, l’obscurantisme, la terreur et le fascisme. Laisser s’exprimer ainsi l’idéologie identitaire et fasciste revient à en faire la promotion, alors que dans les textes, la loi interdit toute discrimination.

Par les temps qui courent, nous ne sommes pas à l’abri d’une contradiction de plus… Le 29 octobre 2019, le sénat a voté l’interdiction des signes religieux lors des sorties scolaires, (proposition de loi Les Républicains) au lendemain de l’attentat de la mosquée de Bayonne.

La majorité se déchire sur le sujet ou joue les volte-face. La clarté n’est pas de mise en période électorale : Jean-Michel Blanquer déclare que le port du foulard n’est pas souhaitable dans notre société, position soutenue par Bruno Le Maire et saluée par la droite, mais ajoute que la loi ne l’interdit pas en sortie scolaire. Le premier ministre, lui, s’exprime contre le fait de légiférer, et rattrape ainsi intelligemment une partie de l’électorat musulman.

Aurore Bergé, porte-parole de LREM, déclare qu’elle votera la loi (portée par Eric Ciotti LR) à l’Assemblée nationale accompagnée d’élus de la majorité, ce qui soulève un tollé de protestations chez d’autres. Le député Aurélien Taché condamne les propos du ministre de l’Éducation puis s’excuse de l’avoir critiqué.

Finalement, Emmanuel Macron appelle à ne pas « stigmatiser » les musulmans, dénonce un « raccourci fatal » entre lutte contre le terrorisme et islam, tout en martelant avec virulence qu’il sera « intraitable » face au communautarisme et à « l’islam politique qui veut faire sécession avec notre République ».

Ce débat renforce, d’une part, les réactions identitaires, la méfiance, la peur de l’autre, le racisme. D’autre part, il est établi que le rejet et la mise à l’écart poussent logiquement au repli communautariste, tant décrié par Mr Macron qui, par ailleurs, n’a pas plus développé…

In fine, le sujet de l’interdiction du port du foulard entraîne un ralliement à ce qui devient une cause pour la défense des libertés individuelles, dont on se serait bien passé. Il suffirait simplement de laisser les gens vivre ce qu’ils ont envie de vivre et de vivre ensemble avec nos différences dans le respect des lois sur la laïcité suffisamment explicites.

Il semblait pourtant entendu (article 1er de la constitution de 1958, principes de laïcité, loi de 1905) que chaque citoyen était en droit de faire ses propres choix religieux. « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

Le rôle législatif de l’État est de garantir la liberté et de veiller au respect de ces droits. Pourquoi vouloir interdire le port du foulard à des mamans lors des sorties scolaires, à des étudiantes au sein de l’université ou encore dans tout l’espace public ? En quoi le port du foulard peut-il déranger s’il s’agit d’une décision adulte, d’un choix spirituel ou culturel qui relève du libre-arbitre ?

Inversement, l’interdiction du port du foulard reflète-t-elle la volonté d’imposer à l’autre un choix de vie décrété arbitrairement par certains comme le seul normal et adapté à notre société ? Par extension, la seule culture moderne serait donc la culture blanche et occidentale érigée en modèle universel… une vision des choses éthnocentique.

Les arguments pour justifier l’interdiction du port du foulard sont basés sur des amalgames, des stéréotypes qui jettent par ailleurs l’opprobre sur les musulmans en les désignant comme dangereux et hors norme de notre société.

Dans toutes les religions, nous retrouvons des exemples d’oppression des femmes, oppression souvent exercée par les hommes, que ce soit chez les juifs orthodoxes, les extrémistes catholiques ou musulmans, ou dans certaines coutumes telle que la pratique de l’excision notamment…

Si certaines femmes les revendiquent ou les considèrent comme un devoir envers la religion, la décision leur appartient et ne doit engager qu’elles-mêmes. En Iran, des femmes se battent pour le droit de ne plus porter le foulard, car elles sont contraintes et forcées de le faire. Ici, en France, c’est le contraire…

De fait, cette contradiction met en lumière deux enjeux communs et primordiaux :

– le droit des femmes à disposer de leur corps et à vivre ce qu’elles ont envie de vivre sans que le pouvoir, les hommes, ou même d’autres femmes leur dictent leurs desideratas ;

– le respect de la liberté individuelle, du libre-arbitre.

Notre identité culturelle est plurielle et en constante mouvance de par la multiplicité des systèmes qui interviennent au sein de notre vécu. Nous sommes le fruit de l’enseignement que nous avons reçu, des langues que nous parlons, du milieu dans lequel nous avons baigné, des personnes que nous avons côtoyées et de notre propre réflexion… Notre identité est faite d’influences diverses, économique, familiale, sociale, politique, culturelle, sexuelle, religieuse ou laïque…

De ce tout émerge, à travers une histoire personnelle, une unité qui définira notre adhésion, ou pas, à un groupe, à un autre ou à plusieurs. La multiplicité de ces systèmes implique que cette identité n’est pas figée et qu’elle peut évoluer et se redéfinir.

Pourquoi serions-nous obligé de nous séparer d’une caractéristique de ce tout à laquelle nous serions attachés, sous prétexte que certains la rejette ?

La reconnaissance de l’existence d’une société plurielle, multiculturelle, multiethnique ne détruit pas l’identité française, mais « l’arrache plutôt aux prétentions liberticides, à l’homogénéité raciale, ethnique, culturelle et religieuse ».

Comme le présuppose le Conseil de l’Europe, le bien vivre ensemble réside « dans la liberté d’expression et le pluralisme des opinions ; dans le respect de la dignité humaine, de la diversité culturelle et des « droits des autres » afin de garantir la tolérance et la compréhension ; et en la participation de tous les citoyens aux affaires publiques en leur donnant accès à l’information et aux médias. »

L’interdiction du port du foulard ne ferait que renforcer les convictions et le repli au sein des communautés sur la défensive et déjà repoussées en milieu partiellement fermé dans les banlieues du fait de l’exclusion et de la précarité. La mixité sociale, l’ouverture aux autres, au monde, la compréhension des identités plurielles de façon bienveillante et respectueuse, l’implication des citoyens dans le fonctionnement de notre société qui garantirait des conditions de vie décente à tous favoriseraient ce « bien vivre ensemble avec nos différences ». L’éducation, l’accès aux connaissances, le dialogue interculturel et avec les religions contribueraient alors à l’éveil des consciences pour aller vers une société plus intègre et humaine.

Le chemin vers la cohésion et la paix ne peut passer que par là.

Sasha Verlei

Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.