A six jours des Elections Europeennes 2019, l’Anafé, composée de 21 organisations (associations et syndicats) qui agissent en faveur des droits des étrangers, demande aux candidats quelles sont leurs propositions et engagements en matière de droits des étrangers.

mercredi 15 mai 2019

Madame, Monsieur,

Créée en 1989, l’Anafé est composée de 51 membres (associations, syndicats et membres individuels) et agit en faveur des droits des étrangers qui se trouvent ou se sont trouvés en difficulté aux frontières ou en zone d’attente. Son objectif est donc de faire respecter les droits des personnes en migration et de mettre en lumière les dysfonctionnements et violations des droits résultant des textes et des pratiques aux frontières.

Si le droit international proclame le droit de chacun de quitter tout pays, y compris le sien, et d’y revenir, il protège également toute personne en migration contre les mauvais traitements et violations de ses droits fondamentaux. L’impératif de protection des populations persécutées ou opprimées devrait prévaloir sur les logiques sécuritaires, de contrôle des flux migratoires et les discours de peur.

Or, plusieurs décennies de réformes européennes et françaises n’ont pas permis de mettre fin aux nombreuses violations des droits international et nationaux régulièrement constatées et dénoncées par les associations et les instances de protection des droits, bien au contraire.

En effet, dans un contexte de durcissement croissant des politiques migratoires, le contrôle des frontières l’emporte sur le respect des droits et de la dignité, l’accueil et la protection des personnes exilées ou en voyage, et en particulier des personnes les plus vulnérables.

L’argument d’une supposée « crise migratoire » a permis de justifier un contrôle accru des frontières via de nombreuses entraves sur les parcours des personnes : rétablissement des contrôles aux frontières internes de l’espace Schengen et notamment de la France, édification de murs et militarisation des frontières extérieures de l’espace Schengen, arsenal pour détecter les personnes migrantes, multiplication des fichiers, ouverture de hotspots, refus de délivrer des visas, maintien des visas de transit aéroportuaire, banalisation de l’enfermement, rôle des compagnies de transport dans le contrôle des frontières, prolifération des accords de réadmission ou de coopération passés par l’Union européenne avec des pays d’émigration dont la seule finalité est de stopper les mouvements migratoires aux portes de l’Europe…

Si les politiques migratoires répressives sont dirigées avant tout contre les personnes en migration, elles le sont aussi et de plus en plus vis-à-vis des acteurs de la solidarité internationale et des soutiens des personnes en situation d’exil, membres d’organisations ou pas. Les défenseurs des droits des personnes migrantes subissent de nombreuses pressions et intimidations de la part des autorités publiques, et certaines sont poursuivies – voire condamnées – pour leurs actions solidaires et fraternelles.

Lorsque les personnes parviennent à atteindre l’espace Schengen aux frontières françaises, l’accès au territoire peut être refusé parce que la police estime qu’elles ne remplissent pas les conditions d’entrée et/ou les suspecte d’être un « risque migratoire », ou parce qu’elles demandent l’asile, elles sont alors enfermées en zone d’attente (ZA) et menacées de renvoi à tout moment.

Alors même que les règles de droit devraient apporter de la sécurité juridique à toute personne confrontée aux dispositifs mis en place par l’Etat, la zone d’attente et les frontières intérieures de l’espace Schengen sont marquées par un déséquilibre important des forces. La loi laisse une place étroite aux droits, souvent réduits à peau de chagrin par la pratique administrative et policière, sans réel garde-fou.

Ainsi, en 2017, 16 879 personnes se sont vues refuser l’entrée sur le territoire et 9 672 ont été placées en zone d’attente. 1 270 personnes ont déposé une demande d’admission sur le territoire au titre de l’asile. 68 529 refus d’entrée aux frontières internes terrestres ont été recensés en 2017 par Eurostat. Pour les six premiers mois de 2018, 4 859 personnes ont été placées en zone d’attente.

Les procédures mises en œuvre à la frontière sont d’une extrême brièveté (la durée moyenne de maintien était en 2017 de 4,21 jours à Roissy, de 72 heures à Orly et moins de 24 heures dans les autres zones d’attente). Ainsi, la majeure partie des personnes maintenues en zone d’attente ne voit aucun juge, le juge des libertés et de la détention n’intervenant qu’au bout de 96 heures.

Le nombre de renvois immédiats est également très important : 7 207 personnes ont donc été réacheminées immédiatement (parmi lesquelles des potentiels demandeurs d’asile), c’est-à-dire sans placement au lieu d’hébergement de la zone d’attente. Enfin, le taux de réacheminement était de 72% en métropole (50% à Roissy et 64% à Orly) et de 96% en outre-mer. Les statistiques pour l’année 2018 établies par le ministère de l’intérieur ne sont pas encore connues.

Les violations des droits des personnes aux frontières sont un problème chronique et structurel. L’Anafé ne cesse, depuis des années, de démontrer qu’on ne peut pas priver de liberté et enfermer des personnes dans le respect de leur dignité et de leurs droits. Constat confirmé par les conclusions de toutes les enquêtes et observations de terrain : quelle que soit la forme qu’elle prend, la privation de liberté entraîne la violation des droits humains et s’inscrit dans une politique de criminalisation des personnes étrangères. A ce titre, nous vous rappelons que les parlementaires européens disposent d’un droit de visite dans les lieux de privation de liberté des étrangers sur le sol européen, droit que nous vous invitons à exercer.

Malgré d’importantes victoires de l’Anafé (base légale au maintien des étrangers en zone d’attente en 1992, accès des associations en zone d’attente en 1995, droit d’accès permanent de l’Anafé en zone d’attente de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle en 2004, recours suspensif pour les demandeurs d’asile en 2007), il n’a toujours pas été mis fin à l’enfermement systématique des mineurs à la frontière ni à leur renvoi forcé, il n’existe toujours aucun recours suspensif et effectif pour les étrangers non demandeurs d’asile et les textes ne prévoient aucun accès garanti et effectif aux juridictions judiciaires et administratives.

Forte de son expérience et parce que la réponse des pouvoirs publics face à des personnes en situation d’exil (qui sont par définition vulnérables) ne devrait pas être la privation de liberté, l’Anafé condamne le principe de l’enfermement administratif des étrangers aux frontières.

L’Union européenne doit entendre les revendications de la société civile et cesser de privilégier le contrôle des frontières au détriment des droits des personnes en migration et en situation d’exil. Elle doit surtout mettre en œuvre les principes prescrits par les conventions internationales et mettre enfin en place une véritable politique migratoire d’accueil et de protection.
Sans rupture nette avec les logiques aujourd’hui à l’œuvre au profit d’un impératif sécuritaire à géométrie variable, la crise morale et politique qui en découle ne fera que s’enliser, entraînant avec elle l’État de droit et la société démocratique européenne.

A 11 jours du scrutin pour l’élection des parlementaires européens, je vous adresse, par la présente, des recommandations de l’Anafé et vous demande quels sont vos positionnements et engagements à leur sujet :
-  La suppression des entraves mises en amont de l’accès au territoire européen ;
-  La fin du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen et des violations des droits à ces frontières ;
-  La suppression du « délit de solidarité » ;
-  L’arrêt de l’enfermement administratif des mineurs, qu’ils soient isolés ou accompagnés ;
-  La garantie de l’accès au juge pour toutes les personnes maintenues.

Nous souhaiterions également connaître vos propositions de modification des différents textes en vigueur et les mécanismes de contrôle que vous entendez appliquer, afin de permettre le respect et l’effectivité des droits et de la dignité des personnes en migration.

Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, nos salutations distinguées.

Alexandre Moreau
Président