Des véhicules blindés et des munitions fournis par la France sont au cœur de la répression sanglante des manifestations en 2013.


Des centaines de véhicules blindés, des navires de guerre, des machines à produire des munitions et même le fleuron de la production militaire française, l’avion de chasse Rafale.

Nul inventaire à la Prévert, mais l’impressionnante liste des armes vendues par la France à l’Égypte depuis 2012. Montant global, selon l’estimation du rapport publié ce mardi 16 octobre  : plus de quatre milliards d’euros d’armes françaises livrées à l’armée égyptienne entre 2012 et 2017.

Officiellement. Car dans les faits une partie des véhicules blindés a en réalité été livrée aux forces du ministère de l’Intérieur, ou détournée vers elles, ces mêmes forces de police chargées de la féroce répression des manifestions.

La France est donc devenue le principal fournisseur d’armes en tous genres à l’Égypte depuis 2013.  Elle surpasse d’ailleurs largement les États-Unis, qui font partie avec elle des champions du secteur. Sur la courte période 2013-2017, la France a livrée 37 % des armes lourdes à l’Égypte, contre 26 % pour les Etats-Unis, selon le SIPRI.

Pourtant, depuis le soulèvement de 25 janvier 2011, qui a marqué le début du « Printemps arabe » en Égypte, le pays a connu une série de rebondissements politiques accompagnés de vagues de répression brutale, atteignant son paroxysme après la destitution du président Mohamed Morsi par l’armée en juillet 2013. Ainsi plus de 1000 personnes ont été tuées sur la seule journée du 14 août 2013.

Des milliers de journalistes, de défenseurs des droits humains et de manifestants ont été arrêtés arbitrairement. Certains ont été torturés ou soumis à d’autres mauvais traitements, et plusieurs centaines ont été condamnées à la réclusion à perpétuité ou à mort à l’issue de procès d’une iniquité flagrante.

Or, il semble bien que du matériel militaire français a été largement utilisé contre les manifestants, en dépit des engagements internationaux de la France. Dans son rapport accablant, Amnesty International  l’écrit noir sur blanc : des  véhicules blindés fournis par la France ont été au cœur de la répression.

On a même assisté depuis 2011 à une accélération rapide des transferts d’armes de la France vers l’Égypte, malgré l’instabilité politique du pays et les accords internationaux dûment ratifiés par la France sur les conditions des ventes d’armes à des pays tiers.

De ce point de vue, Amnesty International estime que le degré de transparence de la France sur ses exportations d’armements demeure insuffisant. Voilà pourquoi.

Flashback. Embrassades, uniformes de parade et petits fours. Invité au Caire en février 2017, le ministre français de la Défense d’alors, Jean-Yves Le Drian, aujourd’hui aux Affaires étrangères, est décoré par le président Abdel Fattah al-Sissi de l’ordre de la République de la première catégorie, en reconnaissance de ses efforts qui ont contribué à l’essor sans précédent de la coopération militaire entre les deux pays.

Si les vente des navires de guerre et d’avions de chasse, les célèbres Rafale, conclues récemment pour plusieurs milliards d’euros ont suscité de nombreux articles dans les médias, la France a également fourni depuis 2012 du matériel sécuritaire plus courant, dont des véhicules blindés MIDS et Sherpa fabriqués en France par Renault Trucks Défense (filiale du suédois Volvo, renommée  Arquus au printemps dernier).

’actionnariat de Volvo comprend plusieurs fonds d’investissement et le millionnaire chinois Shu Fu Li. Mais la société Arquus est bien de droit français, et ses ventes, qui sont passées inapercues, sous le contrôle des autorités de notre pays.

« Nous disposons de blindés haute technologie appelés Sherpa […] Ils sont fabriqués en France et ont été exportés sous le régime de Mohamed Morsi, ils sont équipés de caméras pouvant zoomer jusqu’à 8 kilomètres à la ronde. »

Membre des FCS de la police égyptienne, Le Caire, 14 août 2013 .

Ces véhicules ont joué un rôle direct dans le déchaînement meurtrier de violence contre les manifestants du Caire ou encore à Alexandrie, ce dont témoigne des photos et des vidéos collectées au Caire par les chercheurs d’Amnesty International.

Le 14 août 2013, par exemple, des Sherpa fournis par la France sont déployés dans la capitale égyptienne par les forces de sécurité ; près de 1 000 personnes trouvent la mort durant les opérations.

Un membre des Forces centrales de sécurité (FCS) a directement confirmé aux équipes d’Amnesty International en mission que des Sherpa « haute technologie » avaient bien été utilisés lors des opérations menées ce jour-là au Caire.

Les autorités françaises ont pourtant indiqué à Amnesty International n’avoir autorisé l’exportation de matériel militaire qu’à destination de l’armée égyptienne et uniquement dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme » dans le Sinaï, et non pour des opérations de maintien de l’ordre.

Un haut responsable français a concédé que, si le matériel sécuritaire fourni par la France était initialement destiné à l’armée égyptienne, les autorités égyptiennes avaient détourné certains blindés au profit des forces de sécurité.

Il ne fait aucun doute que les autorités françaises ont continué de livrer des véhicules blindés jusqu’en 2014 au moins. Elles ont en outre autorisés des licences à l’exportation de blindés, de pièces et de composants connexes jusqu’en 2017. Pourtant, les preuves de leur utilisation abusive avaient été mises au jour par Amnesty International qui avait alerté les autorités égyptiennes sur ses constatations.

La France a également poursuivi ses livraisons après que les États membres de l’Union européenne (UE) furent convenus, dans les conclusions publiées en août 2013 par le Conseil des affaires étrangères de l’UE et réaffirmées en février 2014, de suspendre les licences d’exportation vers l’Égypte de matériel utilisé à des fins de répression interne.

Ces transferts ont donc été autorisés alors qu’il existait des risques substantiels que le matériel soit utilisé au mépris des obligations juridiques européennes et internationales de la France.

En tant qu’État partie au Traité sur le commerce des armes, la France ne doit donc pas autoriser de transferts d’armes s’il existe un risque substantiel que ces armes puissent être utilisées pour commettre ou faciliter  des violations des droits humains.

Conformément à la « Position commune 2008/944/PESC » du Conseil de l’UE du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires, que la France est juridiquement tenue de respecter, les États membres ont l’obligation de « refus[er] l’autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée servent à la répression interne ».

En outre, le personnel français en charge de l’octroi des licences d’exportation a reçu la consigne suivante : « Toute fourniture de matériels susceptibles de concourir à la répression interne doit être refusée».

Reste à comprendre comment la France, parfaitement au courant des violations graves et systématiques des droits humains a pu continuer à livrer des véhicules blindés, sans parler du reste, à l’Égypte, au mépris de ses engagements internationaux.

Sans aucun droit de regard et de contrôle du parlement, sans même parler de la société civile, qui n’a jamais reçu de réponses adéquates à ces questions, et qui de plus a été en partie réduite au silence en Egypte depuis 5 ans.

D’où évidemment l’importance du rapport d’Amnesty International sur les ventes d’armes françaises à l’Égypte.

Certes de  nombreux autres États, dont les États-Unis et au moins 12 États membres de l’UE, ont fourni des équipements aux forces de sécurité égyptiennes. Pourtant,  le Conseil de l’Union avait décidé en août 2013 de suspendre les transferts…

En 2016, on notait que 12 des 28 Etats membres avaient poursuivis leurs fournitures. Et parmi les 12, il y a la France.

 Mais face à la multiplication des violations, les autorités flamandes et wallonnes, la République tchèque, l’Espagne, les États-Unis et les Pays-Bas ont suspendus temporairement tout ou partie de leurs transferts et de l’assistance militaire.

De façon d’ailleurs assez hypocrite, puisque,  malgré l’aggravation des brutalités, de nombreux États n’ont pas tardé à reprendre la livraison d’équipements susceptibles d’être utilisés aux fins de répression interne.

En août 2013, quelques jours après les massacres des places Rabaa al Adawiya et al Nahda, où près de 1 000 personnes ont été tuées au cours d’une seule journée, Amnesty International a recueilli des informations attestant de la poursuite de livraisons d’armes à feu militaires, de fusils, d’armes antiémeute, ainsi que de munitions et de projectiles destinés à ces armes, de véhicules blindés et d’hélicoptères militaires.

Ce matériel a notamment été vendu par l’Allemagne, la Chine, Chypre, l’Espagne, les États-Unis, la France, l’Italie, la République tchèque, la Serbie et la Turquie.

Le 21 août 2013, lors d’une réunion du Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne (UE), les États membres ont convenus de « suspendre les licences d’exportation vers l’Égypte de tous les équipements qui pourraient être utilisés à des fins de répression interne.

Ils ont également déclaré que « les opérations menées récemment par les forces de sécurité égyptiennes étaient disproportionnées et [avaient] causé un nombre inacceptable de morts et de blessés ». La mesure de suspension prononcée par l’UE a été reconduite l’année suivante, le 10 février 2014.

Pourtant, sur l’année 2014 seulement, les États de l’UE ont accordé 290 licences pour des équipements militaires destinés à l’Égypte, pour un montant total de 6 milliards d’euros.

Ces équipements incluaient notamment des armes légères et de petit calibre et leurs munitions, des véhicules blindés, des hélicoptères militaires, des armes plus lourdes destinées aux opérations militaires et antiterroristes, ainsi que des technologies de surveillance.

D’après les données disponibles publiquement sur les transferts d’armements, il apparaît qu’au moins 12 des 28 États membres de l’UE ont peut-être fait fi de la décision du Conseil et ont continué de livrer des armes susceptibles de servir à la répression interne.

Au vu de l’ensemble des éléments présentés par le rapport de ses enquêteurs, Amnesty International demande la fin immédiate de tous les transferts de matériel sécuritaire à l’Egypte.

Mais peut être et surtout, il faut plus de transparence et un contrôle renforcé sur les ventes d’armes, notamment de la part du parlement. Un chantier pour un gouvernement qui s’apprête à célébrer le 70ème anniversaire de la DUDH, signée à Paris  en décembre 1948.

L’Egypte avait fait partie des 43 premiers signataires…

Source : Amnesty International 15/10/2018

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