L’hôpital public est à saturation. 120 services d’urgence sont contraints de fermer leurs portes ou de s’y préparer. Des soignants alertent sur les conséquences graves à l’approche de l’été et appellent le gouvernement à prendre au plus vite des mesures efficaces.


 

La dégradation des hôpitaux publics n’est pas récente, « elle est la conséquence des politiques d’austérité depuis des décennies », comme le souligne le collectif inter-hôpitaux. La désorganisation et les conditions de travail qui en découlent n’ont fait qu’empirer, provoquant des départs en cascade.

Les associations d’urgentistes, syndicats et collectifs inter-hôpitaux, qui alertent depuis plusieurs années, n’obtiennent pas de réponses efficaces de la part du gouvernement. L’arrivée des congés d’été, alors que la situation est déjà très critique en matière d’hospitalisation et de capacité de fonctionnement des urgences, fait plus qu’inquiéter. Le Pr Rémi Salomon, président de la conférence médicale des Hôpitaux de Paris (AP-HP) explique à francetvinfo qu’« il y a un risque imminent de rupture d’accès aux soins. C’est déjà en train de se produire et ça risque de s’aggraver de manière assez considérable pendant l’été, au moment des congés ». Et Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUHF) accuse les pouvoirs publics de vouloir « créer une situation de chaos pour fermer des structures ».

Dans toute la France, les équipes sont épuisées physiquement et psychologiquement, les arrêts maladie se succèdent et des services ferment par manque de personnel. « Des milliers de postes vacants, des lits et des blocs opératoires fermés », témoigne le collectif inter-hôpitaux dans un communiqué.

 

Urgences : de nouvelles fermetures et limitations d’activité

Au moins 120 services d’urgence limitent déjà leur activité ou s’y préparent (« délestages » sur d’autres hôpitaux, accès filtrés par les Samu). Selon une liste établie par l’association Samu-Urgences de France (SudF) que l’AFP s’est procurée, cette démarche doit toucher pratiquement 20 % des quelque 620 établissements — publics et privés — hébergeant un ou plusieurs services d’urgences. Aucun territoire n’est épargné, 60 départements dans toutes les régions, sans compter la Corse, les Antilles et la Guyane et 14 des 32 plus gros hôpitaux français (CHU et CHR) figurent sur cette liste.

Quelques exemples: le CHU de Bordeaux n’accueillera désormais que les cas jugés « graves », entre 20h00 et 08h00 et préalablement confirmés par le 15. Pour combler le manque de personnel, le service avait déjà fermé 8 des 20 boxes aux urgences, précise le Pr Philippe Revel, chef de service, à Sud-Ouest. À Grenoble, le syndicat des médecins hospitaliers SNMH-FO craint un « risque de fermeture » la nuit « à très court terme » car « de nombreux médecins quittent le service ». À Chinon (Indre-et-Loire), « l’activité des urgences est carrément suspendue depuis mercredi car la plupart des infirmières du service sont en arrêt maladie et la maternité n’assure plus les accouchements », écrit la Dépêche. La liste est malheureusement loin d’être exhaustive.

 

Accès aux soins : perte de temps = perte de chance

Côté patients, les témoignages sont nombreux et ils confirment les alertes des soignants de l’hôpital public. Accidents, crise d’asthme, douleurs abdominales, Covid… l’attente pour les soins peut durer jusqu’à 10 heures lors des pics et la situation est pire dans les territoires d’Outre-mer.
Les malades sont alignés sur des brancards dans les couloirs, les salles d’attente sont bondées. Le personnel est débordé entre soins et recherche de lits vacants. Des patients, estimés en état d’aller consulter ailleurs, sont renvoyés après passage devant un infirmier; le but est de « réguler », de se décharger des cas les moins graves sur d’autres structures, urgences hospitalières et privées, SOS médecins et généralistes libéraux.

Si les urgences sont surchargées, c’est aussi car une prise en charge rapide par les cliniques privées ou par les médecins traitants n’est pas possible : « La médecine de ville, libérale, est en crise : il n’y a pas assez de médecins généralistes, donc les gens se tournent vers les urgences », explique à France 3 Centre-Val de Loire, Matthieu Lacroix, porte-parole des médecins urgentistes en grève d’Orléans.
Qui plus est, les services d’urgence dans les cliniques privées se font rares et nécessitent d’avancer le tiers payant ou de régler les dépassements d’honoraires pratiqués par les spécialistes.

Qui peut ignorer la difficulté d’accès aux soins à l’hôpital public ? Pour un rendez-vous avec un spécialiste ou des suivis médicaux (traitements, examens, etc.), il faut attendre des semaines, voire plusieurs mois, toutes spécialités confondues, imagerie médicale et chirurgie. De nombreuses déprogrammations d’opérations sont décidées pour libérer des lits. « C’est l’ensemble de l’hôpital qui craque […] tous les dysfonctionnements à la fois de l’hôpital et de la ville arrivent aux urgences, on ne peut plus faire », explique Patrick Pelloux.

Pour l’urgentiste, les mesures prisent par le gouvernement, notamment le service de filtrage pour freiner la fréquentation des urgences, n’ont rien amélioré. Il prédit pour la période estivale « des décès inopinés et involontaires de patients » : « Il va y avoir des morts, je ne fais pas les Cassandre, je ne cherche pas à faire peur, c’est juste une réalité.» Car plus le délai de prise en charge est retardé, plus la perte de chance de survie ou la consolidation est importante.

Patrick Pelloux a d’ailleurs averti la nouvelle ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon, lors d’une réunion de crise le 20 mai dernier : les médecins et les personnels n’ont pas à porter devant la justice la responsabilité des conséquences de cette crise majeure sur les patients : « Il faudra que ce soit une responsabilité collective. L’État a comme responsabilité, dans les textes de loi, un service d’urgence ouvert H24. Ils ne le respectent pas. Quand ils ont signé le fait que tout Français devait être à moins de 30 minutes d’un service d’urgence, l’État ne le respecte pas. »

 

 

Le CHU Pellegrin de Bordeaux fait partie des établissements de santé ayant dû opter pour une régulation d’accès à ses urgences.

 

 

Les raisons du renoncement des personnels hospitaliers

La fuite des personnels soignants s’est accéléré avec la crise du Covid 19 (défaut de matériel, écart de rémunération avec la médecine de ville, pas d’augmentation des permanences de soins ni sur la rémunération du travail de nuit, mutualisation des personnels, excès de bureaucratie…). Les conditions de travail épouvantables provoquent « isolement, peur de l’erreur, perte de l’estime de soi, déshumanisation et burn out, affirme le collectif inter-hôpitaux. Regardons les choses en face : qu’ils soient infirmiers, aides-soignants ou médecins, les jeunes diplômés se projettent aujourd’hui partout ailleurs mais pas à l’hôpital public. » Les personnels de santé se sentent abandonnés et le Ségur de la Santé est majoritairement considéré comme un échec.

 

Quelles sont les solutions ?

Syndicats, associations et collectifs hospitaliers dressent une liste des solutions les plus urgentes : revoir un management axé « sur la rentabilité des services et l’humiliation », limiter la tarification à l’activité (T2A)1; pour faire revenir les médecins à l’hôpital : obliger les doyens des facultés à augmenter de 50 % le nombre d’étudiants reçus en première année de médecine; études : plus de places pour les étudiants infirmiers et médecins et plus de formateurs; revaloriser les gardes et le travail de nuit en créant une égalité de salaire pour tous; rémunérer les infirmières, les aides-soignants et les ambulanciers quand ils sont dans leur deuxième ou troisième année de formation; réintégrer le personnel non-vacciné contre le Covid 19; mettre en place des quotas de personnels nécessaires dans chaque unité de soin et des ratios de sécurité : 1 infirmier.ère pour 15 malades ce n’est plus possible (1 pour 4 à 1 pour 8 à l’étranger); embaucher du personnel essentiel, secrétaires, brancardiers, coursiers, logisticiens; restaurer une Sécurité sociale solidaire…

Par ailleurs, le collectif inter-hôpitaux souligne dans un communiqué de presse : « la stratégie actuelle est de pallier les déficits de personnels en payant une fortune des intérimaires non formés au détriment du personnel actuel peu valorisé. […] La piste qui vise à avancer le calendrier des diplômes, comme l’a suggéré la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) le 17 mai 2022 à Santexpo2,pour avoir des ressources pas trop tardivement dans l’éténe résoudra rien, les conditions de travail étant la cause des difficultés de recrutement. »

Pour Patrick Pelloux, « Rien n’est sorti » de la réunion avec Brigitte Bourguignon. Il ne s’agit pas de « rééquilibrer entre la ville et l’hôpital comme le suggère le gouvernement » mais de travailler « ensemble dans le souci du service public et de l’intérêt général », souligne-t-il.

 

Vers un accès aux soins à deux vitesses

Malgré les difficultés budgétaires qui ont toujours existé et l’augmentation des fréquentations due à la crise sanitaire, l’hôpital ne doit pas devenir une entreprise qui ne serait accessible qu’à ceux qui en ont les moyens. « Le soin n’est pas une marchandise s’échangeant entre le public et le privé » et « le cri des soignants doit être entendu », proclame Philippe Bizouarn, médecin-anesthésiste réanimateur au CHU de Nantes, dans une tribune.

L’été s’annonce malheureusement plutôt sombre pour l’hôpital : fermetures, restrictions, soignants en congés, personnel intérimaire, afflux de touristes, canicule… Les délais d’accès aux soins augmentent d’autant plus que les services encore ouverts sont saturés. Si des mesures concrètes ne sont pas prises rapidement, ce seront les plus fragiles, les pauvres, mais aussi les malchanceux qui seront particulièrement touchés.

L’hôpital public s’éloigne de plus en plus de ses valeurs collective, sociale et humaniste, de son engagement dans l’accès aux soins pour tous les citoyens sans discrimination. Fondement de la société solidaire, s’il s’effondre « c’est le service public, le service rendu aux patients qui s’écroule », comme l’a déclaré Patrick Pelloux.

Pour aller plus loin, la santé, physique et psychologique, n’est-elle pas le fondement de la cohésion sociale, du bien-être, de la productivité et de la prospérité ? De bonnes relations et conditions de travail, un logement digne, une alimentation et un environnement sains, la pratique d’un sport, toutes ces données contribuent au maintien de notre forme et pourraient diminuer à l’avenir la fréquentation des hôpitaux.
Alors pourquoi ne pas changer de système pour un système préventif « qui ne rendrait pas  malade » ?

Sasha Verlei

 

* De 2005 à 2006, Jean Castex, directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, participe à la restructuration du système hospitalier et introduit la notion d’objectif, de rentabilité et de rationalisation des coûts. Il promeut la gouvernance administrative de l’hôpital et, notamment, la tarification à l’activité T2A qui va déshumaniser l’hôpital et en faire une usine à soins. À sa suite, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé de 2007 à 2010 (présidence Sarkozy, gouvernement Fillon) mettra en place la loi Hôpital Patient Santé Territoire (HPST) dite loi Bachelot, promulguée en 2009. La loi Bachelot a précipité l’hôpital dans un goulot d’étranglement, un hôpital étranglé par « un système devenu comptable », selon les termes du Chef de l’État en 2018.

 

Avec AFP, France Bleu, Sud-Ouest, la Dépêche, francetvinfo.

Notes:

  1. La tarification à l’activité est le mode de financement des hôpitaux en France. Avant, ils bénéficiaient d’un budget global sans rapport avec le nombre d’actes effectués dans leurs murs. Depuis la mise en place de la T2A en 2005, chaque séjour d’un patient est rentré dans une base de donnée informatique et chiffré précisément en fonction des actes pratiqués pendant le séjour et des diagnostics de maladie. Sont évalués les actes de médecine et de chirurgie accomplis, la rapidité de guérison d’un patient, la durée du séjour à l’hôpital, et le nombre de points obtenus (ISA Indice Synthétique d’Activité calculé par le ministère de la Santé, qui mesure en France la production des établissements médicaux et hospitaliers) permet au service d’être doté de moyens supplémentaires ou au contraire d’être amputé d’une partie de son budget.
  2. Labellisé dans le cadre de la PFUE (Présidence Française du Conseil de l’Union Européenne), le Salon SANTEXPO rassemble les acteurs de la santé venus de tout le continent pour réfléchir aux nouveaux chantiers de l’Europe de la Santé à l’heure des risques globaux.
Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.