Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, annonçait le 9 mars dernier la dissolution du Collectif Palestine Vaincra de Toulouse mais ce dernier a présenté un recours devant le Conseil d’État. Rencontre avec Tom Martin, ex-militant du Collectif Palestine Vaincra et membre du Comité contre la dissolution du CPV.


 

Expliquez-nous ce qu’est le Collectif Palestine Vaincra

Notre collectif de soutien au peuple palestinien a été fondé en mars 2019 autour de l’objectif de la défense de la résistance palestinienne, de la libération de la Palestine de la mer au Jourdain, et du retour des réfugié.e.s. Un des éléments centraux est l’appui aux prisonniers politiques palestiniens parce que le collectif fait partie du réseau Samidoun1, avec comme membre d’honneur Georges Ibrahim Abdallah, un combattant communiste et révolutionnaire libanais de la cause palestinienne emprisonné en France depuis 1984.

 

Depuis un certain temps une épée de Damoclès pesait au-dessus du collectif, pouvez-vous nous rappeler les menaces que vous avez reçues ?

En février 2021, le ministre de la Défense israélien, Benny Gantz, avait classifié Samidoun et le Collectif Palestine Vaincra d’organisations terroristes. Suite à cette classification, plusieurs officines pro-israéliennes ont lancé en mars une campagne pour réclamer la dissolution du collectif. Elle a été relayée progressivement par des parlementaires de La République en Marche et la mairie de Toulouse. Au bout d’un an de campagne, le ministre de l’Intérieur a annoncé la dissolution du Collectif Palestine Vaincra.

En parallèle, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), principal lobby pro-israélien dans le pays, a multiplié les attaques contre le CPV, notamment en juillet 2020 ; il avait menacé, à demi-mot, dans les colonnes de La Dépêche-du-Midi, les activités du Collectif Palestine Vaincra.

Mais en dépit de ces menaces, toutes nos actions qui étaient autorisées par la Préfecture se sont déroulées sans aucune perturbation.

 

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, annonçait le 9 mars dernier la dissolution de votre organisation, dans quel contexte est-elle intervenue et quels sont les arguments officiels qui l’ont motivée ?

Le 24 février, quelques heures avant le dîner du CRIF, Darmanin faisait cette annonce et dans son discours devant le CRIF, le premier ministre Jean Castex déclarait que : « Jérusalem est la capitale éternelle du peuple juif ». Cette déclaration est une remise en cause de la position de la diplomatie française et un alignement sur l’extrême droite israélienne. On voit que dans tout le quinquennat, le gouvernement de Macron a démultiplié les attaques contre le mouvement de solidarité avec la Palestine. L’appel à la haine, à la violence et l’antisémitisme sont les arguments qui ont été avancés pour cautionner la dissolution.

 

Et selon vous, quelles en sont les raisons profondes ?

En fait, il s’agit pour eux de vouloir réduire au silence une organisation anti-colonialiste et anti-impérialiste très active sur Toulouse, qui porte une alternative claire et conséquente à la colonisation de la Palestine.

 

L’amalgame est souvent fait par vos détracteurs entre antisémitisme et antisionisme, que répondez-vous à cela ?

Cet amalgame est scandaleux et instrumentalise la nécessaire lutte contre l’antisémistisme. Nous sommes antiracistes et antisionistes.

 

Et c’est quoi être antisioniste ?

C’est être antiraciste et anticolonialiste, parce que le sionisme est une idéologie colonialiste et raciste qui vise à développer une colonisation de peuplement sur les terres de la Palestine. C’est une politique d’apartheid, de nettoyage ethnique et une forme de sociocide2, c’est-à-dire la destruction de l’identité d’un peuple.

 

Un comité de soutien s’est créé autour du Collectif Palestine Vaincra mais aussi de ce qu’il nomme « l’offensive sécuritaire », pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ?

Le comité, regroupant une trentaine d’organisations toulousaines, constate que l’attaque contre le collectif concerne l’ensemble des organisations progressistes, démocratiques et antiracistes. Depuis le début du quinquennat Macron, on a vu une radicalisation de lois liberticides et autoritaires et une intensification de la répression, que ce soit dans les quartiers populaires ou dans les manifestations des Gilets jaunes. Il y a eu des nouvelles lois sécuritaires comme celles sur le séparatisme et la sécurité globale. Puis la dissolution de nombreuses associations3, majoritairement musulmanes ou antiracistes.

 

Une semaine de mobilisation pour soutenir votre collectif est prévue jusqu’au 25 avril, sous quelle forme ?

Cette semaine de mobilisation a lieu juste avant l’audience, le 26 avril, devant le Conseil d’État. L’objectif est que le maximum de personnes et d’organisations affichent leur solidarité, que ce soit par des photos, des déclarations de soutien, des rassemblements — comme celui du 21 avril, 18h30, à Toulouse, Jean-Jaurès. On a déjà reçu des photos depuis la Suède, l’Allemagne, le Canada, les États-Unis, les Pays-Bas, la Belgique, la Suisse. Nous avons aussi prévu des collages contre la dissolution et la criminalisation du mouvement de solidarité avec la Palestine. Il y a aussi une collecte pour aider à financer cette campagne.

 

Vous avez déposé un recours suspensif devant le Conseil d’État qui se prononcera le 26 avril, qu’en attendez-vous?

Nous avons fait deux démarches : le recours pour la suspension de la procédure de dissolution d’une part, et d’autre part le dépôt de recours en annulation qui sera étudié dans un an. On attend que le Conseil d’État respecte la liberté d’association et la liberté d’expression en remettant en cause cette décision liberticide.

Propos recueillis par Piedad Belmonte

 

un crédit photo – Klaus-Henrik Andreasen – altermidi

Notes:

  1. Samidoun (Palestinian Prisoner Solidarity Network) est un réseau international de solidarité avec les prisonniers palestiniens.
  2. Pour Saleh Abd el Jawwad, politologue palestinien, le sociocide des Palestiniens comporte deux aspects : le premier, brutal, avec la Naqba de 1948 et la destruction physique des villages palestiniens. Et le deuxième, plus lent et continu, consistant à faire disparaître la mémoire et le souvenir de la société palestinienne. D’après Marianne Blume, de l’association belgo-palestinienne, qui a vécu dans la bande de Gaza de 1995 à 2005, le sociocide consiste en une destruction systématique de l’espace, du paysage, des maisons, de la politique, de l’économie, de la force de résistance mais aussi de la culture palestinienne.
  3. Dont notamment le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), Nantes Révoltée (média indépendant), La Gale (groupe antifasciste lyonnais), le Comité action Palestine de Bordeaux.
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin