Présenté le 16 juin dernier au Conseil des ministres, le projet de loi sur la protection de l’enfance est en cours d’examen à l’Assemblée nationale.


 

Les principaux points de ce texte auraient pour finalité “de mieux protéger les enfants contre les violences” et de “mieux piloter la politique de prévention et de protection de l’enfance”, avec la priorité du placement dans la famille de l’enfant, la normalisation de l’évaluation des situations de danger sur l’ensemble du territoire, ou encore une infime amélioration des conditions de travail et de rémunération des familles d’accueil… Néanmoins ce texte est aussi celui qui, sous certaines conditions, autorise les placements d’enfants à l’hôtel — qui sont unanimement décriés — en faisant toutefois mine de poser une interdiction de principe… Il prévoit enfin des mesures particulièrement inquiétantes concernant les mineur.e.s isolé.e.s étranger.ère.s.

Ce projet de loi, établi et discuté dans la précipitation, le gouvernement ayant encore une fois recours à la procédure accélérée, ne permet pas de garantir suffisamment l’intérêt des enfants et ne répond pas aux attentes légitimes des acteurs et actrices intervenant en protection des enfants. Il n’évoque pas la notion de prévention de l’enfance en danger et surtout le manque de moyens pour assurer l’ensemble des missions de prévention et de protection de l’enfance.

En effet, la protection de l’enfance connaît une crise profonde en raison du défaut criant de moyens et d’une politique globale de prise en charge des enfants erratique et morcelée dans de nombreux départements. Ainsi des décisions judiciaires en assistance éducative restent inappliquées ou retardées par manque de moyens humains et d’accueil ; des enfants sont laissés à domicile dans un contexte de danger avéré ou bien placés à l’hôtel faute de place en institution ; ou bien encore confiés à des structures inadaptées à leur problématique ou éloignées de leurs attaches sociales et familiales, par défaut de diversité des hébergements ou de place ; le travail indispensable d’intégration des familles dans le processus éducatif est souvent « oublié » dans le stress du quotidien de travail, etc.

Dans ce contexte particulièrement oppressant, les professionnels ne se reconnaissent plus dans des demandes centrées en permanence sur l’urgence, le chiffre et les gestions comptables à l’origine d’un épuisement psychique et physique et d’une perte de sens de leur engagement professionnel.

Ces graves dysfonctionnements ne seront pas réglés par ce texte qui élargit au contraire les possibilités de délégation d’autorité parentale à l’Aide sociale à l’enfance, amoindrissant de fait le contrôle du juge, ne garantit pas l’absence d’éloignement des enfants faute de structures de proximité et prévoit de trop nombreuses dérogations à l’interdiction d’héberger des enfants en hôtel ou en centres de vacances. Il est aussi une occasion manquée de permettre une pleine et entière assistance en justice du mineur, particulièrement vulnérable, à tous les stades de la procédure et la question de l’accompagnement des jeunes majeurs sortant de l’Aide Sociale à l’Enfance est à nouveau ignorée.

Pire, ce texte organise la scission entre protection de l’enfance et prise en charge des enfants isolés étrangers. Loin de répondre aux véritables problématiques qui rendent l’accompagnement de ces enfants discriminatoire (invisibilisation de leurs difficultés, accompagnement éducatif insuffisant, absence d’hébergement ou hébergement à l’hôtel, éloignement géographique forcé pour satisfaire les quotas par département), il organise un glissement dangereux et inacceptable de la protection de l’enfance vers la politique d’immigration.

Le recours de fait obligatoire au fichier dit « d’appui à l’évaluation de la minorité » induit une logique de contrôle, au détriment de la protection de ces jeunes particulièrement vulnérables et au risque de refuser par erreur la protection à un enfant.

Par ailleurs, ce projet de loi est discuté alors qu’entre en application, le 30 septembre 2021, le code de la justice pénale des mineurs, très contesté également, qui affiche des réponses fermes et rapides au détriment du temps essentiel de l’accompagnement éducatif.

En définitive, il ne prend pas en compte la protection de l’enfant dans sa globalité. Il fait l’impasse sur la dimension pourtant essentielle de la prévention, n’évoquant aucunement certains des lieux de vie des enfants et adolescents tel que l’école.

Pour éviter ces différents écueils, nous demandons que le débat soit réorienté sur la réflexion autour d’une véritable protection de l’enfance, globale et dotée des moyens adéquats, dont les dispositions seraient réunies dans un code de l’enfance intégrant les deux dimensions que sont la protection des enfants et la prévention, dont font pleinement partie les mineur.e.s non accompagné-e-s et la justice pénale des mineur.e.s.

Tous ces enfants sont les mêmes : ils ont besoin d’un accompagnement et d’une aide cohérente et bienveillante.

Cette jeunesse reste l’avenir de notre société. Demain adulte, comment peut-elle se construire dans cet état de relégation, d’abandon, de stigmatisation qui lui est imposé ? Quels citoyens et citoyennes seront ces jeunes demain ? Il s’agit de l’urgence de leur protection immédiate, mais aussi d’un investissement humain à long terme dans la construction d’une société plus apaisée.

Organisations signataires : Conseil national des Barreaux ; Syndicat de la magistrature ; Syndicat des avocats de France ; SNPES-PJJ/FSU ; La CGT ; FSU ; Ligue des droits de l’Homme ; Solidaires ; SNUASFP FSU ; SNUTER FSU ; DEI France ; SNEPAP FSU ; Sud Santé sociaux ; Solidaires Justice ; Sud Collectivité territoriales

Paris, le 9 juillet 2021

Tribune publiée dans Libération

Dessin de Aurel Publié dans Le Monde