Un même courrier co-signé par quatre organisations syndicales du secteur de l’énergie aussi diverses que la Fédération CGT, FO Énergies et Mines, les cadres de la CFE-CGC et la Fédération CFDT, ce n’est pas si fréquent : cet exploit, le projet « Hercule » l’a réalisé. 


 

Dans une lettre ouverte aux « élus de la nation » (les parlementaires), les quatre fédérations estiment que « les projets de désorganisation et de démantèlement des deux énergéticiens français EDF et Engie s’accélèrent, bien qu’ils ne reposent sur aucun fondement politique sensé, ni véritables projets industriels procédant d’une vision stratégique guidée par l’intérêt général, et ce pour le pus grand bonheur des banques d’affaires et avec la bienveillance de l’État ». Après une première journée de grève le 26 novembre, les organisations syndicales, nullement convaincus par leurs rencontres avec le PDG d’EDF et des conseillers du Premier ministre, ont « remis ça » le jeudi 10 décembre.

Alors qu’en est-il de ce projet « Hercule » ? Il vise en fait une séparation d’EDF en trois entités distinctes : EDF « bleue », à 100 % public, serait chargé du nucléaire et du thermique (centrales au gaz et charbon),  EDF « verte » rassemblerait Enedis (société chargée de la distribution de l’électricité) et le secteur des énergies renouvelables. Ce dernier pôle, le plus rentable, serait ouvert au privé, à hauteur de 35 % dans un premier temps, tandis que le premier pôle qui nécessite des investissements très importants — notamment pour le nucléaire avec plusieurs centrales réclamant des rénovations coûteuses — resterait public. Le troisième pôle serait « EDF Azur », « constitué des concessions hydrauliques qui pourrait aussi partir vers les investissements privés », précise Sébastien Koch, secrétaire général du syndicat CGT de la centrale dite « cycle combiné gaz », de Martigues.  « On ne sait pas si EDF Azur serait rattachée à EDF bleue », s’interroge-t-il. Avec tous ces codes couleurs, on s’y perd… La construction improbable est telle que le texte intersyndical dénonce des « Meccano strictement capitalistiques »

La logique ressemble fort à celle qui a prévalu à la Poste et à la SNCF, sans que ni les agents, ni les usagers transformés en « clients » n’aient vu une amélioration de leur sort. Et que dire de la libéralisation du secteur du gaz qui s’est traduite par une explosion des tarifs depuis quelques années ?

Projet « Hercule » : un passage en force ?

 

Les fédérations syndicales de l’énergie ont choisi d’alerter les parlementaires afin d’aboutir à un véritable débat sur l’avenir d’EDF, « d’autant plus essentiel que les salariés et leurs représentants ont été privés de toute forme de débat sur l’avenir de leur entreprise, le projet Hercule relevant ainsi d’un passage en force niant toute forme de dialogue social ».

Hercule et la force, on peut toujours se dire que cela va bien ensemble. Mais encore faudrait-il que la force soit utilisée à bon escient. Ce n’est pas le constat que font les organisations syndicales.

« Sous couvert d’obligation européenne, ce projet organise la scission complète du groupe EDF, souligne Sébastien Koch, tout est lié au départ à l’Arenh1, un marché où l’énergie est mise en bourse, l’Union européenne nous oblige à mettre un quart de la production de nucléaire historique à disposition de nos concurrents qui ont peu de moyens de production, tous les ans, 100 terrawatts2 sont mis sur le marché et nos concurrents font du profit en revendant. Comme EDF en a marre de perdre de l’argent, elle essaie de négocier avec l’Union européenne un Arenh à 150 terrawatts par an. » À cela, il y aurait ce que le syndicaliste appelle « une contrepartie : l’Europe demanderait  à saucissonner la grande entreprise ».

Agents, usagers, tous perdants ?

 

Pour les fédérations syndicales, l’enjeu n’est pas seulement la perte du statut des agents EDF mais aussi les répercussions que le projet « Hercule » aurait sur les usagers. Sébastien Koch en est convaincu : « le prix de l’énergie va flamber ». Quant à la « péréquation tarifaire », soit l’électricité au même prix « que l’on soit dans une grande ville ou dans une maison difficile d’accès à la campagne, ce ne sera plus possible ». 

Et en matière de précarité énergétique, question plus sensible que jamais en période de crise, Sébastien Koch qui « collabore avec des associations caritatives » considère que « seule EDF pratique la solidarité avec l’échelonnement des factures, voire des factures annulées alors que les autres fournisseurs n’y sont pas tenus, c’est une concurrence totalement faussée ». 

Alors, organiser un vrai débat sur l’énergie ? Le message a semble-t-il été entendu… jusqu’ aux rangs du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale. Mardi 8 décembre, des députés France insoumise, PCF, PS, Libertés et territoires et LR ont tenu une conférence de presse commune à l’Assemblée nationale. Depuis cette date, les fédérations syndicales ont également interpellé l’Association des maires de France. Elles organisent une troisième journée de « mobilisation » ce jeudi 17 décembre.

                                                                                                              Morgan G.

(Photo: DR altermidi)

Notes:

  1. Accès régulé à l’électricité nucléaire historique
  2. Pour les matheux : unité de mesure équivalant à 10¹²
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"