Le syndicat Solidaires milite pour un confinement plus strict, et par là plus efficace. Une exigence de protection des salariés, doublée de lourdes critiques sur les restrictions de libertés initiées par le gouvernement. Entretien avec Thierry Juny, co-délégué départemental de l’organisation dans le Vaucluse.


 

Thierry Juny, co-délégué de Solidaires84

 

Vous demandez aujourd’hui un confinement plus dur mais dans le même temps vous vous insurgez contre les restrictions des libertés. Pouvez-vous nous  expliquer ?

Nos chers gouvernement et président nous ont dit que nous serions protégés. Ce n’est pas le cas. Nous sommes dans une situation catastrophique, notamment dans le Vaucluse avec 10 morts par jour et des hôpitaux qui arrivent à saturation. Le 9 novembre, nous avions 31 lits de réanimation dans le département, alors qu’habituellement, il y en a 5. Il y en avait 26 début octobre, et lundi dernier, alors qu’on en était à 31, on parlait d’en ouvrir 5 ou 6 de plus. Les cliniques privées ont été réquisitionnées trop tard, les labos n’ont pas été réquisitionnés… Ces mesures ne permettent pas de réduire l’épidémie. C’est la raison pour laquelle nous demandons un véritable confinement.

Parce que la réalité aujourd’hui, c’est qu’on peut aller au travail, à l’école. On peut tout faire, sauf continuer à avoir des relations sociales. Le premier confinement a été efficace. Fin août, il y avait 50 morts. En octobre, nous en étions à 10 morts par semaine, puis 20, puis 44 et maintenant 66.

Ces demi-mesures ne servent qu’à préserver les bénéfices des actionnaires et ne permettent pas de maintenir les salariés à l’abri. Ce sont les prolétaires qui meurent. Il n’y a qu’à comparer la mortalité dans le 93 avec celle du 16e… Et on assassine nos libertés avec des « mesures sanitaires ».

 

Pourtant vous avez organisé avec d’autres des manifestations en plein confinement.

Paradoxalement, les manifestations ne sont pas interdites. C’est une vraie différence avec le premier confinement. Mais en mai et juillet derniers nous avions bravé l’interdiction, comme devant l’hôpital de Carpentras, avec une manif’ non déclarée mais par groupes de 10 et en respectant les mesures barrières. Nous sommes moins exposés — lorsque nous manifestons avec des masques et qu’on a largement la place de s’étaler — que quand on prend les transports en commun pour aller au travail, par exemple. Je prends le TER tous les jours, et je croise le train qui amène les lycéens de Sorgues à Avignon, ils sont entassés les uns contre les autres. Alors c’est clair, c’est plus dangereux d’aller travailler ou au lycée que d’aller manifester. C’est notre dernière liberté, nous devons l’utiliser. Ce ne sont pas les causes qui manquent en ce moment. Le 12 novembre, ils étaient 200 à l’appel des syndicats d’enseignants, le 14, nous étions encore 200 pour demander plus de moyens pour l’hôpital et les soignants, le 21 novembre, Osez le Féminisme organise une manifestation contre les violences faites aux femmes, du commissariat au tribunal d’Avignon, le 5 décembre, ce sont les précaires qui seront dans la rue, les sans papiers le 18… Du côté de Solidaires, nous réfléchissons pour monter une initiative pour dénoncer la fascisation de la société qui a lieu sous nos yeux.

 

Fascisation. Vous pensez que le gouvernement de Macron va vers une dérive autoritaire ?

Nous avons passé de nombreux paliers dans ce sens, il est presque trop tard. C’est un mouvement déjà en marche depuis des décennies. Nous en sommes à 30 lois sur la sécurité intérieure en 10 à 15 ans. Tous les gouvernements sont allés sur le terrain de l’extrême-droite, et aujourd’hui, nous vivons une sorte d’accélération. La dernière loi sur la sécurité prévoit des amendes et de la prison pour ceux qui « sèmeraient le trouble » dans les universités. Mais tout peut être assimilé à un trouble, la distribution de tracts contestant les directions, les interventions en amphi pour expliquer des luttes en cours, alors que depuis 1968, les universités étaient des lieux de libre expression. Tout a été mis en place pour un Etat à la chinoise, et c’est du pain bénit pour l’extrême-droite, en embuscade du pouvoir. Ils ont d’ailleurs voté tous les durcissements sécuritaires contenus dans ces lois. On le dit souvent, mais les Français risquent de finir par préférer l’original à la copie. Ces lois légitiment en tous cas les idées d’extrême-droite et laissent finalement entendre que ce sont eux les détenteurs des solutions.

 

Mais… ce n’est pas exactement la même chose…

Quand il y a eu Chirac-Le Pen en 2002, avec 82 % de voix pour Chirac, ce n’était pas pareil que le résultat de Macron face à Le Pen en 2017. Depuis, en plus, les gilets jaunes sont passés par là. Le macronisme n’est plus qu’un mouvement qui tient par l’argent public récolté aux élections législatives. On a vu comment aux municipales ils se sont écroulés, puis leur gestion de la crise… Leur jeu est d’arriver au second tour avec le RN en face, il y a donc bien un risque que l’extrême droite arrive au pouvoir, et ils auront des lois taillées sur mesure. Par exemple, le  Sénat vient de faire passer un amendement liberticide dans la loi LPR1. Dans la loi de financement de la Sécurité Sociale, la droite a même profité de l’occasion pour glisser la réforme des retraites.

 

Nous sommes pourtant en démocratie

En démocratie ? Alors que l’on passe cette réforme des retraites en douce, qu’on gouverne par ordonnances, que l’on détruit le code du travail. Nous devons continuer à nous lever contre tout ça.

Mais c’est difficile, la pauvreté augmente de façon très nette, avec la peur du chômage. Si on reste confinés à Noël, il va y avoir de nombreuses faillites. Beaucoup de commerçants, sans le chiffre d’affaires de Noël et les soldes de janvier courent à la catastrophe. À côté de ça, le chiffre d’affaires des Carrefour et des Auchan a augmenté de 9 %. Et aujourd’hui Carrefour met ses employés en chômage partiel. Amazon a triplé ses bénéfices depuis le premier confinement, selon le Canard Enchaîné. Nous, nous voulons que l’on interdise à Amazon de vendre ses « merdes ». L’État ne soutient que les grands groupes.

 

En plus du virus, il y a la peur qui rend difficiles les mobilisations, non ?

Il y a surtout une absence de socialisation, les gens se retrouvent isolés. On est bien dans la distanciation sociale. On peut être serrés dans les transports mais on ne peut plus rien faire d’autre que travailler. On ne va pas pouvoir réveillonner avec sa famille. Les effets psychologiques délétères et lourds sur le moral des Français ont été sous-estimés. Sans compter les discours contradictoires sur les masques, qui d’abord ne servent à rien, puis qu’on fait porter aujourd’hui aux enfants dès 6 ans. Les gens n’ont plus confiance. Nous sommes coupés de nos proches, des drones sont dans les rues pour vérifier que le confinement est respecté. En face de ça, on ne peut plus filmer les flics, les journalistes sont empêchés de documenter les dispersions des manifs. L’État sait qu’il a perdu la bataille de l’information sur les « violences légitimes ». Dans le film de David Dufresne, on voit bien que le rapport à cette violence change.

 

Les lois sécuritaires menacent nos libertés ?

Ces lois visent même la presse. Les journalistes risquent la garde à vue s’ils n’évacuent pas au moment des ordres de dispersion. On voit des violences contre les journalistes surtout depuis 2016 et les manifs contre la loi travail, quand Valls était ministre de l’Intérieur. Les journalistes sont des témoins, des observateurs, et jusqu’ici ils avaient le droit de filmer et d’informer, c’est l’intérêt général, c’est ce que dit la Cour de justice européenne.

Nous devons porter cela vers la justice européenne, et vite, Solidaires, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et les syndicats de journalistes. Parce qu’à côté de ça on a des chaînes comme Cnews ou BFM sur lesquelles des chroniqueurs orientés commentent les images de manifestations. La République n’est peut être plus une démocratie, surtout aujourd’hui. Démocratie représentative ? C’est surtout une classe qui gouverne et qui se reproduit sans cesse, et c’est valable pour le RN avec la famille Le Pen.

 

Que faut-il faire alors ?

Macron, en mars dernier, a évoqué des décisions de rupture. Nous disons « chiche » ! Pendant le confinement précédent, ce sont surtout les petites entreprises qui ont perdu du chiffre d’affaires. C’est encore elles qui vont « morfler », et ce sont elles qui créent l’essentiel des emplois. Nous, les salariés, devons rappeler que c’est nous qui produisons et mourons, alors c’est à nous de décider. Imposons des décisions de rupture, et reprenons le contrôle au lieu de dériver vers une société du contrôle. La gauche doit arrêter ses querelles de chapelles et d’ego, comme on le voit avec, déjà, des annonces pour les présidentielles et les réactions que cela provoque. En l’état, il risque de ne pas y avoir un candidat unitaire à gauche et on risque de se retrouver avec un second tour Macron-Le Pen.

Pour l’instant, ce que nous disons aux salariés, c’est :  « battez vous, et restez chez vous au lieu d’aller bosser ».

Et je me permettrais de citer Louise Michel : « le pouvoir est maudit ».

Christophe Coffinier

Notes:

  1. Loi de programmation de la recherche
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Passionné depuis l’âge de 7 ans, de photo, prise de vue et tirage, c’est à la fin d’études de technicien agricole que j’entre en contact avec la presse, en devenant tireur noir et blanc à l’agence avignonnaise de la marseillaise. Lors d’un service national civil pour les foyers ruraux, au sein de l’association socio-culturelle des élèves, c’est avec deux d’entre eux que nous fondons un journal du lycée qui durera 3 ans et presque 20 numéros. Aprés 20 ans à la Marseillaise comme journaliste local, et toujours passionné de photo, notamment de procédés anciens, j’ai rejoint après notre licenciement, le groupe fondateur de l’association et suis un des rédacteurs d’Altermidi, toujours vu d’Avignon et alentours.