Les critiques du parti d’extrême droite Vox sur la gestion du gouvernement de la crise du coronavirus se transforment en “caceroladas” [casseroles] quotidiennes et en une manifestation automobile dans le centre de Madrid.


 

La politique espagnole se polarise de jour en jour. La crise du coronavirus élargit de plus en plus l’écart entre la gauche et la droite espagnoles, avec un Congrès où les débats renvoient davantage à une bagarre de rue qu’à un dialogue entre politiques. À l’origine de la détérioration du climat politique, le parti d’extrême droite Vox profite de la pandémie pour accuser le gouvernement à la fois « d’imposer une dictature » et de « restreindre la liberté », n’hésitant pas à qualifier le président du gouvernement, Pedro Sánchez, d’ “assassin”.

Pour la première fois en Espagne, la stratégie d’extrême droite s’est traduite par une mobilisation citoyenne. Tout a commencé dans le quartier de Salamanca, l’une des enclaves les plus privilégiées de Madrid, avec un revenu moyen très élevé et un haut pourcentage de votes à droite. Il y a quelques semaines, encouragés par des groupes ultra-catholiques étroitement liés à la droite représentée par Vox, ils ont commencé à sortir massivement dans la rue pour protester contre le gouvernement.

Cette partie de la population organise des “caceroladas”, c’est-à-dire des concentrations où tous les manifestants ont des casseroles sur lesquelles ils frappent avec des ustensiles pendant une quinzaine de minutes pour exiger la démission du gouvernement. C’est un geste qui, à l’origine, vient de la gauche, utilisé surtout pour protester contre la monarchie et les cas de corruption qui ont entouré l’ancien roi, Juan Carlos I. Mais l’extrême droite a fait changer le sens des “caceroladas” qui font maintenant partie de leur patrimoine.

Les cris de protestations sont une litanie de lieux communs : « gouvernement social-communiste », « liberticide », « totalitarisme »… le discours n’est pas nouveau : depuis la formation du gouvernement de coalition entre le Parti socialiste et Unidas Podemos, les secteurs les plus réactionnaires assurent que l’Espagne va devenir le Venezuela et ils comparent Pedro Sánchez à Nicolás Maduro. Ce discours a été renouvelé et renforcé avec la pandémie jusqu’à atteindre des sommets. Le cri le plus répété est « liberté », le même que les “trumpistes” les plus exaltés crient aux États-Unis pour demander la réouverture de l’économie, et aussi le mot avec lequel Vox a appelé à manifester samedi dernier en plein état d’urgence.

Le 23 mai dernier, l’image était puissante ; des milliers de manifestants à bord de leurs véhicules ont réclamé une prétendue « liberté » que le gouvernement leur a, selon eux, enlevée. Des drapeaux espagnols et franquistes étaient arborés à bord de voitures de luxe lors d’une manifestation à faible participation (seulement 6000 personnes) mais qui a permis de bloquer totalement le centre de Madrid. Au centre de ce grand embouteillage, un bus avec l’ensemble des dirigeants de Vox, dont Santiago Abascal, circulait entre les voitures comme s’il s’agissait de l’équipe nationale et qu’ils venaient de remporter la coupe du monde de football.

Le président de Vox a profité de l’occasion pour assurer à l’exécutif que le « désir de liberté » des citoyens était « imparable » et a appelé les gens à maintenir les manifestations dans les rues contre un gouvernement « criminel » qui est « incapable » de protéger son peuple. Ces manifestations motorisées se sont reproduites dans des villes comme Séville ou Valence, bien qu’aucune concentration ne rassemblait plus de 5000 personnes.

 

Les quartiers populaires face à l’extrême droite

 

Madrid est traversée par une brèche, une sorte de frontière invisible qui divise la ville entre le nord et le sud. Ces derniers jours, il suffit de regarder les actualités ou les réseaux sociaux pour voir plus clairement cette fracture. Dans les quartiers les plus riches, les sympathisants de la droite et de l’extrême droite manifestent, avec leurs casseroles et leurs drapeaux espagnols, contre les mesures de l’état d’urgence. Pendant ce temps, dans d’autres quartiers plus populaires, les résidents qui veulent exiger l’amélioration de la santé publique commencent à s’organiser.

À Vallecas, l’un des quartiers ayant la plus longue tradition ouvrière à Madrid, les habitants ont organisé une « promenade antifasciste populaire » et à Moratalaz, ils demandent « moins de casseroles, plus de santé publique ». Sur la Plaza Elíptica (entre Usera et Carabanchel), ils proclament : « Quartiers du sud unis pour la santé publique contre l’extrême droite. » Ce ne sont que quelques-uns des appels qui ont émergé dans les quartiers populaires de la capitale et qui ont gagné en force ces derniers jours. Des villes de la périphérie de Madrid, comme Alcorcón, ont également organisé des manifestations afin de répudier les groupes de droite. Dans ces mobilisations, les manifestants ont protesté contre ceux qui sont devenus riches au détriment de leurs quartiers.

C’est précisément dans ces quartiers, où l’on proteste actuellement contre l’extrême droite, que l’on a le plus souffert de la pandémie. Seulement à Puente de Vallecas, il y a 3 fois plus d’infections que dans le quartier Centro. Et si l’on regarde les études faites par le ministère, dans ces quartiers les groupes les plus touchés sont les immigrés et les femmes dont la situation économique est plus précaire.

La différence entre les deux camps est aussi radicale que la différence des conditions de vie entre ces quartiers et villes. Alors que certains protestent parce qu’ils craignent pour leurs privilèges et critiquent les mesures sociales du gouvernement, les autres crient pour la santé publique, pour approvisionner les personnes qui en ont le plus besoin et contre la politique raciste et machiste de partis comme Vox.

Malheureusement, seuls les médias les plus alternatifs ont donné de l’importance au mouvement dans la classe ouvrière et aux quartiers populaires. Les médias officiels ont braqué leur attention sur le quartier de Salamanca en focalisant  sur une attaque hypothétique à Moratalaz où des jeunes antifascistes s’en seraient pris à un homme portant un drapeau espagnol. Dans la vidéo complète de l’attaque, on pouvait voir que celui qui avait attaqué en premier était précisément celui qui portait le drapeau, mais cela n’avait pas d’importance pour la majorité des médias.

En tout cas, l’atmosphère ne peut pas être plus irrespirable qu’en ce moment. La pandémie, au lieu d’unir, n’a fait que créer encore plus de tensions entre les idéologies.  L’extrême droite s’étant même permis d’appeler à un coup d’État contre le gouvernement démocratiquement élu dans les urnes. Une dérive très dangereuse dont nous ne pouvons pas encore pleinement connaître les conséquences.

Nicolas Pan Montojo

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(Madrid, 1994). Journaliste et politologue, spécialisé dans la politique internationale et l'environnement. Je m'intéresse à pratiquement tout, de la musique et du cinéma aux droits de l'homme et à l'économie, mais surtout je crois au journalisme engagé, qui dénonce les inégalités et essaie de trouver les clés aux problèmes actuels.