La vidéo d’un témoin montre un envoi de grenade à tir tendu, conclu par de très graves blessures. La sauvegarde des images de vidéo-surveillance aurait une valeur capitale dans l’établissement de la vérité, malgré le refus de la Ville de Montpellier.


 

Le mardi 10 décembre 2019 à 16h30, en marge des manifestations contre la réforme des retraites, le spectateur d’un cortège étudiant traqué par la police s’effondre, après avoir été frappé par un projectile de très forte puissance. Il souffre de micro-fractures de l’os frontal. Le fragment osseux le plus développé mesure 14 millimètres. Les médecins ont établi que cette blessure très grave risquait de provoquer des désordres récurrents, pouvant nécessiter une suite indéfinie de retours précipités en service des urgences.

 

Des images circulant sur le net, avec les captations sonores correspondantes, font constater les longues minutes pendant lesquelles les forces de l’ordre interdisent à des secouristes de s’approcher de la victime gisant au sol.

En conférence de presse ce vendredi 20 décembre, la section montpelliéraine de la Ligue des Droits de l’Homme a rendu publiques d’autres images dues à un témoin de la scène. Plus précisément, c’est Jean-Jacques Gandini, avocat honoraire, qui s’est exprimé. Il est le co-coordinateur de la Legal Team de cette organisation, sachant que cette branche spécifique compte parmi la dizaine d’observatoires des violences policières répartis sur le territoire national. Dans ce cadre, des observateurs sont mandatés pour opérer sur les théâtres d’opérations de maintien de l’ordre. C’est l’un d’eux qui a précisément décrypté les images données à voir.

Lesquelles permettent de distinguer successivement cinq projectiles tirés à travers l’ouverture de l’Arc de Triomphe du Peyrou, en direction de l’esplanade du même nom. On peut donc nettement repérer les cinq trajectoires, qui s’inclinent au fur et à mesure, de sorte que la dernière, tirée à hauteur d’homme, atteindra en plein visage une personne qui se trouve dans une zone plutôt calme et à distance, assise sur le parapet de pierre qui borde à cet endroit la sorte de pont surplombant les voies de la ligne n°4 du Tram.

Depuis ces faits, cette victime a déposé plainte pour violences volontaires, avec circonstances aggravantes d’avoir été commises par une personne dépositaire de l’autorité, et d’avoir constitué une mise en danger de la vie d’autrui. En effet, en cas de chute en arrière de cette personne, tout à fait possible en ces circonstances, celle-ci aurait été de cinq ou six mètres. On a frôlé ainsi la tragédie qui, telle celle du meurtre de Malik Oussekine, serait peut-être de nature à freiner la spirale effarante des dérives – politiquement conscientes et affirmées – du maintien de l’ordre, tout spécialement depuis le début du mouvement des Gilets jaunes.

Jean-Jacques Gandini a bien rappelé que « tout tir au niveau du visage est strictement interdit, et ce, quelques soient les circonstances ». Quant à Camille Halut, observatrice analysant les images, elle établit qu’il y a dans ce cas « vraisemblablement un tir tendu, tout aussi interdit, à l’aide d’un riot-gun Penn Arms qui devrait lancer son projectile en hauteur, de sorte que la grenade explose en l’air en rejetant ses gaz, tandis que dans ce cas on voit très bien qu’elle atteint, encore entière, le visage de la victime, en étant ainsi déviée vers le sol, où elle rebondit et poursuit sa trajectoire avec encore beaucoup de force. On peut imaginer la violence du choc frontal, avec plaie suturée de neuf points. On distingue très bien qu’il ne s’agit pas du palet, ou d’un débris, comme a voulu le faire savoir très hâtivement le service d’information et communication de la police ».

Bref il y faudrait une enquête serrée, et indépendante. La LDH assure pouvoir fournir prochainement d’autres documents, images filmées, photographies, et témoignages. Mais encore faudrait-il que le Parquet montre en ce sens un minimum de motivation : « Depuis un an, nous sommes sollicités par des victimes de violences policières. Nous avons produit plusieurs rapports extrêmement fouillés et documentés. Nous n’avons pas eu connaissance d’une seule désignation d’un seul juge d’instruction qui permettrait d’avancer sur un seul dossier ; d’aucune citation » déplore Jean-Jacques Gandini. Cela tandis que c’est par dizaines de comparutions directes, parodies de procès bas de gamme, où seules les déclarations policières font foi, que se soldent les interpellations de manifestants, conclues par plusieurs dizaines de mandats de dépôt, sur la même période, pour des faits souvent seulement matériels, et rares atteintes physiques absolument mineures.

Il faudrait aussi que les enquêtes ne se déroulent pas dans une optique systématiquement unilatérale. A ce propos, les défenseurs des droits de l’homme n’ont pas beaucoup à appuyer, pour souligner comment le propre commissaire divisionnaire Patrice Buil, pourtant personnellement auteur d’une interpellation de Camille Halut, observatrice de la LDH, et inspirateur de l’essentiel de son procès-verbal d’enquête par l’un de ses subordonnés, est venu se liquéfier, en accumulant les déclarations contradictoires sur des faits qu’il était censé venir confirmer devant le Tribunal le 10 mars dernier (à l’heure même de la nouvelle bavure en cours).

Tous les doutes sont ainsi permis sur la fiabilité, pour ne pas dire sincérité, des enquêtes de police en cette matière. Déjà pour commencer, il y a tout lieu de craindre que l’instruction ait à se passer des images de vidéo-surveillance, dont les caméras étaient pourtant idéalement placées ce mardi là, dans les parages du Palais de Justice, juste au-dessus du cordon de CRS dont sont partis les tirs. Or la Ville de Montpellier s’est refusé à accéder à la demande de l’avocat de la victime de les voir versées à l’enquête. Elle a argué du fait que seuls la police elle-même, ou le Parquet – tout sauf pressés – pouvaient effectuer cette réquisition, avant destruction automatique réglementaire dans un délai de huit jours.

Sur ce point, Jean-Jacques Gandini a estimé que dans la loi, « il y a l’esprit, et il y a la lettre », si bien que les services de la Ville de Montpellier étaient à même de décider d’une sauvegarde, dans l’éventualité d’une possible mise sous main de justice, ultérieure. Plus exactement, la demande ayant été formulée sous les formes les plus rigoureusement légales dans les délais impartis, il estime que l’avocat de la victime pourra être fondé à acter pour un délit de « destruction de preuves », non sans gravité juridique, en cas de disparition effective de ces images.

La LDH est en soi opposée à la vidéo-surveillance « qui consiste a désigner en tout citoyen un suspect ». Mais puisque celle-ci est néanmoins largement en vigueur, encore serait-il à espérer que ses images servent non seulement la rhétorique électoralistes de politiciens démagogues, mais réellement la sécurité de la population, par exemple celle d’un passant assis en train d’observer un cortège ; voire un.e manifestant.e, qui n’a au demeurant aucune raison de craindre de recevoir un projectile mutilant expédié à tir tendu, comme cela tend à devenir banal sous régime d’exception ultra-libérale autoritaire.

 

Gérard Mayen

 


Voir aussi : Montpellier. La vidéoprotection est-elle au service de la vérité ?, Dossier V comme violence,


 

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Gérard Mayen (né en1956) est journaliste, critique de danse, auteur. Il est titulaire d'un master 2 du département d'études en danse de l'université Paris 8 Saint-Denis-Vincennes. Il est praticien diplômé de la méthode Feldenkrais. Outre des chroniques de presse très régulières, la participation à divers ouvrages collectifs, la conduite de mission d'études, la préparation et la tenue de conférences et séminaires, Gérard Mayen a publié : De marche en danse dans la pièce Déroutes de Mathilde Monnier (L'Harmattan, 2004), Danseurs contemporains du Burkina Faso (L'Harmattan, 2005), Un pas de deux France-Amérique – 30 années d'invention du danseur contemporain au CNDC d'Angers(L'Entretemps, 2014) G. Mayen a longtemps contribué à Midi Libre et publie maintenant de nombreux articles pour"Le Poing", Lokko.fr ... et Altermidi.