Justice et vie sociale

Le 10 décembre à 16h30, proche de la promenade du Peyrou, un citoyen observe un rassemblement d’étudiants dans le cadre du mouvement social contre la réforme des retraites. Il est assis sur un muret, et il a vraisemblablement été victime d’un tir tendu de grenade lacrymogène au visage en provenance des forces de l’ordre, lui causant une fracture de l’os frontal. La ville de Montpellier refuse de fournir les images de vidéosurveillance et s’apprête à les détruire.

Afin d’améliorer la sécurité des communes, les élus français multiplient l’installation de vidéos de surveillance dans les rues. Cela laisse supposer qu’elles sont un moyen efficace pour lutter contre les infractions et la délinquance. À Montpellier, près de 350 caméras scrutent en permanence les faits et gestes de la population.

Les travaux du sociologue Laurent Mucchielli¹ ont démontré le manque d’efficacité de ce type de dispositif, très couteux pour le contribuable. Lorsque l’on observe le nombre d’enquêtes qui ont été résolues grâce à la vidéo de surveillance, on constate que celui-ci est extrêmement bas. On sait que l’installation de vidéos de surveillance est davantage justifiée par un sentiment d’insécurité que par un réel problème de sécurité. La vidéo, qu’elle soit de surveillance ou de protection, comporte intrinsèquement des risques pour les libertés et droits fondamentaux. La première des libertés susceptible d’être affectée est une liberté fondamentale et constitutionnelle : la liberté d’aller et venir, comme la protection de la vie privée.

La vidéo surveillance s’inscrit dans une logique de politique sécuritaire, ce que grave dans le marbre la loi dite LOPPSI 2² (loi du 14 mars 2011, loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure). En 2010, pour bonifier l’image de ces politiques sécuritaires, Brice Hortefeux, substitue au terme « vidéo de surveillance » celui de « vidéo de protection ». Un glissement sémantique qui marque le passage d’une approche de prévention dans le risque terroriste et la sécurité nationale à une conception plus large permettant la lutte contre la délinquance et le sentiment d’insécurité.

Sur un autre terrain, des associations comme La Ligue des Droits de l’Homme soulèvent les questions morales, notamment celles de la vie privée et des limites de la surveillance, considérées comme mises volontairement à l’écart du débat politique.

Dans le cas de cette affaire, le refus de fournir les images des caméras de vidéoprotection au citoyen victime de violences policières rouvre le débat sur la surveillance inégalitaire de ce système. Il interroge en profondeur sur les objectifs de ces dispositifs censés prévenir l’atteinte aux personnes et aux biens et augmenter le sentiment de sécurité. À l’exception de la violence de l’État ?

Jean-Marie Dinh

¹ Laurent Mucchielli. Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de la vidéosurveillance. Paris, Armand Colin, 2018

² loi du 14 mars 2011, loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure

 

Le communiqué de la LDH Montpellier

Mainmise de l’État sur les preuves

Dans quelle mesure une victime pourrait-elle jouir de son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement devant un tribunal si, malgré toutes ses diligences, les éventuelles preuves sont détruites par l’État ?

Le 10 décembre 2019 à 16h30, proche de la promenade du Peyrou, un citoyen alors témoin visuel d’un rassemblement d’étudiants dans le cadre du mouvement social contre la réforme des retraites a été blessé : assis sur un muret, il a été vraisemblablement victime d’un tir tendu de grenade lacrymogène au visage en provenance des forces de l’ordre, lui causant une fracture de l’os frontal et une plaie suturée de 9 points.

Des images capturées par un passant et corroborant cette hypothèse seront diffusées ce vendredi 20 décembre. Cependant, malgré un dépôt de plainte effectué le 14 décembre 2019 contre X auprès du procureur de la République de Montpellier, les services de la mairie responsables du système de vidéoprotection de la voie publique ont refusé à la victime de procéder à la conservation des images des caméras de la ville au delà du délai prévu (8 jours).

Alors que ces images lui permettraient d’appuyer l’action judiciaire, la mairie justifie son refus par une absence de demande devant émaner exclusivement du Parquet ou de la police. En réalité, cette situation révèle une mainmise totale des services de police et du procureur de la
République concernant l’initiative du traitement des preuves et donc leur conservation.

En conséquence, la LDH Montpellier appelle les acteurs des enquêtes judiciaires de la ville de Montpellier – à savoir le Parquet et la police – à faire preuve de la célérité nécessaire afin que les éléments audiovisuels indispensables à la manifestation de la vérité soient conservés et exploités, en respect du droit à un procès équitable prévu notamment par l’article 6 §1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et du Citoyen (CEDH).

LDH Section de Montpellier

 

 

Voir aussi : La LDH révèle des images des tirs mais craint que d’autres soient détruite, Dossier V comme violence,

Avatar photo
Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.