Nous avons donné carte blanche à Ludovic Bablon, un auteur qui vient de subir cinq mois de prison pour “apologie de crime” après un jugement qui affirme que ses poèmes sont “objectivement dénués de tout caractère littéraire”. Son texte apparaît édifiant pour ne pas dire révoltant, les faits, le vécu, la réflexion sur l’incarcération sont de nature à nous éclairer, en tant que citoyens, sur la réalité de notre démocratie malade. Les mots de Ludovic rendent moins crédules et plus indociles pour défendre la liberté d’expression aujourd’hui menacée en France. Ludovic continue de profiter de sa liberté et pour cela aussi, nous le remercions.


 

Par Ludovic Bablon

 

Je viens de subir plus de cinq mois de prison – dont quatre mois de “détention provisoire” et plus d’un mois de “prison ferme” après condamnation à quatre mois fermes pour une soi-disant “apologie de crime” dans des poèmes satiriques contre les flics en réaction à leur violence. 

La “justice” a encore six chefs d’accusation contre moi : j’ai osé raconter sur Facebook qu’un gendarme battait sa femme (c’est sa femme qui me l’a dit), donc il m’attaque deux fois pour diffamation ; j’ai osé insulter le procureur dont cette femme dit qu’il a refusé de prendre sa plainte, donc on m’attaque pour injure ; j’ai osé contester le jugement qui me condamnait pour “apologie de crime” alors qu’il s’agissait d’humour noir, donc on m’attaque deux fois pour “avoir tenté de jeter le discrédit sur une décision de justice” ; enfin, le plus grave, on m’accuse de “menaces de mort” contre un gradé de la police, là aussi en interprétant de travers un post d’humour noir, sarcastique, publié sur Facebook.

J’ai aussi subi 3 perquisitions à domicile cette année, et on m’a saisi en 2 fois 5 ordinateurs, 4 téléphones, 2 clés USB, 1 disque dur externe.

En tout cela fait 7 soi-disant délits (et 0 plaignant civil, tous les faits sont théoriques ou viennent de fonctionnaires d’État), la plupart du fait d’une loi datant de 1881 sur la liberté de la presse, mais aucun dommage corporel ni économique, et les dommages psychologiques restent à prouver – 0 jour d’ITT jusqu’à présent. Mes textes, même litigieux ou provocateurs, n’ont été lus que par quelques dizaines de personnes sur Facebook. Je les ai écrits parce que je trouve la situation révoltante : j’avais 18 plaintes non-traitées en cours (des plaintes pour des faits graves ayant causé des dommages corporels et économiques) quand j’ai commencé à m’énerver dans des posts et à dénoncer ces autorités qui, à mon avis, trahissent leur mission.

Pourquoi police et justice ont-elles employé les grands moyens contre des textes dénonçant des autorités, tout en ignorant superbement mes plaintes de simple civil ? Pourquoi le système a-t-il dépensé plusieurs dizaines de milliers d’euros (1 détenu coûte 100€ par jour… 160 jours de prison coûtent 16 000€… sans compter les salaires des flics, des juges, des “experts-psychiatres”, etc) pour des écrits peu lus, alors qu’il n’a strictement rien fait pour rendre la justice dans des affaires d’agression sexuelle, d’agression tout court, de violence policière, d’expulsion illégale, ou de vol ? On dirait qu’il ne fonctionne que pour se protéger lui-même contre les citoyens, et pas au service des citoyens.

Peut-être ais-je subi cette répression sévère du fait de mes activités militantes : j’étais organisateur de manifestations locales (non-violentes) de Gilets jaunes, porteur d’un projet de démocratie directe dans une ville très à droite (il fallait donc m’écarter avant les municipales ?) et je dénonçais les manquements de divers services publics (HLM, services sociaux, police / justice, etc), raisons pour laquelle la Préfecture de mon département a mis mon Facebook sous surveillance.

L’ironie de l’histoire est que la “réponse pénale”, à savoir la prison, consiste en une négation quasi totale de tous les droits et libertés : d’opinion, d’expression, de communication, de circulation, de travail, de vie sociale, et même de droit à la défense (dans un procès je n’ai pas pu demander l’aide juridictionnelle parce que je n’avais pas de timbre…) et d’accès au droit. On est enfermé en cellule 22h sur 24. Les matons nous tutoient et nous traitent avec une familiarité teintée de mépris. Les détenus de toutes catégories (braqueurs, cambrioleurs, voleurs et escrocs ; dealers et consommateurs de drogues ; agresseurs et tueurs ; agresseurs sexuels ; chauffards ; et donc, militants politiques…) s’agressent entre eux (j’ai été victime pendant 4 mois d’une campagne de diffamation collective par des détenus qui voulaient faire croire que j’étais un pédophile, m’insultaient, me menaçaient de violence et de mort, même devant des matons ; j’ai fini par porter plainte, le procureur m’a répondu qu’il mettait la police sur le coup et là… une fois de plus, j’attends toujours !!! le Directeur de la prison n’a répondu à mes messages que quand j’ai dénoncé son inaction passive auprès du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, seule autorité ayant fait son job dans cette affaire…) Il n’y a rien à faire à part regarder la télé et lire (la bibliothèque est nulle).  Par semaine on a quelques heures d’activités possibles (échecs, arts plastiques, slam…) et 1 ou 2 parloirs de 45 minutes. Une “école” est proposée, mais d’un niveau inférieur au bac (j’ai 3 diplômes dont un bac+4…) En “promenade” (des cours bétonnées de 20m² surmontées de barbelés) et en “sport” (un terrain de foot en mauvais état), les caïds et les machos font leur loi sous le regard indifférent de surveillants qui ne surveillent rien : ça fume du shit, ça s’agresse. 

Voilà donc comment l’État nous remet dans le droit chemin, en nous appauvrissant matériellement, socialement, intellectuellement, et en nous soumettant à la loi de la jungle pénitentiaire. Ce traitement de choc fonctionne-t-il ? Les taux de récidive (63% en correctionnelle) prouvent son échec : la prison est criminogène parce qu’on y fait de mauvaise rencontres et qu’on y perd tout, dignité, vie sociale, et jusqu’à ses derniers restes de confiance dans cette pseudo-justice barbare.

Si encore cette prison était légale… mais de fait elle est elle-même en infraction au principe européen de droit à l’encellulement individuel (surpopulation de 140% en maisons d’arrêt) et au principe de “dernier recours” (la prison ne devrait être infligée qu’en dernier recours en cas d’insuffisance de peines alternatives : amendes, travaux d’intérêt général, bracelet électronique). Sans compter que la prison constitue une séquestration, crime puni dans le civil par…  20 ans de séquestration.

Dans mon cas, la simple suppression des contenus litigieux aurait suffi à faire cesser les prétendus délits.

Mais au fond, pourquoi le simple fait d’exprimer des opinions et des émotions (comme la colère et l’indignation) par des mots crus sur un profil Facebook  est-il puni alors que la liberté d’expression est théoriquement garantie par les Droits de l’homme, constitutionnels ?

Et pendant ce temps, les violences policières et judiciaires, les violences sexuelles et la fraude fiscale restent massivement impunies…

 

Illustration Jacob Everett 


Ludovic Bablon

Ecrivain français né à Chaumont en 1977. Il est l’auteur de 6 livres publiés (proses poétiques, romans) ainsi que d’un feuilleton et d’articles critiques (pour le magazine littéraire Le Matricule des Anges ou la revue Europe). Son oeuvre littéraire, souvent poétique, marquée par l’autobiographie, se caractérise par la diversité de ses formes (vers libre, roman-fleuve, feuilleton, littérature grise…), de ses genres (lyrisme, épopée, autobiographie, roman historique, roman noir, pamphlet…), de ses influences (littérature japonaise médiévale, roman américain contemporain, sciences humaines, philosophie…) et de ses thèmes. Il travaille depuis 2002 à un grand projet romanesque, K.I.N.S.K.I., biographie romancée de l’acteur Klaus Kinski, dont divers extraits ont été publiés en revue ou sur Internet. Il vit et travaille actuellement à Berlin.

 


Source : Wikipédia

 

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