« Le réel a dit Lacan c’est sur quoi on se cogne. Et le réel, en France, c’est la banlieue, c’est-à-dire le lieu du ban, on bannit hors de la ville ceux dont on ne veut pas. C’est la vérité de la politique des frontières. »


 

Après un retour au calme l’heure semble venue de faire le point. Suite aux violences urbaines qu’a connu le pays, les victimes comme les commerçants dont les commerces ont été vandalisés occupent le devant de la scène médiatique. Côté politique, le président reçoit les maires de France après que des rassemblements aient été organisés partout en France pour la défense de la République. Il est dans son rôle. Mais qu’en est-il des propos très peu républicains des syndicats policiers Alliance et Unsa qui appelaient à combattre des « nuisibles » dans une « guerre » qui aurait lieu actuellement. Loin de rappeler à l’ordre républicain, les troupes dont il assume la responsabilité politique, le ministre Darmanin s’est contenté de leur apporter tout son soutien et de déplorer leur fatigue.

Durant les jours de révolte ont a vu des militants d’extrême droite cagoulés faire irruption dans les cortèges pour tabasser des manifestants à coups de battes de baseball. Des nervis que l’on voit sur les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux personnes n’a été arrêté.

Évidemment une école attaquée, et toutes les autres images des violences appellent une condamnation. Mais des déclarations comme celle du ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti « Qu’ils tiennent leur gosse« , ou du préfet de l’Hérault Hugues Moutouh « Je sais qu’en 2019, le Parlement a interdit la fessée mais très franchement, de vous à moi, vous attrapez votre gamin qui descend dans la rue pour brûler des véhicules de police, pour caillasser des pompiers ou piller des magasins, la méthode c’est quoi ? C’est deux claques et au lit. C’est ce que faisaient nos grands-parents » ne relèvent pas d’analyses pouvant s’avérer utile pour garantir le maintien de l’ordre public en démocratie. Ces déclarations participent d’une stratégie politique pour nourrir la radicalisation du discours et du regard sur les émeutiers.

Le polémiste Jean Messiha, proche d’Éric Zemmour, à l’origine d’une cagnotte de soutien à la famille du policier qui a tué le jeune homme de 17 ans et qui a atteint 1,63 million d’euros avant d’être clôturée le 4 juillet, annonce qu’il va porter plainte contre la famille de Nahel pour diffamation.

« Il faut l’écrire, le dire et le répéter : être perçu comme un jeune homme noir ou arabe entraîne un risque vingt fois plus élevé de subir un contrôle de police », rappelle l’écrivaine et sociologue Kaoutar Harchi1 dans un texte qu’elle a confié à Télérama. « Par ailleurs, depuis 2017, le nombre de personnes tuées suite à un refus d’obtempérer a été multiplié par cinq. En une année, 2022, ce sont treize personnes qui ont été tuées. À cette liste s’ajoute désormais le nom de Nahel. Pourtant, l’écrire, le dire, le répéter n’a que peu d’effets car, à peine survenu, le meurtre de Nahel a été, sur les plateaux télévisés de la guerre civile, justifié (…) Avant que Nahel ne soit tué, il était donc tuable. Car il pesait sur lui l’histoire française de la dépréciation des existences masculines arabes. »

Après ce drame de plus dans une liste de mort qui ne cesse de s’allonger, ce qui est en jeu ce sont les réformes structurelles pour mettre fin à la litanie des violences policières. Après les révoltes, la défense du bien commun et de la République au service desquels se sont mis les gouvernants leur confère bien une justification et une légitimité de leur pouvoir, mais elle détourne dans le même temps de la question des dangereuses dérives de la violence d’État pour la République. Question à laquelle les tenants du discours officiels vont à nouveau être confrontés dans un avenir plus ou moins proche…

Nous publions ci-dessous le point de vue de l’écrivain Yannick Haenel 2 qui se distingue en pointant le caractère politique de la révolte. À l’heure où nous voyons comment se renforce l’impunité policière face aux protestations plus ou moins fortes de l’opinion publique, Yannick Haenel évoque le processus de montée en puissance du système policier dans le pays des droits de l’homme, et « l’idéologie du maintien de l’ordre ». Le retour au calme est nécessaire pour poser un diagnostic et réformer les pratiques et l’institution policières.

 

 

 

 

 

 

 

Notes:

  1. Kaoutar Harchi est écrivaine et chercheuse en sociologie. Aux éditions Actes Sud elle a également publié L’Ampleur du saccage (2011) et À l’origine notre père obscur (2014). Chez Pauvert, en 2016, un essai intitulé Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne.
  2. Fils de militaire, Yannick Haenel fait ses études au Prytanée national militaire de La Flèche. Professeur de français jusqu’en 2005, il est le fondateur de la revue littéraire Ligne de risque qu’il codirige avec François Meyronnis. La revue milite pour une littérature à la « singularité impersonnelle ». Inspirés de la chorégraphe Pina Bausch, de Melville, de Musil, de Sartre (La Nausée) et de Nietzsche. En 2005, il a codirigé deux volumes d’entretiens : « Ligne de risque » et « Poker », entretiens avec Philippe Sollers. En 2007, Yannick Haenel a publié dans la collection « L’infini », dirigée par Philippe Sollers, « Cercle » (éd. Gallimard), roman qui a reçu le prix Décembre et le prix Roger Nimier. En 2009, il reçoit le prix Interallié et le prix du roman Fnac pour « Jan Karski ». En 2017, il publie le roman « Tiens ferme ta couronne », qui est finaliste du Prix Goncourt et qui reçoit le Prix Médicis. Yannick Haenel est chroniqueur pour le magazine de littérature et de cinéma « Transfuge » depuis 2010 et à « Charlie Hebdo » depuis la reprise de la publication après les attentats de janvier 2015.