La XVe Marche de Borredon pour la dignité se déroule ce samedi 13 mars en mémoire des républicains espagnols qui, fuyant l’avancée des troupes franquistes, pensaient trouver dans la patrie de la Révolution française et des droits de l’homme une terre d’asile accueillante et fraternelle.


 

Du 5 au 12 mars 1939, le premier convoi de 16 000 réfugiés espagnols arrive en gare de Borredon (82) et rejoint à pied le camp de concentration de Septfonds1. Ça se passe sous le gouvernement de Daladier qui les considère comme des « étrangers indésirables potentiellement dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique » qu’il faut enfermer. Puis, le régime de Vichy, collaborationniste avec l’occupant nazi, n’aura qu’à faire un copié-collé de ces mesures.

En temps de Coronavirus, ils et elles seront moins nombreux.ses à marcher de la gare de Borredon jusqu’au camp de concentration de Septfonds (6,5 km), comme chaque année depuis quinze ans déjà, pour honorer la mémoire des 16 000 républicains espagnols enfermés dans ce lieu de privation de libertés. Leur seul délit : s’être battu pendant environ 3 ans contre les troupes fascistes coalisées de Franco, Mussolini et Salazar. Ils seront jusqu’à 30 000 à connaître le même terrible sort.

Ces hommes ne sont pas accueillis par la France comme des combattants antifascistes dignes de ce nom ni même comme des réfugiés politiques dans une république qui les juge « indésirables ». Situé à une trentaine de kilomètres de Montauban dans le Tarn-et-Garonne, ce lieu en rase campagne n’a pas été choisi par hasard. Il fallait soustraire aux yeux de la population cette marée humaine escortée, telle des criminels, par des soldats français « à cheval, avec sabre et mousqueton, un soldat tous les vingt-cinq mètres », écrit Colette Berthès dans L’exil et les barbelés.

 

Les hommes tombent comme des mouches

 

Le camp de concentration est alors en construction, la boue et les barbelés seront leur unique refuge. Les conditions de vie y sont très dures, la torture y est pratiquée, elles les conduisent à la mort par dénutrition, fièvre typhoïde, tuberculose, infections pulmonaires, suicides. Leur organisme subit un affaiblissement généralisé par des années de guerre, de privations et de longues marches.

Les premières baraques en bois ne protègent en rien, une ouverture laisse passer le froid et le vent. Ces hommes sont pour la plupart des cadres républicains militaires et civils, des ouvriers qualifiés, des paysans, des artistes et des intellectuels. Ils sont en grande majorité très jeunes entre 17 et 30 ans, le plus âgé a 61 ans. Ils s’appellent José, Luis (19 ans), Carlos, Domingo (20 ans), Antonio, Salvador (25 ans), German (30 ans) et viennent des quatre coins de la péninsule ibérique. Il y a dans le cimetière des Espagnols 81 tombes. D’autres décès, qui ne sont pas comptabilisés, ont lieu à l’hôpital de Montauban et ailleurs2.

 

Sur la route. Photo altermidi DR Pablo Arce

 

Septfonds était bien un camp de concentration

 

Ce lieu de mémoire a une longue histoire de lutte pour sa sauvegarde et sa conservation. Fils, filles, petit-fils et petites-filles, en bref, les descendant.es de ces républicains espagnols ont mené la bataille pour l’acquisition de la gare de Borredon en 2011, puis celle de son inauguration en 2012 avec la plaque camp de concentration de Septfonds dévoilée, main dans la main, par Joaquin Prades et Rachel Roizes. Adolescent, Joaquin y est emprisonné en raison de sa condition de réfugié espagnol et, plus tard, Rachel, enfant, y est enfermée parce que juive. D’autres « étrangers indésirables » que sont les Polonais, les antinazis allemands, les juifs connaîtront le même enfermement.

À la tête du comité d’animation du Centre d’investigation et d’interprétation de la mémoire de l’Espagne républicaine (CIIMER), José Gonzalez a eu à cœur de se battre pour ce haut lieu de l’Histoire parce que son père Francisco, Paco pour les intimes, y a été emprisonné et que : « dans ma famille, mon père en parlait beaucoup contrairement à d’autres qui se sont tus. On allait les fins de semaine chez l’un et chez l’autre rencontrer d’autres réfugiés ».

Le digne héritier des convictions de son père, militant des Jeunesses socialistes unifiées (JSU) dans son village andalou de Porcura (Jaen), fera appel a la souscription populaire car le propriétaire de l’hôtel-restaurant de la gare de Borredon met son site en vente. 160 000 euros au total seront récoltés avec le soutien aussi de l’Amicale des anciens guérilleros espagnols. José tient à rendre hommage à Yves Vayssié, ancien maire de Montalzat, commune où se trouve la gare de Borredon, sans qui l’achat aurait été impossible.

 

L’indécente porcherie sur un lieu de mémoire

 

La lutte continue contre le projet d’extension d’une porcherie, autorisée par la mairie et le préfet, à l’entrée du camp de concentration de Septfonds. Pour les militant.es de la mémoire de l’Espagne républicaine, c’est l’indignation générale. « C’est une insulte à nos pères. Pourquoi la France ne pourrait-elle pas faire ce qu’a fait la République tchèque ? », questionne José. Après plus de vingt années de mobilisation des associations de défense des Roms de ce pays, l’État a racheté, en 2017, pour 18 millions d’euros la porcherie de Lety (Bohême du Sud) et a investi des millions en plus pour détruire les bâtiments, nettoyer les lieux et en faire un mémorial. Entre mai 1942 et août 1943, plus d’un millier de Roms y furent parqués avant leur déportation vers Auschwitz.

José, vent debout comme tous et toutes ses camarades pour arrêter la porcherie et transformer ce site en un lieu de mémoire, a une petite idée sur les causes de cette décision indécente. « Ils ne connaissent pas cette Histoire. Certains historiens édulcorent l’Histoire. En parlant de camps d’internement ou de camps d’hébergement ou encore de camps de transit, ils ont permis la dédramatisation de ce lieu de sinistre mémoire ».

José Gonzalez revient à l’époque du camp de concentration de Septfonds en évoquant des évasions réussies pour certains prisonniers et le travail de coordination entre les républicains espagnols des différents camps, à savoir s’ils devaient participer aux 150 ans de la Révolution française. Après discussions, c’est oui, cela se traduit artistiquement. Des peintres, tels Bonaventura Trepat et Josep Marti, peignent des tableaux sur la prise de la Bastille, Robespierre et Danton, le Chemin de croix. « Le Christ, au lieu d’une blessure au flanc droit, a une blessure au flanc gauche », ironise José.

Le camp de concentration de Septfonds a été l’antichambre d’abord de la déportation des combattants antifascistes espagnols à Mauthausen et, ensuite, celle des juifs étrangers à Auschwitz.

Piedad Belmonte

 

Marche mémorielle pour la dignité samedi 13 mars 2021. Rassemblement devant la gare à 9H30.

 

Voir aussi : Libération des camps : Rivesaltes, Les Milles, terminus Auschwitz  La mémoire au programme du Sommet franco-espagnol à Montauban –

Notes:

  1. Camp de concentration de Septfonds est l’appellation des autorités de l’époque.
  2. Le cimetière des Espagnols, la gare de Borredon et le camp de concentration de Septfonds sont aujourd’hui classés au Patrimoine des Monuments Historiques
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin