Le nationalisme progresse dangereusement dans le monde et la France n’est pas épargnée. À 14 mois des présidentielles, la gauche démembrée ne propose pas d’alternative : aucune nouvelle liste prometteuse n’émerge et un nouveau face à face Le Pen-Macron s’annonce. Le gouvernement adopte une stratégie risquée : le rapprochement vers l’extrême droite tout en voulant rassurer et s’allier la droite traditionnelle qui valide une politique ultra-libérale.


 

La colère sociale est grande et la répression s’abat sur les contestataires. La méfiance envers les élites jugées hors réalité et la frustration grandissante alimentent la radicalisation et le populisme de droite.

En vue de 2022, face à l’ascension explosive de l’extrême droite depuis 4 ans, le gouvernement a choisi d’aller chasser sur leur terrain pour répondre à la colère des électeurs du Rassemblement national et les convaincre de rejoindre son camp. Tout en se démarquant parallèlement de l’ultra-droite via l’interdiction de mouvements identitaires racistes et violents, il rassure ainsi la droite traditionnelle. Celle-ci s’avère plutôt satisfaite de la politique ultra-libérale de l’exécutif et pourrait s’avérer un précieux allié au deuxième tour.

L’inquiétude est grande, d’autant qu’il n’est pas certain que l’atout « barrage » puisse une nouvelle fois empêcher le passage du RN. Le bilan social de ce premier mandat, le virage très à droite de l’exécutif et les engagements non tenus pourraient avoir refroidi une partie des électeurs de gauche qui s’étaient mobilisés en 2017.

Mais la stratégie gouvernementale qui dédiabolise les idées du RN ne risque-t-elle pas de faire élire Marine Le Pen ?

 

La banalisation des idées fascistes

 

En focalisant sur des thèmes chers à l’extrême droite, tels que l’immigration, le séparatisme, l’islam, la sécurité (notamment avec les lois contre le séparatisme et la sécurité globale), Gérald Darmanin, tout en affirmant avoir des positions communes avec le RN, contribue à banaliser les idées racistes et xénophobes du parti nationaliste. Ces dernières s’implantent dans les médias grâce aux chroniqueurs de l’extrême-droite ancrés dans les chaînes d’infos en continu, comme l’explique le sociologue Ugo Palheta 1 dans son livre La possibilité du fascisme.

Le Rassemblement national, seule alternative qui n’ait pas été encore tentée, arrive à convaincre que « l’ennemi est à l’intérieur et détourne la colère sociale » sur l’étranger, l’immigré, le musulman.

Il est malheureusement tout à fait plausible que le parti de Marine Le Pen qui construit également une façade républicaine trompeuse, figure au deuxième tour face à Emmanuel Macron et  qu’elle soit élue présidente de la République.

Pour quelles raisons les électeurs attirés par le RN et échaudés par quatre années de politique antisociale, de baisse de pouvoir d’achat et de scandales politiques, placeraient-ils leur confiance dans « La République en marche » malgré l’adoption d’un vocabulaire commun et quelques concessions, qui par ailleurs leur semblent insuffisantes ?

 

Une stratégie dangereuse

 

Le débat qui a opposé Marine Le Pen à Gérald Darmanin le 11 février sur France 2 avant le vote par l’Assemblée de la loi « séparatisme » a offert une belle tribune aux deux partis. Ils sont tombés d’accord sur plusieurs points, donnant même dans la surenchère sur des sujets tels que l’immigration et l’islam. Le ministre s’est positionné sur une ligne plus dure qu’elle en la taxant de mollesse.

Les propos de Gérald Darmanin, accusé de dédiaboliser le RN, ont semé une belle confusion et provoqué des remous dans toute la sphère politique jusque dans son propre camp. Les membres de la majorité ont défilé sur les plateaux télé et à la radio pour expliquer les différences entre la politique du gouvernement et celle du Rassemblement national.

Le ministre de l’Intérieur quant à lui, a réitéré sur RTL sa volonté de convaincre les électeurs du RN : « Je souhaite que les électeurs du Front national votent pour nous. Je souhaite qu’ils comprennent que nous pouvons répondre à leur colère […] car c’est nous, les gouvernements républicains, qui pourront répondre fermement, dans un État de droit, à leurs questions. […] Quand il n’y a plus de problème, il n’y a plus de Front national » : belle ambition, mais pour cela, il faudrait définir l’origine du mal.

 

Darmanin demande la dissolution de G.I.

 

À l’heure de la convergence vers l’extrême droite, y aurait-il dans cette décision du gouvernement une volonté de se démarquer de l’encombrante ultra-droite pour rassurer la droite traditionnelle ?

Le ministre de l’Intérieur a acté, samedi 13 février, le début de la procédure de dissolution du groupuscule suprémaciste blanc et xénophobe, Génération identitaire, après s’être déclaré scandalisé par les brigades anti-migrants.

En 2019, plusieurs groupuscules d’ultra-droite (Bastion social, Blood and Honour, Combat 18) ont été interdits à la demande d’Emmanuel Macron. Selon le gouvernement, Génération identitaire présente une façade « légale » qui rend juridiquement compliquée la procédure d’annulation.

Réclamée de longue date par de nombreuses associations antiracistes et partis politiques de gauche, elle a été finalement demandée pour deux raisons principales : l’association utilise « des modes d’actions comparables à ceux de milices et de groupes de combat et incite à la discrimination, à la haine ou à la violence sur un groupe de personnes en raison de leurs origines ».

 

Un RN pas blanc-bleu

 

Génération identitaire, branche jeunesse du bloc identitaire, est un mouvement issu de la dissolution d’Unité radicale en 2002 qui a été interdit notamment car Maxime Brunerie, un de ses militants, avait tiré sur le président de la République, Jacques Chirac.

Se revendiquant du néofascisme, du nationalisme-révolutionnaire dans une dimension européenne, le bloc identitaire est à l’époque tenu à l’écart du FN qui préfère pour des raisons de stratégie politique prendre ses distances suite à leurs actions violentes et leur discours sulfureux qui donne mauvaise presse. GI acquiert son autonomie en 2016 lorsque le bloc devient les Identitaires. Le mouvement change alors sa ligne politique faisant de l’immigration et de l’islam son cheval de bataille.

Issus de la même famille idéologique que de nombreux cadres du FN, certains membres de GI s’engageant à « cesser toute concurrence sans issue et à s’inscrire dans une complémentarité » sont alors accueillis à bras ouverts dans le parti de Marine Le Pen.

Comme l’explique Nicolas Lebourg, 2 chercheur et spécialiste de l’extrême droite européenne (source FranceInfoTV 3), « Génération identitaire représente entre 500 et 800 personnes en France, mais est à la fois une avant-garde transnationale, organisée dans une dizaine de pays, et une école des cadres du Rassemblement national. »

Jean-Yves Camus 4 , chercheur à la tête de l’Observatoire des radicalités politiques, souligne que ses militants représentent un véritable « vivier de recrutement » pour le RN.

À l’instar de Philippe Vardon, chef historique du Bloc qui entre en 2013 au parti Bleu marine. Il va ensuite figurer sur la liste de Marine Le Pen et devient en 2018 membre du Bureau national du RN. Damien Rieu, quant à lui, (cofondateur de GI qui a quitté le mouvement tout en y militant encore activement) est nommé en 2019 (entre autres précédentes promotions) assistant parlementaire du principal conseiller de Marine Le Pen, l’eurodéputé Philippe Olivier.

 

GI, néofascisme et suprématisme

 

Le groupuscule se décrit comme « un mouvement politique de jeunesse rassemblant des garçons et des filles à travers toute l’Europe  ».

L’association investit des moyens conséquents dans ses actions très médiatisées revendiquées comme non-violentes (occupation en 2012 de la mosquée de Poitiers, déploiement de banderoles à caractère raciste sur la façade de la CAF de Saint-Denis et lors de la manifestation pour Adama Traoré en 2020, patrouilles anti-migrants aux frontières franco-italienne et franco-espagnole…).

Il est pourtant établi que ce groupuscule identitaire entretient des liens avec la mouvance néo-fasciste et suprémaciste et qu’il véhicule ouvertement depuis des années des idées racistes et xénophobes a priori prohibées par la loi.

 

« Dans les coulisses de génération identitaire » : source vidéo AJ+ France – 16/12/2020 5

De nombreuses actions violentes ont été menées par ses militants (agressions de Turcs et de musulmans, de militants antifascistes et antiracistes, de journalistes, attaques de locaux, saccage de SOS Méditerranée à Marseille, liste non exhaustive…).

 

Un devoir de mémoire

 

À l’heure où les services de renseignement de tous les pays alertent sur la montée du terrorisme d’extrême droite, il serait souhaitable de se remémorer que Thaïs d’Escufon, porte-parole de l’association, suite aux attentats d’octobre, appelait à la « reconquête », qu’un internaute sur la chaîne télégram de Damien Rieu proposait « de se faire des mosquées » et que le terroriste de Christchurch, Brandon Tarrant, avait fait un don à la branche autrichienne de Génération Identitaire.

Une note publiée en 2020 par la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme (CTED) des Nations Unies démontre qu’il y a eu « une augmentation de 320 % des attaques menées par des individus affiliés à des mouvements et idéologies d’extrême-droite au cours des cinq dernières années », comme le souligne l’Observatoire National de l’extrême droite dans un article publié dans Regards 6 en décembre dernier.

 

GI pétitionne et manifeste

 

La présidente du Rassemblement National, Marine Le Pen, affirme quant à elle son soutien à Génération identitaire tout en prenant les précautions de se démarquer de certaines positions et actions qu’elle estimerait trop radicales et dénonce avec angélisme l’interdiction qu’elle considère comme un déni de démocratie.

Une pétition initiée par GI contre sa dissolution a recueilli la signature de plusieurs partis nationalistes. Marine Le Pen (Rassemblement national, RN), Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France !), Jean-Frédéric Poisson (VIA, ex-Parti chrétien-démocrate), Florian Philippot (Les Patriotes) et Karim Ouchikh (Souveraineté, identité et libertés), entres autres, ont également signé.

Génération identitaire a appelé samedi 20 février à Paris à un rassemblement, autorisé par le préfet de Paris Didier Lallement et qui a réuni environ 1500 personnes, selon la police.

La contre-manifestation, quant à elle, n’a pu se tenir. Dans un communiqué unitaire 7 antifasciste diffusé par le syndicat Solidaires, il est mentionné qu’ aucun arrêté d’interdiction n’a été délivré, et que la préfecture « s’est contenté de prétexter une déclaration trop tardive ». Des manifestants antifascistes qui se sont malgré tout rendus sur les lieux ont été verbalisés et/ou interpellés. Certains ont pourtant réussi à rejoindre la place Denfert-Rochereau. Des vidéos, diffusées sur les réseaux montrent le vrai visage des identitaires. Entre saluts nazis, insultes racistes et xénophobes, on y entend un chant menaçant qui enlève toute ambiguïté quant aux intentions du mouvement, si certains pensent qu’il en reste : « Clément Méric (jeune militant antifasciste tué par des skinheads lors d’une rixe en 2013) on t’entend plus chanter » : quelques éléments à charge viennent donc s’ajouter au dossier.

Génération identitaire n’hésite pas à se définir comme un mouvement « pacifique » et de « lanceurs d’alerte au même titre que Greenpeace », dixit Clément Martin, porte-parole du mouvement. L’association compte utiliser « toutes les voies juridiques possibles » pour contester sa dissolution. Nous connaîtrons dans quelques jours les suites données à la demande d’annulation.

 

Des ambitions politiques qui priment sur le bien commun

 

Un voile fortement teinté de brun vient donc se rajouter au tableau déjà fort chargé.

À 14 mois des présidentielles, aucune alternative n’émerge et la probabilité d’un deuxième tour Le Pen-Macron est plausible. Quelle liste, verte ou gauche, pourrait, en se présentant seule, avoir des chances d’être élue ?

Seule une alliance calculée, un large front commun qui s’entendrait et proposerait une riposte politique à la hauteur de l’urgence et des enjeux pourraient éviter que notre pays soit en 2022 présidé par Marine Le Pen, ou que la France reparte pour cinq ans de politique ultra-libérale. Il n’est pas certain que les électeurs échaudés fassent cette fois barrage en nombre suffisant.

Malheureusement, l’expérience précédente ne semble pas jusque-là avoir servi à l’opposition : chacun continue de prêcher pour sa chapelle et les divisions font éclater la moindre velléité de changement. Les ambitions politiques et de pouvoir priment sur le bien commun alors que l’heure devrait, indéniablement, être à l’union, vu la gravité de la situation.

Dans un avenir proche, si la réaction n’est pas à la hauteur, les conséquences seront très lourdes à porter, les responsabilités également.

Sasha Verlei


 

Notes:

  1. Sociologue, Maître de conférences à l’université de Lille, rattaché au Cresppa-CSU, Ugo Palheta est directeur de publication de la revue en ligne Contretemps, membre du comité de rédaction de Sociétés contemporaines. Il est l’auteur de La domination scolaire. Sociologie de l’enseignement professionnel et de son public (PUF, 2012) et de La possibilité du fascisme (La Découverte, 2018).
  2. Nicolas Lebourg, né en 1974, est un historien français. Chercheur au Centre d’études politiques de l’Europe latine (CEPEL) à l’université de Montpellier, spécialiste de l’extrême droite, il est membre du comité de pilotage du programme VIORAMIL (Violences et radicalisations militantes en France) de l’Agence nationale de la recherche et membre de l’Observatoire des radicalités politiques (ORAP) de la Fondation Jean-Jaurès.
  3. https://www.francetvinfo.fr/politique/front-national/generation-identitaire-est-une-avant-garde-transnationale-et-une-ecole-des-cadres-du-rassemblement-national-affirme-un-chercheur_4304589.html
  4. Jean-Yves Camus, Directeur de l’Observatoire des radicalités politiques. Chercheur rattaché à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques) Diplômé de l’IEP de Paris, auteur de nombreux travaux sur l’extrême droite européenne et les mouvements théologico-politiques, il a, entre autres, publié : avec René Monzat : Les droites nationales et radicales en France (PUL, 1992) ; Le Front national, histoire et analyse (O. Laurens, 1996) ; Les Nationaux-populismes en Europe (Seuil, 2014) ; avec Nicolas Lebourg Les droites extrêmes en Europe (Seuil, 2015).
  5. AJ+ est un média par internet lancé en 2014 faisant partie du groupe d’Al Jazeera Media Network diffusé en quatre langues : anglais, espagnol, arabe et français
  6. http://www.regards.fr/politique/article/tribune-il-faut-dissoudre-generation-identitaire
  7. https://web.archive.org/web/20210420073537/https://solidaires.org/Communique-unitaire-antifasciste-l-Etat-complice-de-l-extreme-droite
Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.