Le gouvernement ayant renoncé à employer le mot volontairement polémique de « séparatisme » dans son intitulé, c’est le projet de loi « confortant le respect des  principes  de la République » qui vient d’être voté à l’Assemblée nationale, après quinze jours d’âpres débats, avec 347 voix pour et 151 contre.


 

Au commencement de l’examen de ce projet de loi au Palais Bourbon et des quinze jours de débats souvent âpres étaient… les ministres. Le 1er février, se sont ainsi succédé à la tribune : Gérald Darmanin (Intérieur) qui avait déjà beaucoup donné de sa personne lors du débat sur la loi « sécurité globale », Éric-Dupont-Moretti (Justice), Jean-Michel Blanquer (Éducation), mais aussi Marlène Schiappa saluant d’emblée une « loi de liberté raisonnable et équitable » tout en rappelant le bien fondé d’un « amendement déposé avec Amélie de Montchalin pour renforcer la laïcité dans les services publics », la dite laïcité étant « le ciment de notre République ». Fort bien, direz-vous,  sauf que la « laïcité » et la « République » dans la bouche de ministres ou de députés macronistes ressemblent de plus en plus à des formules aussi creuses qu’incantatoires. Même le très modéré groupe Libertés et territoires, par la voix du député Olivier Falorni, s’adresse au gouvernement en ces termes : « traduire dans les faits la promesse républicaine, c’est le grand manque de votre texte ». La critique n’ira pas ici jusqu’à un vote défavorable : « un rejet serait un repli, pire, une retraite », l’intervenant saluant des dispositions qui « permettront de lutter contre les comportements communautaristes », tout en évoquant aussi des « dérives de prosélytisme séparatistes dans des établissements scolaires privés sous contrat ». En l’occurrence, ces établissements privés auraient tendance à se réclamer plutôt d’une tradition religieuse que d’une autre…

« Votre laïcité est souvent à géométrie variable », relève  pour sa part le député France insoumise, Alexis Corbière. Si tout le monde peut se revendiquer à peu de frais des principes républicains — y compris l’extrême droite pourtant historiquement hostile à cette tradition — c’est que chacun y trouve ce qu’il veut bien y trouver selon les conjonctures. Régime de liberté, régime d’ordre ? Faites vos jeux. En l’occurrence, y voir clair sera d’autant plus difficile que ce projet de loi signé LREM, comme bien d’autres avant lui, ressemble fort à un immense fourre-tout. On y trouve la « signature d’un contrat d’engagement républicain pour les associations sollicitant ou bénéficiant d’une subvention au titre de l’intérêt général » (article 6), l’interdiction des certificats de virginité (article 16), la « sanction de la divulgation d’informations permettant d’identifier ou de localiser une personne dans le but de l’exposer à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens » (article 18), « l’encadrement des possibilités de recours à l’instruction en famille » (article 21), le « renforcement de contrôles sur les établissements privés hors contrat » (article 22), le « contrôle de l’État sur les fédérations sportives et conclusion d’un contrat d’engagement républicain » (article 25), « la modification des règles relatives au financement des associations cultuelles » (article 28)…

 

Débats biaisés ?

 

Même si le gouvernement a modifié l’intitulé de la loi, passant de la connotation négative du « séparatisme » au positif du « conforter les principes républicains », la discussion a bien montré que lorsqu’une brèche est ouverte, certains ont l’art de s’y engouffrer. Quand il s’agit de stigmatiser certaines catégories de population, on peut toujours compter sur le député des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti. Le mardi 2 février, il réclame à cor et à cris la fin de l’acquisition automatique  de la nationalité française pour les enfants nés en France de parents étrangers. Le RN n’a plus à « faire le boulot », d’autres le font pour lui. Le groupe Les Républicains se prononce aussi pour l’interdiction des « signes religieux ostentatoires » pour les accompagnant.e.s de sorties scolaires. Gageons que ce ne sont pas les crucifix en pendentifs visibles, portés par certaines élues LR qui sont visés là. Il s’agit bien de s’inspirer de l’attitude d’un élu régional RN de Bourgogne-Franche-Comté qui a dénoncé la présence d’une mère portant un foulard lors d’une visite scolaire. Comment définir le caractère « ostentatoire » des signes religieux ? Là est la question, comme dirait un auteur célèbre.

Le même Éric Ciotti affirme qu’il « faut au moins diviser par deux l’immigration » et instaurer un « moratoire total sur l’immigration familiale ». En phase avec une politique économique libérale et agressive menée par le gouvernement où les anciens de leur parti n’ont pas manqué ou ne manquent pas (Édouard Philippe, Bruno Lemaire, Gérald Darmanin), les LR en sont réduits à faire de la surenchère sur les sujets « régaliens », en enfonçant toujours les mêmes clous. L’essentiel est de « démontrer » qu’immigration égale terrorisme. Point final et ne nous encombrons pas de débats superflus. La teneur de ces derniers lors de cette semaine d’examen du projet de loi fut telle que certaines députées LREM ont exprimé leur malaise. À l’image de Sonia Krimi pour laquelle « l’État n’a pas vocation à rendre invisibles les signes religieux dans l’espace public, cela me semblerait en contradiction avec l’esprit de la loi de 1905 ». Ou de Souad Zitouni qui, au beau milieu de la surenchère entre les élu.e.s de son propre groupe et les LR a eu « l’impression d’être (…) devant un tribunal, le tribunal contre l’islam et les musulmans ».

Or, la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, défendue notamment par Jean Jaurès, était conçue comme une loi d’apaisement qui ne reconnaît ni religion d’État ni athéisme officiel. « On ne décidera pas de la police du vêtement, sous une forme inversée de la police du vêtement en Iran », souligne Jean-Luc Mélenchon, député des Bouches-du-Rhône et président du groupe LFI à l’Assemblée, qui considère qu’« on ne construit pas la France contre une partie de ceux qui la composent ».

Se réclamer de l’héritage de la loi de 1905 tout en la tordant dans tous les sens demande un grand art de la contorsion et de la gesticulation politiciennes. Certains sont devenus maîtres dans cet exercice mais on peut penser que la laïcité du 21e siècle mérite mieux. Même si elle est confrontée à de nouveau défis par rapport aux conditions de 1905, ou plutôt parce qu’elle est confrontée à ces nouveaux défis.

 

« La porte de l’universel ne s’ouvre pas à coups de pied »

 

Pour Jean-Luc Mélenchon, « la porte de l’universel ne s’ouvre pas à coups de pied ». Une façon de dire que cette loi destinée officiellement à conforter les « principes de la République » risque fort d’être contre-productive.

« Vivrons-nous mieux ensemble demain ? Il est permis d’en douter », s’interroge le député PS des Landes Boris Vallaud qui relève les absences de ce projet de loi : « sur les communes qui font sécession [en refusant les logements sociaux, Ndlr], pas un mot, sur les mémoires partagées, pas un mot ». La majorité du groupe LREM et le gouvernement creusent toujours le même sillon jusqu’à provoquer le malaise chez certains de leurs membres. Et à ce jeu dangereux, le sillon est creusé toujours plus profond avec la complicité du groupe LR et des élu.e.s du RN.

Même le débat sur l’article 21 de cette loi portant sur « l’encadrement des possibilités de recours à l’instruction en famille » n’a pas échappé complètement à ce biais, à ce miroir déformant qu’est devenu la focalisation sur l’Islam. « Pourquoi avez-vous lié les deux sujets, la radicalisation, le séparatisme et l’instruction à domicile ? », questionne Olivier Faure, député PS, tandis que Sabine Rubin (France insoumise) considère que « ce thème aurait mérité un débat en soi ».

Ceux qui pratiquent l’instruction à domicile, permise par la loi, seraient-ils des prosélytes de « l’Islam radical » ? Nombre d’intervenants issus de groupes aussi divers que les socialistes, les communistes, les insoumis, Libertés et territoires ou les Républicains ont au contraire mis l’accent sur la diversité des publics et des motivations. « Nous avons tous reçu des familles : les caricatures ne sont pas pertinentes, c’est très varié et je suis convaincu que cela reflète à peu près la composition idéologique de notre assemblée », souligne Marc Le Fur (LR) qui parodie Georges Brassens : « Les marcheurs n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux. » Voyages longs, enfant en situation de handicap ou souffrant de  phobie scolaire : pour Christine Pirès Beaune, députée PS du Puy-de-Dôme, « parfois, l’instruction en famille a sauvé des enfants ». Là où le projet de loi veut imposer une autorisation préalable, « le vrai sujet, c’est celui du contrôle a posteriori », plaide Olivier Faure pour lequel « on ne peut pas sacrifier ces enfants-là sur l’autel de la communication présidentielle ».

Communication, le grand mot est lâché qui pourrait résumer à lui seul la stratégie d’Emmanuel Macron. Pour caractériser cette loi, Alexis Corbière parle de « mélange confus, entre affichage et fichage ». Le député LREM de l’Hérault Christophe Euzet, lui, préfère relever que « dans une partie du monde arabo-musulman, la scolarité des jeunes filles n’est pas au programme ». On peine à voir le rapport avec la société française où, par exemple, les jeunes filles issues de l’immigration maghrébine ont une scolarité plus réussie que celle des garçons. Et s’il s’agit de « préserver la cohésion sociale tout entière » comme le prétend Christophe Euzet, on peut penser que d’autres voies sont à explorer, du côté de la lutte contre l’abandon des services publics dans les quartiers populaires, du « séparatisme » des ultra-riches…

L’école publique, dans ses réussites comme dans ses échecs, mériterait mieux qu’un débat dévoyé, à l’heure où les annonces de fermetures de classes se multiplient, notamment dans les Bouches-du-Rhône. Le mardi 16 février, jour de vote de la loi, le député LREM Guillaume Vuilleret vante le dédoublement des classes de CP et de CM1. Personne ne se plaindra de cet allègement mais pendant ce temps, les classes de lycée à 35 élèves et plus se multiplient, les professeurs du secondaire expriment leur mécontentement face aux dotations globales horaires.

 

Votes contre et abstentions

 

Le groupe présidentiel peut certes se réjouir que certains articles de cette loi aux allures d’auberge espagnole ait été votés par ceux qu’il nomme « les oppositions » où il rassemble  allègrement les LR, PS, PCF et FI. Pour Guillaume Vuilleret, « ils auront toutes les peines du monde à justifier leurs contradictions ». Quand ce sont les experts du « en même temps » et du mariage de la carpe et du lapin qui le disent, on peut les croire.

À l’heure du bilan de cette première lecture avant le passage au Sénat, le groupe « En marche » et ses alliés (Modem et « Agir ensemble ») paraissent bien seul. Abstention du groupe PS et de la majorité du groupe PCF, vote contre des LR et du groupe FI pour des raisons opposées, vote non unanime chez le groupe Libertés et territoires : pour une loi visant à « conforter les principes républicains », le coup est raté.

Pour Stéphane Peu, député PCF de Seine-Saint-Denis, dont le groupe s’est majoritairement abstenu, « cette loi s’éloigne de l’esprit de liberté qui a soufflé sur celle de 1905 ». Le texte « ne traitant pas des causes se condamne à l’inefficacité », estime-t-il. À l’heure de l’explication de vote où chaque groupe dispose de cinq minutes pour expliciter son vote, Alexis Corbière considère que cette « loi au nom étrange » ne renforce en réalité aucun des principes républicains et qu’elle « n’aura fabriqué qu’un halo supplémentaire de suspicion »

Le jeudi 11 février, en plein examen de ce projet de loi à l’Assemblée, France 2 organisait un pseudo-débat réunissant le ministre Gérald Darmanin et Marine Le Pen. La seconde avouait qu’elle aurait pu signer le livre du premier. Tout est dit du type de fausse alternative que l’on va proposer aux citoyens jusqu’en 2022. Bon courage pour la suite.

Et comme il faut toujours garder un oeil pendant les débats à l’Assemblée sur ce qu’il se passe à l’extérieur, on aura noté que la « Coalition pour les libertés associatives  » réunissant des organisations comme la Cimade, Attac, Greenpeace ou la Quadrature du Net a tenu une conférence de presse commune le 15 février pour alerter sur les possibles dérives de cette loi. L’association signataire d’ un contrat d’engagement républicain devra aussi s’engager à « ne pas causer de trouble à l’ordre public ». Or, on peut très bien imaginer que même des associations utilisant les modes d’actions non violents et la désobéissance civile soient accusées de troubles à l’ordre public.

                                                                                                                  Morgan G. 

 

 

JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"