Quand le virus paralyse la scène

Depuis les directives ministérielles de début mars, la radicalisation du « restez chez vous » a contraint tout un chacun à se confiner. Cinémas, théâtres et autres lieux de culture ont donc été, virus oblige, contraints de fermer temporairement leurs portes.


Pour combien de temps ? C’est une question qui taraude — comme pas mal d’autres responsables de scènes ou autres salles et musées ? — le directeur du théâtre de Nîmes. La culture, cette dimension aussi utile et essentielle à l’humain (l’homme ne vit pas que de pain) qui est déjà depuis un bout de temps la dernière roue de la charrette sociale aura certainement du mal à se remettre d’une longue mise en veille.


 

La culture qui a d’ordinaire l’art de bousculer, interroger, émouvoir (au sens de mettre en mouvement) est aujourd’hui prise dans une vacance qui craint les prolongations. Cette crainte de l’enfermement dans un lieu où plus qu’ailleurs le sens de la critique, la portée de l’approfondissement, le travail sur les montées en complexité sont des plus justifiés. Gramsci disait que « les crises font baisser le niveau des déterminismes » et elles portent souvent la possibilité d’ouvrir des horizons nouveaux, à espérer plus humains. Pour donner une voix (et une voie) à là où nous sommes.

François Noël, directeur du théâtre de Nîmes, reprend le fil des évènements avec la distance d’un confinement qui oblige à un moratoire tâtonnant :

François Noël, Directeur du Théâtre de Nimes.
François Noël, Directeur du Théâtre de Nimes.

 

« Après un ressaisissement bien compréhensible, nous travaillons comme nous pouvons, du mieux possible en nous ancrant dans le lien, la communication, la circulation des informations. La fermeture relativement récente après les représentations de la compagnie Trisha Brown, un des temps fort de la saison s’agissant des trois pièces historiques de la chorégraphe pour le cinquantième anniversaire de la compagnie, a laissé toute l’équipe du théâtre quasi sonnée par le caractère inédit de la situation. Il est vrai qu’à la deuxième représentation le public était déjà clairsemé ».

 

 
Que se passe-t-il actuellement ?

Le programme, si l’on peut parler ainsi, ne reprendra pas avant septembre. Les grands évènements, ce qui signifie les grands rassemblements de foule de l’été, seront sans doute annulés et si reprise il y a, ce que j’espère vivement, elle ne se fera qu’en septembre avec la présentation de saison quasi bouclée. L’on peut se connecter au serveur de théâtre pour en savoir plus, avoir toutes les informations utiles. L’équipe du théâtre n’a pas vraiment quitté les planches et reste efficace après l’abaissement du rideau.

 

Est-ce que la prochaine saison peut se penser sans être chargée de cette traversée sanitaire inattendue qui bouleverse tous les plans, toutes les données ?

Ces longs jours de réclusion laisseront des traces et une « convalescence » sera de mise. Je parle de toute la population. Après l’hébétude, le saisissement devant l’impensable qui nous a pris de court, nous nous sommes assez vite recentrés. Nous avons recommencé à nous activer, à mettre des spectacles en ligne sur le site (theatredenimes.com). La technologie a du bon dans ces cas-là. Bien sûr tout ce que nous faisons peut paraître dérisoire au regard de tout ce qu’il se passe en France et Navarre mais pour ne pas perdre pied, il faut communiquer. Il faut aussi apprendre la patience et comprendre un peu mieux ce qui est arrivé, comment et pourquoi. Ce virus est une forme d’alerte métaphorique si l’on peut dire.

 

Théâtre Bernadette Lafont – Place de la Calade Nimes
Théâtre Bernadette Lafont – Place de la Calade, Nimes ©Sandy Korzekwa Dr

 

Plus pragmatiquement, la trésorerie va-t-elle résister ?

Nous avons réussi à payer toutes les compagnies, pour elles c’est un vrai soulagement car elles vont pouvoir continuer leur chemin, se remettre à produire, penser, créer. Notre système culturel est en partie fondé sur la solidarité. L’argent fou est sur les marchés financiers, pas dans la matière culturelle, en tout cas celle qui donne et fait sens. Il ne faudrait pas plus fragiliser ce qui est nommé, bien nommé exception (exceptionnelle). La culture à défendre est pourvoyeuse de paix et de richesse intérieure. Les salles, les scènes construites de spectacle vivant sont irremplaçables. Comment ne pas jouir du bonheur de partager ensemble un moment de plaisir, de rire, de réflexion. Il s’agit d’une expérience sans prix. L’urgence est de maintenir en vie mais aussi de maintenir un vif (au sens de vivant) désir de (bien) vivre. Dans ces temps dévastés, le seul mode d’expression se trouve être internet assorti de toutes les vidéos qui courent et parcourent la toile dans tous les sens. Veut-on, doit-on devenir des consommateurs, gobant avec avidité toutes les images qui défilent sans faire de choix critiques, subtils, profonds, constructeurs ?

 

Une crise de laquelle pourrait naître un avenir meilleur ?

C’est à espérer lorsque l’on constate à quel point nous sommes allés trop loin, à quel point les calculs économiques à court terme jouent sur un volcan, à quel point les paris d’apprentis sorciers peuvent mener contre un mur et écraser les plus faibles. La société paye un lourd tribut aujourd’hui. Une danseuse de la compagnie TRISHA Brown me disait qu’elle a dû payer de ses deniers à l’arrivée à NEW York le dépistage du covid-19. L’équivalent de 1500 euros ! C’est honteux et révoltant de traiter une artiste de cette manière.

 
Envisager une sortie de crise ?

L’espoir de tous évidemment et surtout ne pas lâcher le spectacle vivant. En note positive, la solidarité du public qui se fait jour. Jusque là, très peu de spectateurs ont réclamé le remboursement des spectacles annulés, abandonnant le montant du reste de l’abonnement ou des places réservées afin que les artistes soient indemnisés au mieux. Cela signe de la part du public sa généreuse participation, son soutien à la culture, à l’art, aux artistes. Le combat est et sera certes rude mais force est de souligner que la crainte de la pensée critique et créatrice est le propre des sociétés asséchées et (ou) en décadence.

 

Propos recueillis par Marie-Joe Lattore

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Journaliste, ancienne responsable Culture du titre La Marseillaise (Nîmes). Marie-joe Latorre a joint le peloton fondateur du média altermidi. Voyageuse globe-trotteuse, passionnée par les arts, les gens, les lettres et le cinéma. Passés ses carnets de voyage et ses coups de coeur esthétiques, cette curieuse insatiable est également spécialiste du cinéma d' Ingmar Bergman. Marie-joe a également contribué à de nombreuses monographies d'artistes (Colomina.2017, Ed Le Livre d'Art - Edlef Romeny.1997, Edisud.)