Ce fut une des polémiques les plus retentissantes du début du quinquennat d’Emmanuel Macron. On se souvient qu’à l’automne 2017, la baisse de 5 euros de l’aide personnalisée au logement (APL) qui profite à environ 800.000 étudiants a entraîné une levée de boucliers. Raboter les APL était « budgétairement facile, mais socialement inefficace et politiquement suicidaire« (1). Il y eu bien quelques arguments bien sentis pour raisonner « les irresponsables » comme ceux de la  députée LREM Claire O’Petit selon qui, « si à 18 ans vous commencez à pleurer pour 5 euros… qu’est-ce que vous allez faire de votre vie ?« . Mais il aurait été périlleux de continuer dans cette voie pour un gouvernement qui se vantait d’agir pour la justice sociale. Et le jeune riche et loyal ministre de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, dû reconnaitre début mai 2018 que cette baisse de 5 euros des APL avait été une « mauvaise décision ».

Une révélation gouvernementale certes tardive, mais empreinte d’une sincère expérience humaine, qui le poussa  non seulement à annuler cette baisse de 5 euros, mais aussi  à souhaiter libérer tout le peuple des allocataires de l’oppression. Dans son acte de rédemption, le jeune ministre promis qu’aucun allocataire ne sera impacté dans le cadre de la réforme du logement à venir. Depuis, les calculettes de Bercy ont tourné. La baisse de 5 euros devait faire économiser 32,5 millions d’euros par mois à l’État, soit 390 millions d’euros par an. En traitant la question autrement, avec un plus grand savoir-faire pour noyer le poisson, un peu comme avec l’impôt à la source, on arrive à un bien meilleur résultat et un effet politique relativement indolore.

Matignon a donc choisi d’adapter ces aides aux revenus en cours. Ce nouveau mode de calcul devrait  permettre à l’État de faire des économies. Selon un rapport du sénateur LR Philippe Dallier paru en novembre 2018, les économies liées à ce nouveau mode de calcul devraient avoisiner 1,2 milliard d’euros en année pleine. Voici donc venues les « APL en temps réel« . À partir de 2020, les aides au logement seront calculées sur la base des ressources des douze derniers mois, et plus sur les revenus perçus deux ans plus tôt. En clair, le montant des aides au logement des mois de janvier, février et mars 2020 sera calculé à partir des revenus touchés de décembre 2018 à novembre 2019, comme l’explique la Caisse d’allocations familiales (CAF) sur son site.

La « contemporanéité » des APL

Aujourd’hui, le montant de ces aides est calculé en fonction des revenus déclarés deux ans auparavant. Après cette réforme, l’administration s’appuiera sur le prélèvement à la source pour actualiser automatiquement les ressources des ménages tous les trimestres et recalculer les droits tous les trois mois. Notre ministre de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, voit désormais dans ce dispositif une mesure de « bon sens » et de « justice« .

Le professeur d’économie à l’université Paris-Ouest, Michel Mouillart, porte lui un regard plus critique sur cette annonce du gouvernement. Il rappelle les remises en cause régulières des paramètres de calcul des aides (quotient de charge, barème de revenus, situation familiale…). « Ces paramètres ont été dégradés et l’os a été rongé« , explique-t-il à franceinfo. Dans 20 Minutes, Julien Denormandie évoque par exemple le cas d’une femme salariée à temps plein qui se retrouve à mi-temps et ajoute qu’avant la réforme, elle « touchait moins d’APL que ce à quoi elle avait droit« . Sauf que c’était déjà le cas, corrige Michel Mouillart. « Un allocataire qui avait une baisse soudaine de revenus pouvait se présenter à la CAF et on lui rectifiait le montant de sa prestation en conséquence. La fréquence de mise à jour ne sera donc pas meilleure qu’aujourd’hui.« 

Les étudiants vont y perdre

Parmi les grands perdants, l’économiste cite notamment le cas des étudiants et des jeunes. « Un étudiant diplômé qui obtenait un emploi allait avoir une allocation calculée sur ses revenus de l’année N -2″, quand il ne travaillait pas. Désormais, ses revenus d’activité seront très vite pris en compte et il ne bénéficiera plus d’une année dite de « réfaction » avec le montant initial des APL. « Plus généralement, tous les ménages qui connaîtront une amélioration de leur situation vont y perdre » car le montant des aides sera très vite adapté.

Le versement des APL restera mensuel et à date fixe, précise le gouvernement. Au total, 6,5 millions de bénéficiaires devraient recevoir un courrier pour leur expliquer ces nouvelles règles. À compter du 9 décembre, les allocataires pourront également estimer le nouveau montant de leur aide au logement à l’aide d’un simulateur mis en ligne par la CAF.

Entre la réforme de l’assurance chômage et celle de la retraite (chômeurs moins indemnisés, baisse des retraites…) qui arrive à grand pas, que faut-il comprendre quand le ministre parle de « bon sens » et de « justice » ? Avec ses multiples variables, l’ingéniosité de la méthode rend les faits difficiles à établir dans les détails, d’autant que les barèmes de calcul sont de plus en plus difficiles à obtenir pour les allocataires. La politique du gouvernement n’en demeure pas moins limpide. Elle ponctionne de l’argent sur les aides personnalisées au logement qui concernent les foyers aux plus faibles ressources financières et réduit chaque jour davantage l’État providence.

Comment ne pas mettre en regard cette nouvelle attaque à la protection sociale des jeunes avec la suppression d’une partie importante de l’impôt sur la fortune et le plafonnement de la taxation des revenus du capital (intérêts, dividendes, plus-values) à 30 % qui représentent 5 milliards d’euros de recettes perdues chaque année ? Selon le premier syndicat étudiant de France, la Fage, un étudiant sur quatre vit sous le seuil de pauvreté et le logement représente plus de la moitié du budget mensuel d’un étudiant. À l’autre bout de la cordée les très fortunés voient leur imposition fortement réduite et les inégalités s’accroissent, pourquoi taper sur les plus pauvres ? jusqu’à quand ? jusqu’où ?

Jean-Marie Dinh

1 Commentaire du socialiste François Pupponi, président du groupe de travail de l’Assemblée nationale sur la réforme des aides personnelles au logement, issue d’une interview accordée au « Point ».

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.