Au Domaine D’O du 31 mai au 30 juin le festival enchaîne les aventures théâtrales. Une occasion d’habiter ensemble de mille manières inventées et de sortir de son format comme de son siège.

Au Domaine d’O à Montpellier démarre le Printemps des Comédiens. Un grand festival de théâtre qui donne à voir le monde dans un grand bain. Après Avignon, Le Printemps est devenu une institution qui fait référence dans le paysage des grands événements culturels décentralisés. Un festival de théâtre dont le mode de financement a été au cœur d’âpres négociations entre le Conseil Départemental de l’Hérault et la Métropole. Un bel enfant de la décentralisation culturelle, bouleversé comme tant d’autres par la loi NOTRe et l’agitation qu’elle provoque dans le « mondillot » de la politique locale. Caressé dans le sens des plumes par les communicants, les médias et les artistes affamés, le festival est critiqué par les francs-tireur, les laissés pour compte des politiques culturelles et les puristes qui payent cher leur résistance à tout enfermement dans un ordre bien établi.

 

Parole publique

jean Varela

Pour l’équipe d’Altermidi qui travaille au projet d’un média citoyen régional et planche sur sa ligne éditoriale avec des membres de la société civile (1), le traitement de « la culture » ne coule pas de source. Ce vaste ensemble suppose de distinguer l’art, la culture, et le divertissement mais aussi de faire la part des choses entre la politique culturelle – avec ces missions et problématiques propres comme les choix de programmation, la place donnée aux artistes – et la politique politicienne. En région, la réduction constante des dotations d’État exerce une pression permanente, l’impact des enjeux électoralistes de la politique régionale sur la politique culturelle s’est intensifié. Il intervient notamment dans le choix des responsables artistiques. Si les décideurs politiques avisés se gardent d’une intervention directe dans les choix artistiques pour échapper à toutes critiques objectives, le financement des budgets de fonctionnement correspond de plus en plus à des attendus.

Traiter de la culture revient dès lors à assumer la parole publique et artistique, les mots pour dire l’art et la société, le dehors et le dedans.

Concernant le domaine culturel, l’expression citoyenne est relativement atone. Elle provient parfois des artistes. Nous avons relayé dans ces colonnes “La Gueulante” demandant la parité des artistes invités au Printemps des Comédiens parce ce que ce type d’intervention appelle un courage, assez rare dans le monde artistique d’aujourd’hui, et que se résoudre à passer ce type de revendication sous le tapis, n’est pas sans conséquence. « C’est une question qui me préoccupe, nous a répondu le directeur du Printemps des Comédiens Jean Varela. Depuis des années, notre travail au cœur du service public est un travail sur l’égalité à travers la formation aux arts de la scène, la présence des artistes régionaux, l’égalité à l’égard des personnes handicapées. L’égalité des genres correspond à un cheminement, ça ne peut pas se faire du jour au lendemain. C’est propre à l’engagement public, au temps braudélien (2). Cette tribune m’a beaucoup touché. Cela m’oblige. Je ne m’engage pas sur la parité. J’y serais attentif, à partir du moment où l’on parle d’art ».

 

Acte artistique

Mis à l’épreuve de l’art, Le Printemps des Comédiens s’en tire plutôt bien. Depuis de nombreuses années, le festival programme des spectacles où le théâtre, le cirque, les textes, la prouesse des inventions scéniques enrichissent l’offre artistique. Comme ailleurs, le choix de l’équilibre qui s’est fait, parfois au détriment de l’anticipation artistique et politique, a permis de forger un public fidèle. Le savoir-faire attire vers le Domaine d’O beaucoup d’énergie artistique.

Opening night Isabelle Adjani

L’édition qui s’ouvre ne déroge pas au souci constant de cette exigence. Le festival accueille des artistes nationaux et internationaux majeurs dont certains comme Nicolas Oton (Crime et Châtiment) ou Katia Ferreira (First Trip), sont issus de la filière du théâtre d’art qui s’est développée à Montpellier. On attend avec impatience et curiosité le retour de Simon Mc Burney avec la troupe d’Ivo van Hove, le Toneelgroep Amsterdam pour une Cerisaie. On se réjouit d’accueillir à nouveau le co-fondateur du noyau créatif MxM Cyril Teste, qui s’attaque cette année à la mise en scène de Opening night de John Cassavetes avec Isabelle Adjani. Avec Tous des oiseaux, couronnée du Grand Prix de la Critique, Wajdi Mouawad, nous fera entendre « la polyphonie des langues qui se croisent en Israël, terre de déchirement portant l’histoire du Moyen-Orient et de l’Europe ». De quoi remonter le fleuve du malentendu qu’entretient une bande de fous du pouvoir.

L’architecture théâtrale du premier week-end donne le La avec trois pièces qui soufflent sur notre imaginaire. L’adaptation de la nouvelle Le marteau et la faucille de l’incontournable écrivain postmoderne américain Don Delillo par Julien Gosselin. Mont Vérité du metteur en scène et chorégraphe Pascal Rambert, qui chasse les fanfares et les majorettes municipales pour nous entraîner vers une utopie à travers un mouvement de réinvention de la vie, qui incite ses adeptes à se détourner de la ville et ses conflits (création de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg). Enfin à ne pas manquer, le Don Juan du très inventif berlinois Frank Castorf qui mêle dans ce spectacle mysticisme et érotisme, avec une fascination de la mort. Une folle ronde s’empare du plateau pour 4H30 de spectacle servi par des comédiens exceptionnels.

On ne souhaite pas que ces quelques propositions parmi bien d’autres ouvrent seulement l’accès à nos utopies. Parfois, on aimerait pouvoir traverser ces frontières mouvantes entre rêve et réalité, sans entrave, dans les deux sens. L’intérêt de leur existence, c’est qu’elles restent toujours en capacité de jouer, d’interroger et de faire vaciller un point de vue. De l’aveu de son directeur, cette édition est inspirée par notre vieux continent. À l’heure où l’Europe se cherche pour ne pas mourir : « l’Europe du théâtre se montre vigoureuse, propice à une circulation extraordinaire »,  raison de plus pour que le théâtre ne devienne pas le packaging du geste électoral.

Jean-Marie Dinh

(1) Le projet du média citoyen regroupe un collectif de journalistes et des citoyens porteurs d’alternatives dans les régions Occitanie et PACA.

(2) Réf. aux trois temporalités braudéliennes, le temps long de la géographie (la mer), le temps de la conjoncture (les vagues de fond) et le temps événementiel (« l’agitation des vagues », « l’écume », « le clapotis »).

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.