À Montpellier, l’édition 2021 du Printemps des Comédiens se tient cette année du 10 au 26 juin, elle a débuté avec un peu de retard, mais le rendez-vous très attendu des amoureux du théâtre ne va pas décevoir. Entretien avec Jean Varela, son directeur.


 

 

Comment avez-vous vécu l’incertitude durant la préparation de l’édition ?

En travaillant au maintien du lien avec les artistes et les partenaires institutionnels et privés. Le maintien du lien est essentiel dans la période que nous traversons. Étant donné que nous avons annulé l’édition 2020, renoncer cette année n’était pas envisageable, mais nous avons été contraints de nous adapter en proposant une édition réduite.

 

Où situez-vous les enjeux de cette édition ?

Si nous ne pouvons proposer l’édition rêvée, L’enjeu est de réaffirmer ce à quoi nous travaillons depuis plusieurs années : faire du Printemps des Comédiens un grand rendez-vous de théâtre en France et en Europe sur un territoire qui devient un espace de la création théâtrale. En partant des collèges avec un programme d’éducation artistique autour du théâtre et de la citoyenneté, pour continuer avec la formation en partenariat avec l’ENSAD et le Cours Florent, et finir avec une académie de formation que nous initions cette année. L’idée est d’accueillir des grands maîtres qui puissent transmettre leur maîtrise artistique aux professionnels. L’accompagnement est une dimension à prendre en compte dans le parcours des artistes ; le renouvellement d’une pratique de création suppose un entraînement permanent. C’est aussi comme cela que j’ai envisagé la période de fermeture des théâtres. Il était précieux de faire, d’user du temps habituellement rare pour perfectionner notre pratique.

Restons attentifs, distinguons politique culturelle et politique de création qui implique la formation et la prise de risque. L’art est le plus grand divertissement, le théâtre est un art de la transmission qui est essentiel à la cité. Le Printemps n’a de sens que s’il se situe en harmonie avec la création théâtrale, ce qui demande du temps. Il faut pratiquer en cette matière le temps braudélien. C’est à cet endroit que l’engagement public est fondamental, parce que rien ne peut le remplacer.

 

Au-delà d’une certaine crainte, quelle est votre position concernant le mouvement d’occupation des lieux culturels ?

Je ne crains pas les mouvements quand ils sont portés par une idée de la culture qui concerne les plus vulnérables d’entre nous, lorsque la mobilisation dispose d’une colonne vertébrale politique. Je garde un souvenir difficile de l’édition 20141, mais en même temps extrêmement puissante. Ces confrontations ont permis la rencontre de métiers qui sont interdépendants, mais ne se percevaient pas forcément ; ce fut l’occasion d’un enrichissement formidable. Cela a aussi permis de conforter et de construire le Printemps tel qu’il est aujourd’hui.

 

On ne verra pas l’Odyssée de Krzysztof Warlikowski, Austerlitz de Krystian Lupa ni Buster de Romeo Castellucci qui étaient attendues, l’édition 2021 conserve-t-elle malgré cela une cohérence de programmation ?

La programmation du Printemps ne s’échafaude pas sur une base thématique. Le festival se construit dans la fidélité avec des artistes dont nous suivons l’œuvre. Et mystérieusement, après coup on se surprend à trouver des résonances entre elles. Comme avec les pièces de Warlikowski et Lupa qui auraient pu répondre quelque part aux pièces de Cristian Flores évoquant la mémoire du Chili et que nous co-accueillons avec le Théâtre de la Vignette, ou à celle de Nicolas Stémann, Contre-enquête, qui se réfère à l’Algérie. Il y a dans ces œuvres une recherche d’objectivité historique, nécessaire pour la construction d’une société.

 

On se réjouit de la présence d’artistes qui travaillent dans la région et proposeront de nombreuses créations…

En effet, Julien Bouffier met en scène Dans la foule d’après le roman du Toulousain Laurent Mauvignier autour de la tragédie du Heysel. Nicolas Oton et Frédéric Borie présentent Casino Stendhal. Nathalie Garraud et Olivier Saccomano proposeront leur dernière création, Un Hamlet de moins, durant toute la durée du festival dans la cour de l’horloge, à Grammont. Pauline Collin livrera son polar théâtral Smog. Cyril Teste, qui n’est pas d’ici mais travaille de longue date avec le conservatoire, adapte La mouette.

 

Le festival se tiendra avec un maintien du couvre-feu à 23h, réservera-t-il une place dans la pinède aux rencontres qui restent très attendues, comme à l’envie de se retrouver ?

Au domaine d’O, nous avons programmé un cycle de lectures aux Micocouliers avec Nicolas Maury et Robert Cantarella. Nahal Tajadod, la femme de Jean-Claude Carrière, et Atiq Rahimi liront les poèmes de Roumi, Peter Brook rendra hommage à son ami disparu. La librairie sera présente. Nous souhaitons maintenir une grande convivialité en appliquant les préoccupations d’usage, on sait que les spectateurs sont raisonnables. L’alchimie 2021 du festival, c’est que le domaine d’O soit le jardin des retrouvailles qu’il n’a pas été l’année dernière, que l’on se retrouve pour une République des lettres.

Propos recueillis par Jean-Marie Dinh

 

Notes:

  1. L’édition 2014 du Printemps des comédiens avait été annulée en raison de la grève des intermittents.
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.