Entretien avec la metteuse en scène Hélène Soulié

Aux côtés d’artistes comme Marie Dilasser, Marion Aubert, Marion Guerrero, Claire Engel, Lydie Parisse… la metteuse en scène Hélène Soulié et beaucoup de femmes artistes lancent un pavé dans la marre avec Fucking Women Fucking ! Une gueulante qui bouscule le train-train de la programmation culturelle. Avec plus de deux cents signatures d’artistes femmes concernées, l’ascension rapide du collectif est significative. Elle promet que la libération que porte en germe ce collectif ne se limitera pas au 8 mars et invite les programmateurs à prendre en considération les inégalités dénoncées plutôt que d’élaborer des stratégies défensives…

 

Hélène Soulié

 

Quel a été le phénomène déclencheur de cette gueulante ?

Un article de Lokko à la gloire du Printemps des Comédiens qui avait pour titre « Le Printemps des Comédiens gagne des étoiles ». Je me suis demandée quelles étoiles pour les autrices et les metteuses en scène ? Qu’est-ce qu’on gagnait au juste ? Après cette réaction, Valérie Hernandez, la journaliste qui a signé le papier, nous a dit que nous pouvions nous exprimer. On en a discuté avec d’autres femmes artistes et on a décidé de faire un texte. Ce n’est pas une pétition, c’est une gueulante et on assume pleinement cette provocation.

Votre texte évoque le directeur du festival, est-ce directement lui qui est visé, ou est-ce ses choix qui vous paraissent représentatifs d’une pratique largement répandue ?

Ce n’est pas une attaque personnelle. C’est un constat. La programmation 2019 ne concerne que 20% de metteuses en scène et 11% d’autrices. Ce n’est pas nouveau, cela se produit depuis trop longtemps. Le Printemps des Comédiens est le premier festival de la saison. On peut dire qu’il donne la note.

Est-ce plus difficile d’être considérée dignement en tant qu’artiste lorsqu’on est une femme ?

Ce texte traduit notre vécu. À force d’être systèmatiquement écartées, on se pose des questions. Cette absence de relation révèle une forme de supériorité. Nous ressentons la brûlure du mépris au quotidien, un mépris social, un mépris de genre. Si l’on reprend les chiffres, 15% de créatrices programmées, cela signifie un désintérêt. Les femmes, on les invisibilise, ce qui est relatif à une forme de déconsidération sociale. En 2019, je ne peux pas prétendre aux mêmes choses qu’un artiste masculin et je n’ai pas les mêmes droits. C’est terrible de s’apercevoir que l’on reproduit à cet endroit un système de domination.

La lutte contre cette forme de ségrégation passe par une mise en visibilité ?

Certainement ; on est aujourd’hui dans un moment historique pour le féminisme. Me Too, Balance ton Porc, comme l’affaire de la Ligue du LOL révèlent l’ampleur du sexisme et des violences sexuelles. Je n’aurais pas pu dire cela il y a deux ans, mais aujourd’hui, je pense qu’il faut absolument que les programmatrices et les programmateurs prennent en compte cette réalité. Il ne faut pas 40% de programmation d’artistes femmes mais 50%. On disait à nos mères : « Patientez ça va venir. » Nous, on peut plus attendre. Il faut que cela soit radical parce que c’est devenu insoutenable.

Dans le texte vous rêvez que ce réveil prenne une dimension phénomènale et s’étende à d’autres corps de métier, alors que les artistes et les féministes brillent plutôt par leur absence dans le mouvement des gilets jaunes…

Lancée à l’échelle régionale, cette gueulante prend une dimension nationale pour mieux revenir au régional. Nous recevons une multitude de témoignages de soutien. Il y a plein de façons d’être féministe. On aime bien la figure du poulpe avec ses tentacules. Je trouve ça bien que cela abonde de toutes parts, à l’image du sexisme ordinaire. Ça se déploie sur les réseaux sociaux et ça dépasse largement le milieu artistique. Je peux parler d’autres sujets. Il y a une transversalité opérante mais c’est bien aussi que chacune et chacun prenne sa part à partir de ce qui le concerne. Tout le monde a son rôle à jouer, le public comme les artistes masculins.

Les signataires sont exclusivement des femmes ?

Cette question a été débattue. Finalement nous avons opté pour un processus de signature non mixte. Parce que quand on est un artiste masculin il peut être assez confortable de conserver ses privilèges tout en se portant signataire. Nous invitons les artistes masculins qui souhaitent nous soutenir à proposer des actions. Par exemple un boycott de spectacle ou un refus de céder ses droits d’auteurs pour défendre une cause féministe. Ça, ça aurait de la gueule…

Le texte évoque aussi la crainte de critiquer les programmateurs ?

Ce qu’aborde notre texte, c’est la question de la peur. On reçoit beaucoup de soutiens et on arrive à plus de deux cents signatures de créatrices talentueuses. Hier, elles avaient peur des représailles, peur d’être moins programmées, parce qu’elles osaient parler. Le texte dit Basta ! Maintenant on n’a plus peur. On va dépasser la peur parce qu’elle nous maintient dans une position de victime. Aujourd’hui, les femmes artistes qui ont des choses à dire refusent la mort symbolique. Tout ça donne envie d’avancer, de donner une suite…

Recueilli par Jean-Marie Dinh

 

Ce soir, vendredi 8 mars à 18h30 à Lodève – Médiathèque Confluence, reprise de Madam#2 – Faire le Mu. Ou comment faire le mur sans passer la nuit au poste ? Un projet d’ Hélène Soulié / Marie Dilasser / Mounya Boudiaf / Éloïse Bouton. Spectacle co- accueilli hors les murs par la saison Résurgence & Le Sillon – Clermont l’Hérault

 

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.