« Ce qui se déroule sous nos yeux n’est pas simplement une crise humanitaire passagère, mais bien une stratégie délibérée visant à modifier la démographie de la bande de Gaza en forçant ses habitants à partir. »
Après deux nuits éprouvantes passées par des dizaines de milliers de familles déplacées le long de la route côtière d’Al-Rashid et de la route Salah al-Din, dans des conditions difficiles et inhumaines, les familles ont finalement été autorisées à revenir dans leurs zones de la ville de Gaza et dans les parties nord de la bande de Gaza le lundi matin 27 Janvier. L’armée israélienne a laissé traverser « le couloir de la mort » celui de Netzarim : séparation du nord de la bande du reste de Gaza. Depuis un peu plus d’une semaine que ce retour a commencé pour des milliers de gazaoui.e.s dans des conditions inimaginables, il semble qu’actuellement environ 25 % redescendent dans le sud. Le sol couvert de décombres et de ruines ainsi que l’absence d’eau, d’électricité, de nourriture rend la vie impossible dans un décor détruit à 90 % où il n’y a plus aucun espace pour planter une tente.
Voilà le texte décrivant cette situation envoyé par notre correspondant Abu Amir en fin de semaine.
« Malgré les déclarations de l’UNRWA et des organisations internationales affirmant que l’acheminement de l’aide vers la bande de Gaza s’est amélioré, la situation humanitaire des déplacés retournant à la ville de Gaza et au nord du territoire reste catastrophique à tous les niveaux. Au lieu de retrouver un semblant de stabilité, ces populations font face à une réalité marquée par la destruction, la faim et l’absence des besoins les plus fondamentaux. Les habitants du nord de la bande de Gaza, en particulier les déplacés de retour, sont confrontés à une crise de l’eau potable sans précédent. La destruction de la majorité des puits et des stations de dessalement a laissé cette région en proie à une sécheresse dramatique. À l’heure actuelle, une seule station fonctionne encore dans la ville de Gaza, tentant de fournir de l’eau potable aux habitants de la ville et du nord, mais cela reste largement insuffisant. Face à cette situation, de longues files d’attente se forment quotidiennement dans l’espoir d’obtenir quelques litres d’eau, une quantité souvent dérisoire par rapport aux besoins des familles. Cette pénurie fait craindre une catastrophe sanitaire imminente, avec un risque accru de maladies dues à l’absence d’eau potable et à l’utilisation de sources non sécurisées.
Au-delà du manque d’eau, les déplacés retournant dans le nord de Gaza doivent également affronter l’absence totale de logements adéquats. La plupart d’entre eux dorment à la belle étoile ou sous des tentes inadaptées, car aucune tente n’a été acheminée dans la ville de Gaza et le nord du territoire malgré les nombreux appels lancés par les habitants et les autorités locales. Les conditions de vie dans ces camps de fortune sont extrêmement dures, les tentes ne fournissant aucune protection contre le froid hivernal ni contre les intempéries. Quant à ceux qui n’ont même pas de tente, ils sont contraints de passer leurs nuits en plein air, exposés à des températures glaciales et à des conditions de vie inhumaines…
Cette réduction des livraisons de nourriture, d’eau et de matériel de première nécessité laisse peu de choix aux populations du nord : survivre dans des conditions inhumaines ou chercher refuge ailleurs. Il s’agit d’une stratégie claire pour rendre la vie impossible dans cette région et pousser ses habitants à l’exode. Tout porte à croire que la politique menée par Israël, avec le soutien de ses alliés, vise à rendre la vie insoutenable dans le nord de Gaza, forçant ainsi ses habitants à partir.
Dans ce contexte, le président américain continue d’affirmer que l’Égypte et la Jordanie finiront par accepter d’accueillir une partie de la population de Gaza, ce qui renforce les soupçons selon lesquels tout ce qui se passe actuellement sur le terrain n’est qu’une étape vers une nouvelle vague de déplacement forcé. Ce qui se déroule sous nos yeux n’est pas simplement une crise humanitaire passagère, mais bien une stratégie délibérée visant à modifier la démographie de la bande de Gaza en forçant ses habitants à partir. Tous les signes indiquent que la poursuite de cette souffrance mènera inévitablement à un nouvel exode, cette fois potentiellement hors du territoire. Israël sait qu’en détruisant le nord de la bande de Gaza de cette manière, la vie y est pratiquement impossible. Les services et infrastructures essentiels sont quasiment inexistants, ce qui complique encore la survie. Avec la raréfaction des ressources de base, on s’attend à voir apparaître des signes de conflits entre les habitants, ce qui conduira à un chaos généralisé dans la région. »
Si la situation continue sur cette lancée, les habitants du nord de Gaza n’auront d’autre choix que de partir une fois de plus, rejouant un exode qu’ils espéraient ne jamais revivre. Pourtant un des propos recueillis par Abu Amir auprès d’une femme gazaouie confirme ce que beaucoup persistent à dire et à clamer : « La déportation est le rêve d’Israël depuis des décennies, et nous ne serons pas des outils pour réaliser ce rêve. Chaque centimètre carré de Gaza fait partie de notre dignité et nous ne l’abandonnerons pas. »
Dans ce contexte les équipes soutenues par l’UJFP autour de leur coordinateur Abu Amir continuent avec ténacité, persistance et régularité à maintenir coûte que coûte leurs activités permettant une vie digne et plus humaine. Les équipes se sont adaptées aux nouvelles conditions en suivant les mouvements de retour de certaines familles comme par exemple le camp des agriculteurs qui se reconstitue petit à petit dans leur zone d’origine Abu Taima. La cuisine a suivi permettant toujours la distribution de repas trois fois par semaine, la scolarisation des enfants aussi, ainsi que le soutien psychologique pour tout le monde, femmes, enfants et hommes. D’autres actions sont également effectuées dans des camps, distribution d’eau, de vêtements pour l’hiver dans le cadre de leur initiative « Hiver à l’abri » et sensibilisation aux risques des vestiges de guerre et de munitions non explosées sur le sol.
Continuer à bâtir une vie plus stable pour la population de Gaza, que cette dernière envisage de retourner dans sa région d’origine ou de rester dans les zones de déplacement.
Brigitte Challande