La course à 2022 est déjà lancée et le parfum d’ambiance ne sent pas très bon. Décidément, l’épidémie n’est pas le seul fléau de la période.


 

Ils et elles sont déjà sur la ligne de départ en vue de la présidentielle 2022 : le président en exercice, malgré le faible socle du premier tour de la présidentielle de 2017 et un bilan peu reluisant, Nicolas Dupont-Aignan qui se disputera les voix de la droite extrême et de l’extrême droite avec sa rivale et alliée Marine Le Pen dont la candidature ne fait pas de doute… Au PS, par la voix de son premier secrétaire Olivier Faure, on pousse à l’hypothèse Anne Hidalgo. Femme et auteure de mesures écologiques et sociales dans sa ville de Paris, réélue confortablement, malgré les ambitions démesurées de la très droitière Rachida Dati, victorieuse face aux prétentions macronistes dans la capitale (l’opération Agnès Buzyn a subi un échec cuisant après les turpitudes de Benjamin Griveaux), Anne Hidalgo aurait le profil pour incarner une sorte d’opération renouveau du PS.

Il ne fait guère de doute que Jean-Luc Mélenchon, qui a bien pris garde de ne pas répondre aux impatiences médiatiques lors des « Amfis » de la France insoumise (l’université d’été du mouvement qui s’est tenue fin août dans la Drôme) va annoncer sa candidature en octobre. Du côté du PCF, le député et secrétaire national du parti, Fabien Roussel se dit prêt… Chez Europe-Écologie-les-Verts, il existe plus que des nuances entre la ligne défendue par le maire réélu, de Grenoble, Eric Piolle et celle de Yannick Jadot. Ce dernier s’emploie à se tailler son propre costume de « présidentiable », y compris en glissant sur le terrain… du burkini qui est l’urgence de l’heure comme chacun-e l’aura remarqué. « Manuel Valls, sort de ce corps ! » ; si la tête de liste d’ EELV aux dernières élections européennes s’est cru obligé de tenir ces propos, quelques jours après avoir participé à l’université d’été du MEDEF (la fibre écologique du CAC 40 nous avait pourtant échappé), c’est bien parce que l’air du temps l’y autorise.

De la nouvelle marotte d’Emmanuel Macron sur le « séparatisme » qui rappelle étrangement le nauséeux débat de Nicolas Sarkozy sur « l’identité nationale » à « l’ensauvagement » de Gérald Darmanin, le cadre est en place. Le ministre de l’Intérieur, issu des rangs des Républicains ne peut ignorer que ce terme a été employé par un journaliste et essayiste d’extrême droite (Laurent Obertone) lors d’un colloque organisé en 2018 par le Rassemblement national à l’Assemblée nationale, intitulé tout simplement « De la délinquance à l’ensauvagement »1. Marine Le Pen peut se frotter les mains : les sous-traitants font le boulot.

Ce débat mortifère sur le sécuritaire qui est autre chose que la sécurité à laquelle chacun, chacune devrait évidemment avoir droit, ne présage rien de bon. D’une part, parce qu’aller sur le terrain du supposé adversaire pour réduire son influence est une stratégie aussi cynique qu’inefficace. D’autre part, parce qu’il y a d’autres urgences à traiter : la lutte contre la pandémie du Covid-19, le soutien à l’Hôpital public et à celles et ceux qui le font vivre, la réponse aux plans de suppressions d’emplois qui se multiplient, le dérèglement climatique, etc.

Pour paraphraser la célèbre interrogation du philosophe Alain Badiou, « De quoi Sarkozy est-il le nom ? », on peut se demander de quoi le macronisme est le nom. Certainement pas d’un « progressisme » (même avec beaucoup de guillemets),  comme le prétendent ses partisans. Il faut pour cela bien autre chose qu’une adhésion aveugle à la technologie et le fétichisme de la  5G, « outil de compétitivité ». Les récents propos du président sur « le modèle Amish » et la « lampe à huile » prouvent qu’en matière de réinvention, il a bien des progrès à faire. Il est vrai que lorsqu’on a la certitude d’être du bon côté de l’histoire, on n’a pas besoin de se réinventer. La morgue, le mépris, l’ironie facile qui mettent les rieurs de son côté suffisent.

Trois ans après son arrivée au pouvoir, le Président de la République apparaît comme un mélange en apparence paradoxal mais en réalité cohérent entre une adoration sans bornes d’une prétendue « modernité » (en politique, les archaïques sont toujours les autres) et une régression sans failles vers le XIXe siècle sur le terrain des droits sociaux, des protections des salariés si chèrement acquises.

Dans cette offensive idéologique et cette réécriture permanente de l’histoire, Emmanuel Macron peut compter sur une cohorte de thuriféraires… et de bien commodes « adversaires ». Entre « libéraux » énamourés et chroniqueurs fascisants, dont certains condamnés pour incitation à la haine qui ont micro ouvert. Tout ce beau monde peut se retrouver dans la diabolisation des nouveaux maires EELV par exemple, à l’image d’un Franz-Olivier Giesbert2, figure médiatique omniprésente qui accuse le maire de Lyon de vouloir transformer la basilique de Fourvière en mosquée (sic). Après les « khmers verts », le débat démocratique progresse. Et comme dirait l’autre, quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites.

 

Tenue républicaine exigée

Comme on ne voit pas très bien ce que la République vient faire autour du nombril et de la longueur des jupes des jeunes filles, on pourrait exiger de nos gouvernants en « costard-cravate » une vraie tenue républicaine.  Qui ne relèverait pas du « dress code » mais où la République aurait un autre visage que celui des ordres et des uniformes. Celui des services publics, de l’égalité des territoires, d’un travail enfin épanouissant, ou même, comble de l’irresponsabilité, d’un droit à appuyer sur le bouton « pause ». On pourrait même s’inspirer des trois mots, aujourd’hui vidés de sens, qui figurent au fronton de nos mairies… Et demander à un pouvoir épinglé par Amnesty International pour son usage de la force et sa répression de faire preuve d’un peu plus de modestie et d’un peu moins de leçons données aux Libanais. Amnesty a recensé 11 203 manifestants du mouvement des Gilets jaunes placés en garde à vue : « ces personnes ont été arrêtées et poursuivies pour des activités qui ne devraient pas constituer des infractions pénales » écrit l’ONG dans un rapport rendu public le 29 septembre.

On ne pourra pas compter sur la cohorte des voix officielles d’ici 2022 et il ne restera plus à d’autres qu’à nous faire respirer un autre air. Et aux citoyens de faire advenir d’autres rêves, en parlant de plaisirs, de beautés, de culture, de réduction des inégalités scolaires, de villes respirables, de campagnes soustraites aux appétits prédateurs, de gratuité… On ne vous fera pas le coup de « l’inventaire à la Prévert » mais il y a des jours où le poète nous manque.

Morgan G.

Notes:

  1. Politis, du 10 au 16 septembre 2020
  2. PDG depuis 2003 du groupe SEBDO Le Point
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"