Mardi 21 janvier 2020, lors de son audition devant la commission d’enquête du Sénat sur l’incendie de Lubrizol, le toxicochimiste André Picot a assuré qu’il y a bien eu de la poussière d’amiante dans l’air.  Également auditionné, le spécialiste de la gestion de crise Patrick Lagadec a évoqué un problème de philosophie générale et de politique générale de gestion des risques.

Quatre mois après l’incendie de Lubrizol, les auditions concernant cette affaire se poursuivent au Sénat*. Cette fois, la commission d’enquête Lubrizol se penche sur les questions de toxicologie et les questions de gestion de crise.

André Picot, président de l’association Toxicologie Chimie, assure que non seulement de l’amiante s’est bien dispersée lors de l’incendie de Lubrizol, « il y avait un toit en fibrociment (…) Il est retombé en pluie de poussière d’amiante » mais surtout que les populations en contact immédiat (comme les pompiers) ont été touchées. Ces propos sont en contradiction avec la version des autorités expliquant qu’il n’y a pas eu de fibres d’amiante dans l’air.

Le président de l’association Toxicologie Chimie a rappelé la toxicité de l’amiante à long terme : « Une des propriétés de l’amiante, c’est de déclencher des cancers de l’enveloppe des poumons, la plèvre. » Il a raillé le ministère de la Santé de ne pas être « très au fait de ce problème. »

« Devant la pression des médias Madame Buzyn a demandé des analyses (…) de sang de l’état du foie de ces pompiers. Or tout le monde sait très bien que l’amiante n’a aucun impact sur le foie. Ils auraient mieux fait de vérifier un petit peu l’état de leur tractus pulmonaire. »

Lorsque la sénatrice socialiste de la Charente Nicole Bonnefoy corapporteure de cette commission, a rappelé la position de la directrice de l’ARS (agence régionale de Santé) de Normandie lorsqu’elle a été auditionnée expliquant qu’il n’était pas nécessaire de faire de scanner pulmonaire pour recherche d’amiante parce qu’on n’en a pas trouvé dans l’air, André Picot a répondu en parlant de l’ARS : « C’est un peu désolant (…) On n’a beaucoup de mal à leur faire confiance … »

Concernant les suies qui ont recouvert les environs de l’usine, le toxicochimiste est catégorique : « À l’heure actuelle, on est incapable de savoir exactement les retombées que ça peut avoir sur la population. On n’a aucun élément. »

Importance d’impliquer les citoyens

Également auditionné, Patrick Lagadec, directeur de recherche honoraire à l’École polytechnique, travaille sur la maîtrise des risques et la gestion des crises. Il est convaincu qu’il est urgent d’avoir une maîtrise des risques à un niveau plus global en pensant aux interactions possibles.

C’est-à-dire d’avoir « une approche des systèmes à risque et non plus installation par installation. » : « Quand j’ai entendu cet argument [à propos de l’incendie à Lubrizol – NDLR], ça vient de l’extérieur donc ce n’est pas nous », je me suis dit là, il y a un problème de philosophie générale et de politique générale de gestion des risques. »

Pour cet expert, il est bien sûr évident que les autorités de contrôle « pour être efficaces », « doivent être fortes, indépendantes et respectées ».

Quant aux « pilotages » de crise, ils sont « dépassés et à réinventer » : « Les moyens d’alerte sont d’un autre âge ».

Patrick Lagadec estime qu’il est fondamental d’avoir « la capacité culturelle à donner de l’information même si on n’a pas les éléments, même si on ne peut pas rassurer ».

Le directeur de recherche honoraire à l’École polytechnique souligne également l’importance d’impliquer les citoyens : « Quand on fait un exercice [de sécurité], « ne pas leur dire : « il y a aura un exercice dans trois mois, surtout ne faites rien, on vous dira ce qu’il faut faire » mais plutôt aller voir le directeur de l’école, le directeur de l’hôpital etc. [et dire] « Qu’est-ce qu’il vous serait utile que l’on fasse avec vous ? » Il y a vraiment une confiance partagée dans l’apprentissage collectif de situations compliquées. »

Pour Patrick Lagadec, inspiré par le modèle belge « en avance sur nous », s’il n’y a pas de changement décisif, « on s’expose à des drames et on laissera à Google ou à d’autres, toute l’attitude pour prendre en charge les alertes et éventuellement les manipuler à leur aise. »

Une maîtrise des risques à un niveau plus global, l’idée est plutôt bonne quand on sait  que pas moins de « 131 avis d’incidents » ont été enregistrés dans l’hexagone en 2019 par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Une hausse de  plus de 20% par rapport aux années précédentes.

* La commission d’enquête sur l’incendie de Lubrizol poursuit ses travaux  jeudi 23 janvier avec le préfet Alain Thirion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises.

Avec La Chaîne Public Sénat