Ce n’est pas le tout d’avoir regardé, écouté le discours de notre président Emmanuel Macron. Maintenant, il faut digérer cette allocution et elle est particulièrement lourde, reconnaissons-le. Les éditorialistes de tous poils n’ont cessé, depuis ce lundi 13 avril, d’aborder des angles divers, de changer de points de vue, ayant peut-être l’ambition de tenir le rôle du bicarbonate de soude après un repas trop copieux. Les grands pouvoirs mis à la disposition du gouvernement lui permettent de prendre des mesures brutales, totales, générales. Il dispose pour cela d’un budget plus qu’important et nous nous devons, par contrainte et par nécessité, de suivre les directives décidées.


Normalement, nous devrions plutôt être en confiance et partager l’idée que cette stratégie va être gagnante. Mais pourtant, à partir du moment où l’on tente de recueillir des avis de proches, par téléphone, courrier électronique, réseaux sociaux, pas grand monde n’y croit vraiment. Bizarre.

 

Cette chape de plomb qui d’un coup s’est abattue sur nous tous est tout de même, si l’on extrait (ce qui n’est pas rien) le volet médical proposé et ses incohérences, techniquement bien gérée. Les magasins restent à peu près approvisionnés et des alternatives solidaires indépendantes ne cessent d’émerger. En France. Ailleurs, il reste tous les pays qui ne s’en sortent pas, et ce à l’échelle de dizaines de millions de personnes. Mais en faire le tour ne nous ferait guère avancer pour l’instant, car nous voulons essayer de comprendre. Comprendre comment il est possible de s’en retrouver là, sans masques, ni médicaments ni tests ni respirateurs, avec un système de santé si déficient et un discours présidentiel aussi surprenant.

Sans répéter une fois de plus ce que vous pourrez entendre partout ailleurs, notre système a été, on l’a vu, pris de court. Les services de santé furent réduits en France à leur plus strict minimum, ce qui, dans les situations habituelles, suffisait plus ou moins. Les médicaments ont été fabriqués à l’étranger, au prix le plus bas, ce qui convenait jusqu’alors. Mais le court-circuit sociétal est douloureux, on peut le constater au quotidien. La question que nous nous posons, c’est de savoir qu’est ce qui a motivé l’humanité à se comporter ainsi, alors qu’elle savait tout de même très bien tous les effets néfastes à court terme sur l’environnement, par exemple, qui détermine les conditions globales de notre survie. Existe-t-il une explication générale qui permettrait de rectifier le tir, en quelque sorte, et de mettre enfin en place ce monde politique et social idéal auquel tout le monde rêve ?

Pour cela, il faut considérer l’homme, l’humain, tant dans l’histoire qu’actuellement. Pourquoi, depuis les années 1960, les supermarchés se sont-ils tant développés, pourquoi va-on acheter son tabac et son alcool en Andorre ou au Luxembourg, pourquoi commande-t-on tant de produits fabriqués en Asie, pourquoi choisir des congés en Tunisie ou en Grèce, etc. ? Il y a une constante à tout cela, constante qui rejoint celle des défricheurs mafieux d’Amazonie, des compagnies pétrolières, fruitières, des GAFAM et dans le passé, des esclavagistes aux seigneuries en passant par les organisations religieuses. Pêcheurs ou chasseurs plus ou moins braconniers du monde entier, agriculteurs dévoreurs d’espaces, industriels recherchant la population la moins chère comme main d’œuvre, tous ont comme argument, la bouche en cœur, des mots comme : créer de l’emploi, nourrir la planète, faire tourner l’économie mondiale. Il y a donc, dans l’humain, ce désir d’augmenter sans cesse sa production, son chiffre d’affaire, son salaire, sa richesse et, on l’a vu, en se jouant des règles internationales, traitant avec les dictateurs, utilisant les paradis fiscaux, mettant les diverses lois en contradiction.

Il faut bien dire et redire que ce comportement se retrouve à tous les niveaux de la vie sociale, autant dans les groupes de migrants où les passeurs font loi, qu’auprès des plus hautes instances d’un pays, comme quand les lobbies des pesticides imposent habilement leurs règles. On a donc affaire à un univers très difficile à maîtriser, à réguler, étant donné que tout membre d’un état, qu’il soit agent des forces de l’ordre, dictateur africain, responsable associatif, ministre, agriculteur, juriste, etc., peut sans cesse trouver la faille pour assurer son profit à un moment donné, quitte à détourner des masques chirurgicaux pour les revendre à prix fort, par exemple.

Le capitalisme et la mondialisation ont régné en maître sur notre monde et en possèdent aujourd’hui tous les leviers de commande. Peut-on espérer inverser la vapeur grâce au Covid-19 ? Beaucoup le croient, l’espèrent, mais comment persuader tant de communautés, à la fois politiques et religieuses, de la pertinence, de la nécessité d’une refondation des règles de vie mondiales ? Ce serait pour nombres d’entre elles, au plus bas niveau, la nécessité d’abandonner beaucoup de leurs croyances et de leurs certitudes. Le peuvent-elles ? Nous pouvons toujours l’espérer, mais les exemples électoraux, qu’ils soient français, américains, brésiliens, anglais etc. ne nous laissent pas une grande part d’optimisme en ce qui concerne cette utopie pourtant si nécessaire, dont la mise en place pour le bien de tous nécessitera encore, tout pousse malheureusement à le croire, du sang et des larmes…

 

Thierry Arcaix

 


Illustration : Moss Artiste et l’humanité


 

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Thierry Arcaix a d’abord été instituteur. Titulaire d’une maîtrise en sciences et techniques du patrimoine et d’un master 2 en sciences de l’information et de la communication, il est maintenant docteur en sociologie après avoir soutenu en 2012 une thèse portant sur le quartier de Figuerolles à Montpellier. Depuis 2005, il signe une chronique hebdomadaire consacrée au patrimoine dans le quotidien La Marseillaise et depuis 2020, il est aussi correspondant Midi Libre à Claret. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages dans des genres très divers (histoire, sociologie, policier, conte pour enfants) et anime des conférences consacrées à l’histoire locale et à la sociologie.