Explications de textes sur la loi Blanquer avec deux enseignant-e-s de Martigues (Bouches-du-Rhône), à l’heure où la contestation monte un peu partout dans le pays.

Ce n’est pas la première fois que les syndicats d’enseignants ont maille à partir avec leurs ministres de tutelle : on se souvient (ou pas ?) de Luc Chatel, Xavier Darcos ou Claude Allègre, ministre socialiste de l’ Éducation Nationale qui voulait « dégraisser le mammouth ». Sauf qu’aujourd’hui cela semble pire encore avec la loi Blanquer, pour laquelle les enseignants, après plusieurs mois de lutte, ont enfin brisé le mur du silence des médias dominants.

La mobilisation unitaire du samedi 30 mars, à Marseille et dans toute la France, y a contribué. Et « l’école de la confiance », selon la communication officielle, apparaît de plus en plus comme celle de la « défiance », sur les pancartes brandies lors des manifestations comme dans les propos des professionnels de l’éducation. « Un des objectifs non avoués de cette réforme, c’est la concurrence entre tout le monde : entre établissements et entre disciplines. Aucun établissement sauf peut-être les plus côtés, ne pourra proposer onze spécialités, c’est quasiment impossible » souligne Philippe Sénégas, professeur d’histoire-géographie, syndiqué à la FSU. Le réseau « Martigues-Côte bleue » compte deux établissements publics : les lycées Paul Langevin et Jean Lurçat. « Ce qui se profilait, c’était une forme de spécialisation avec les sciences humaines au Lycée Lurçat et les autres disciplines scientifiques au Lycée Langevin : il y a eu une levée de boucliers, la pire des choses serait de se tirer dans les pattes » explique l’enseignant.

Interpellé, le Recteur d’Académie est venu sur place, au Lycée Langevin puis au Lycée Lurçat où il a aussi rencontré  les parents d’élèves. Dans les deux cas, gilets jaunes, militants de la CGT et de la FSU étaient réunis pour l’« accueillir ». « On s’est rapprochés des gilets jaunes de Martigues pour construire une forme de convergence des luttes, ils ont même distribué des tracts sur les ronds-points » précise le syndicaliste. Pas plus que la réforme de la SNCF n’était la seule affaire des cheminots, la loi Blanquer n’est affaire uniquement de « profs ». Elle concerne aussi d’autres acteurs : les parents, et d’abord les lycéens, qui pourraient se laisser séduire par le discours sur « la liberté de choix » et le parcours personnel. C’est aussi pour cela que le principal syndicat de l’enseignement a multiplié les initiatives locales : motions lors de CA d’établissements, journées de grève, réunions publiques à Martigues et Port-de-Bouc, courriers au Recteur, conseil de classe silencieux, démission des professeurs principaux au Lycée Langevin…

Si le ministre Blanquer a accusé les syndicats d’enseignants de baser leur contestation sur des « bobards », le syndicaliste lui renvoie le compliment : « c’est l’hôpital qui se fout de la charité : sur France Inter, M. Blanquer a dit que les élèves pourraient choisir d’autres options après la 1ère s’ils s’aperçoivent qu’ils se sont trompés, c’est faux et illogique car pourquoi prendre une spécialité en 1ere et histoire-géographie-géopolitique par exemple ensuite, alors que ça n’a rien à voir ? »

« Plan social déguisé »

Le véritable sens de cette réforme ne serait-il pas de supprimer des postes dans la mesure où Emmanuel Macron n’a pas renoncé à son objectif de suppression de 120 000 postes de fonctionnaires durant la mandature ? « A la FSU nous avons dans un premier temps demandé un moratoire car dès le début ça nous est apparu comme un plan social, il faut faire disparaître plus de 20 000 postes, d’où cette réforme du lycée et la suppression à petit feu des options » précise Philippe Sénégas qui ajoute que « les lycées professionnels sont ceux qui perdent le plus d’heures d’enseignement général ». Pourtant, le gouvernement se paie une campagne de pub télévisée pour promouvoir l’enseignement professionnel ! Probablement l’art du « en même temps »… « Si les séries Littéraire, Sciences économique et sociales, Scientifique ne sont pas parfaites aujourd’hui, demain, une classe de Terminale L à 22 élèves ne sera plus possible ».

Pour l’heure, le mouvement des enseignant-e-s a certes permis des avancées au plan local, mais elles sont jugées encore insuffisantes. « Au Lycée Langevin, une dizaine d’heures a été rajoutée, mais sous forme d’heures supplémentaires, au Lycée Lurçat, la rallonge est de 12 heures « postes » ». Au-delà de l’échelon local, « comment accueillir 32 000 élèves en plus dans le premier et le second degrés si on supprime des milliers de postes » s’interroge Philippe Sénégas, « le gouvernement dit que pour garantir le taux d’encadrement, il va donner des heures supplémentaires, comme cela les profs verront leur pouvoir d’achat augmenter ».

« Travailler plus pour gagner plus » ? Décidément, la  Macronie se rapproche de plus en plus de la Sarkozye, et pas seulement sur le plateau des Glières…

« Obligation de réserve » ?

L’article 1 du projet de loi Blanquer vise à instaurer une obligation de réserve, et, de fait, à restreindre la liberté d’expression des enseignant-e-s. Derrière « l’exemplarité » réclamée aux professeurs se cachent en fait des « risques de sanctions s’ils critiquent le ministre sur les réseaux sociaux »relève Valérie Dussol, membre du SNU Ipp (syndicat des enseignants des écoles maternelles et primaires). « La loi promue par Anicet Le Pors (alors ministre communiste de la Fonction publique sous François Mitterrand, Ndlr) en 1983 ne prévoyait le devoir de réserve que pour les cadres, maintenant, ils veulent l’étendre à tout le monde : pour « l’école de la confiance », ça démarre mal » poursuit l’enseignante en primaire.

Quant à l’obligation scolaire à 3 ans qui fait la fierté des promoteurs de cette loi (la députée LaRem du Rhône, Anne Brugnera, parle de « disposition historique » dans une tribune libre publiée par le journal L’Humanité ) (1), qui pourrait sérieusement s’y opposer ? « C’est une bonne chose » souligne Valérie Dussol… à un petit détail près : « les 150 millions d’euros de cadeaux faits aux écoles privées au niveau national ».

« Bien sur, l’école maternelle privée sera ainsi reconnue. Et soutenue comme l’école élémentaire privée » (2) se réjouit la députée macroniste.
« L’audace historique » de l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans mérite d’être relativisée. En effet, selon Francette Popineau, porte-parole du SNU Ipp, « 98,9% des enfants de 3 à 6 ans sont aujourd’hui scolarisés à l’école maternelle » (3).

Si le pouvoir affiche son ambition pour la Maternelle, la loi prévoit pourtant que « les jardins d’enfants pourront dispenser un enseignement sur dérogation accordée pour deux ans, l’enseignement devant être vérifié par les services académiques » note Valérie Dussol. Pour la professeure des écoles, « il y a un risque de mise en concurrence avec les maternelles et ce n’est pas une lubie de syndicalistes ou d’élu(e)s. Sarkozy avait déjà essayé de manière plus frontale de s’attaquer à cette exception française. Ce ne sera pas pour demain mais cette dérogation pose problème »

Autre disposition de la loi Blanquer, ce que la syndicaliste appelle « une réorganisation totale des écoles primaires » qui seront « rattachées aux collèges. Mais cela va beaucoup plus loin car on n’y aura plus de conseils d’école ». Dans ce chamboule-tout pensé par secteurs géographiques, « le principal du collège sera secondé par des adjoints, dont un adjoint du premier degré qui sera en charge de plusieurs écoles, qui dit regroupement dit suppression des directeurs d’écoles et suppression de postes » indique Valérie Dussol qui redoute la perte de proximité car « c’est le directeur d’école qui gère les relations avec les parents ou les travaux. Il ne faut pas oublier qu’en France, moins de 50% des écoles primaires ont plus de quatre classes, donc on va regrouper plus facilement et des économies d’échelle pourront être réalisées »

Une école à deux vitesses ?

Si la République en marche présente la création d’établissements publics locaux d’enseignement international comme une formidable chance à saisir dans la mesure où ils offriront à leurs partenaires, « en particulier les collectivités locales, des leviers pour évoluer avec notre société, mais aussi se projeter vers l’avenir » (4), les syndicalistes de la FSU sont beaucoup moins enthousiastes. Pour Valérie Dussol, « les établissements internationaux du premier et du second degré s’adressent d’abord aux enfants dont les parents se déplacent à l’étranger et qui ont déjà un bagage culturel et économique assez important ».

A contrario, l’école de la confiance semble manquer cruellement d’ambition pour d’autres types d’élèves. « Avec les établissements publics des savoirs fondamentaux, on retourne à « lire, écouter, compter et respecter autrui » , c’est ce qu’on appelle  « l’école du socle », on va vers une école utilitariste avec le minimum pour tous et le maximum pour quelques -uns, on craint une hausse des inégalités, avec des méthodes de management venues du privé » résume l’enseignante.

Au tableau, il faut ajouter le remède miracle pour pallier l’absence de profs avec « des étudiants qui vont avoir la responsabilité de classes pour 700 à 900 euros » (cela sera possible dès la deuxième année d’études supérieures, Ndlr) ou la suppression du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), un organisme indépendant créé par une loi de juillet 2013 qui sera remplacé par un Conseil d’évaluation où « dix membres sur quatorze seront choisis par le ministre ». « Ils vont répondre aux questions qu’ils se posent eux-mêmes » note l’enseignante avec une pointe d’ironie.

Moralité, à la FSU, on hésite entre abus de confiance et école de la défiance pour qualifier cette loi qui sera examinée au Sénat en ce mois d’avril.

NP


Photo : « Enseignants, parents, Gilets jaunes rassemblés pour « accueillir » le Recteur devant le lycée Jean Lurçat à Martigues. » Crédit : RA


Notes / Sources :
1,2,3,4 : « L’Humanité » du 13 février 2019
Projet de loi Blanquer : http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl1481.asp

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Reprend des études à chaque licenciement économique, ce qui lui a permis d'obtenir une Licence en Histoire de l'art et archéologie, puis un Master en administration de projets et équipements culturels. Passionnée par l'art roman et les beautés de l'Italie, elle garde aussi une tendresse particulière pour ses racines languedociennes.