Le hasard fait bien les choses et imbrique parfois avec une cohérence inouïe les évènements. Ainsi, dans cet océan cinématographique de Cinemed a surgi une de ces heureuses coïncidences qui fait sens : la projection de Lullaby, suivie, comme une réponse à la question de la charge mentale ménagère évoquée dans le long-métrage, du documentaire We are coming, chronique d’une révolution féministe.


 

On peut le dire, il a régné une ambiance de petite révolution lors de la projection, au sein du cinéma Diagonal, du documentaire de la réalisatrice ardéchoise Nina Faure, en ouverture du Mois du Documentaire. Accueilli par les chansons inclusives de la chorale montpelliéraine les Flammes en Rage, collectif autogéré en mixité de genres, c’est un monde fou qui attendait impatiemment devant l’entrée et dans le hall bondés du cinéma, pour une séance affichant complet. We are coming est un titre à deux entrées : évoquant aussi bien l’arrivée de la Femme dans les débats et espaces publics que la phrase indicatrice d’orgasme à venir dans l’acte sexuel. Oui oui, de sexe il est ici crucialement question. Pas d’érotisme et de porno’, non. Là on parle du sexe « faible », comme l’a qualifié notre société empreinte d’une estimation des forces par parties génitales ; de celui autour duquel tant de mystères règnent depuis des lustres, antre du péché originel aux secrets enfermés à double tours, sombre, tu, (in)violable…  « Les questions de sexualité on a l’impression que ça relève du domaine de l’intime […] alors que les rapports sociaux, les rapports de pouvoirs […] ont un impact concret sur la façon dont on vit notre sexualité », constate l’une de celles dont la voix résonnera tout au long du film, Yéléna Perret, interviewée par Occitanie Film.

en attendant la séance, dans la hall bondé, la librairie le Grain à

« Pourquoi les femmes prennent-elles moins de plaisir que les hommes ? », c’est de cette interrogation jaillie d’une discussion post-#MeToo entre Nina Faure et ses copines, toutes issues d’une génération Y libérée de tout tabou d’expression, qu’ouvre la quête. Face aux réponses cruellement lacunaires et timidement bredouillées de leurs amis, c’est avec l’ardeur propre à toute quête de connaissance de soi que Nina et sa meilleure amie Yéléna Perret, humour et franc-parler en poche, sont parties investiguer. Prise de connaissance et partage aux chastes yeux de la société de l’organe du clitoris si tardivement médicalement étudié : en 2005 ; scène de déstructuration en situation d’un film pédagogique aux choix langagiers douteux par une prof’ de SVT et ses élèves plus dupes du tout ; rencontres de scientifiques, sexologues, journalistes, chercheuses, et surtout de groupes de paroles de la gent féminine, notamment sexuellement très satisfaites à seulement 31 %, tandis que 70 % d’entre elles avouent avoir simulé pendant un acte sexuel. Le tour d’horizon est étendu, le constat de non appropriation de son corps, vertigineux. La posture se fait politique.

Au fil des recherches, une des réponses aux questions apparaît, trouvaille inattendue dans une pataugeoire : Notre corps, nous-mêmes. Vrai manuel pédagogique à l’usage des femmes, l’ouvrage issu du travail d’un collectif féministe américain, traduit et paru en France en 1977, regroupe un complet éventail de précieux conseils liés à la connaissance et l’appréhension du corps féminin. Le remettre au goût du jour, voilà le projet engagé par les deux copines, au binôme agrandi d’un collectif que nous suivons au fil de son temps de réécriture. De conseils d’auto-défense en planches anatomiques, des méthodes de contraception à la grossesse, du consentement aux violences sexuelles, tout pour s’émanciper et évoluer en femme libre dans la société. « On a trouvé que pour atteindre le plaisir féminin il faut abolir le patriarcat. Mais alors là, comment faire ? » Nina Faure de conclure, après une ovation fraternelle (ou maternelle ?) de la salle. Un livre et un documentaire nécessaires, à mettre sous tous les yeux et dans toutes les mains, même celles des hommes en quête du mythologique « manuel à livrer avec les femmes ».

Alice Beguet

 

We are coming, chronique d’une révolution féministe, produit par C-P Productions et Playtime Films, à retrouver dans les salles début 2023.

Le livre Nos corps, nous-mêmes, édité aux éditions Hors d’atteinte, est à trouver dans toutes les bonnes librairies ou sur le site de l’éditeur.

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Rédactrice passionnée de culture. De la gastronomie, qu'elle exerce au travers de son deuxième métier de cheffe et qu'elle traitera à l'écrit dans les pages du Figaro (ponctuellement) ainsi que sur son blog de critique, la Tambouille d'Alice, aux arts sonores et visuels, jusqu'au théâtre sur lequel la rédactrice sans carte de presse a écrit nombre de critiques dans le cadre du Festival d'Avignon durant quelques années de piges au Dauphiné Libéré. Curieuse des parcours et modes de vie de tous les êtres vivants, inquiète des inexorables défis climatiques et sociaux, soucieuse d'en relayer des solutions citoyennes.