Serge a été engagé dans la Légion étrangère de 2013 à 2018, à l’Ardoise (30). À l’issue de son engagement, cet ukrainien d’une trentaine d’années, qui a fondé une famille avec une compatriote, s’est vu refuser le certificat de bonne conduite qui lui aurait garanti le droit de séjourner régulièrement sur le sol français. Une situation qui révèle une zone d’ombre : les légionnaires sont en séjour irrégulier sur le territoire durant leur engagement.


 

Bonne conduite

 

La promesse faite à l’étranger qui s’engage dans la Légion, c’est celle de devenir « français par le sang versé ». Mieux qu’une promesse, un engagement, repris parfois par des politiques pour parler de ce corps d’armée qui assimile les étrangers. Ce qu’on sait peu, c’est que cette promesse n’est tenue que par la délivrance, en fin d’engagement, d’un certificat de bonne conduite (CBC), lui même délivré aux légionnaires qui auront eu « un comportement adapté aux exigences des forces armées », une condition assez vague pour être soumise à interprétation, voire à l’arbitraire. L’obtention du certificat de bonne conduite conditionne la délivrance par la préfecture d’un titre de séjour renouvelable les autorisant à rester en France pour une durée de dix ans. Faute de certificat de bonne conduite, les légionnaires sont expulsables du territoire dès la fin de leur engagement.

L’article L 314-11 alinéa 7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et des demandeurs d’asile prévoit, depuis un décret de 2018, que : « Sauf si la présence de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public, la carte de résident est délivrée de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour : (…) 7° À l’étranger servant ou ayant servi dans la Légion étrangère, comptant au moins trois ans de services dans l’armée française et titulaire du certificat de bonne conduite, sans que soit applicable la condition de régularité du séjour ; » Le décret prévoit toutefois que : « Le certificat de bonne conduite peut être retiré à tout moment au déserteur ainsi qu’au militaire ayant, après sa délivrance, adopté un comportement inadapté aux exigences des forces armées. »

 

La Légion et une famille

 

Serge Turtchaninov est un de ces légionnaires privés du fameux sésame. Cet Ukrainien de la région de Kharkiv, près de la frontière russe, s’est engagé dans la Légion étrangère en 2014. À l’issue d’une année de légion, « la plus dure, mais je suis sportif et je voulais devenir un soldat », l’homme a déjà un avenir qui se dessine. Il est le compagnon d’une jeune femme restée en Ukraine. Cette dernière viendra le voir lors d’une permission, au bout de la première année de service. « Elle est tombée enceinte lors de son séjour, et lorsque je l’ai appris, j’ai fait en sorte qu’elle revienne pour accoucher de notre fille en France. » Ce sera donc en France que leur enfant naîtra et sera scolarisée.

Il faut savoir que la région de Kharkiv est celle où se concentrent, de chaque côté de la frontière, les forces armées des deux pays lors des moments de tension. En 2014, la ville est passée du côté des insurgés pro-Russes. À l’époque où sa compagne était enceinte « elle pouvait voir passer les chars de ses fenêtres ». La ville — déjà théâtre d’affrontements en 2014 — dont la population est très divisée entre les « pro-Maïdan » issus de la révolution de Maïdan1, et les « pro-Russes » ayant soutenu le pouvoir de Viktor Yanoukovytch. En 2014, des militants pro-Russes ont même hissé le drapeau russe au-dessus du bâtiment de l’administration régionale et ont déclaré la République populaire de Kharkov. Le soulèvement a été réprimé en moins de deux jours.

Mais, en théorie, le légionnaire ne peut se marier lors de son engagement. Et même si ces deux-là ne sont pas mariés, le fait que Serge doive louer un appartement pour sa famille et acheter une voiture pose un problème à sa hiérarchie, qui justifiera le refus du certificat de bonne conduite par le fait que le jeune légionnaire « a pris femme ». Ce qui est certain, c’est que pour serge, la découverte de sa famille et des transactions — anodines dans la vie civile — concernant l’achat de la voiture et la location d’un appartement, sont le début de nombreux incidents à son encontre.

 

Pas de titre de séjour pour les légionnaires

 

On comprend qu’en réalité, tout étranger qui intègre la Légion étrangère signe un contrat d’engagement, mais ne se voit pas attribuer de titre de séjour en vue de résider régulièrement en France. Il bénéficie simplement d’une carte d’identité militaire durant toute la durée de son engagement. Cette pratique constitue une entorse aux règles du droit au séjour en France prévu à l’article L311-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’Asile qui énonce que : « Sous réserve des dispositions de larticle L. 121-1 ou des stipulations d’un accord international, tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France doit, après l’expiration d’un délai de trois mois depuis son entrée en France, être muni d’une carte de séjour. » Cela fait donc automatiquement des légionnaires s’étant vu refuser le CBC, des clandestins…

Telle est donc la situation de Serge — et de son épouse — aujourd’hui. Clandestin après avoir servi plus de quatre ans dans l’armée française, elle, arrivée avec un visa de tourisme, ils sont de fait expulsables. Le conflit en Ukraine ayant repris de plus belle, la spectre de l’expulsion pourrait s’éloigner… mais ne change rien en réalité à la situation d’un clandestin qui n’a pas le droit de travailler légalement et se retrouve donc à la merci de petits boulots au noir, par ailleurs devenus denrée rare pour cause de Covid. Le remerciement pour quatre années d’engagement au service de la France.

La situation de ces légionnaires avait ému Marylise Lebranchu, ancienne garde des sceaux, en 2010. Cette dernière, alors députée du Finistère, décidait de proposer la fin de ce certificat de bonne conduite et de faire appliquer le droit commun, en lieu et place du pouvoir discrétionnaire du commandant suprême de la Légion. Si l’initiative de l’ancienne ministre a malheureusement fait chou blanc, elle soulève ce point de non droit : les légionnaires sont de fait, durant la durée de leur service, en infraction avec la législation sur le séjour des étrangers, et le refus d’un certificat fait de ceux qui le subissent (3 à 5 % des engagés) des clandestins.

Reste que la situation de notre légionnaire avignonnais ne semble pas bénéficier du même engouement que les réfugiés ukrainiens, accueillis comme jamais on n’accueillit en France. Lui n’a pas voulu se battre en Ukraine et veut juste vivre une autre vie ici avec sa famille.

À suivre.

Christophe Coffinier

Notes:

  1. La révolution ukrainienne de 2014, également dénommée révolution de Maïdan (Place de l’indépendance de Kiev), a eu lieu entre le 18 et le 23 février 2014 à la suite de l’Euromaïdan (manifestations pro-européennes à la suite de la décision du gouvernement ukrainien de ne pas signer un accord d’association avec l’Union européenne au profit d’un accord avec la Russie, ayant conduit à la destitution de Viktor Ianoukovytch, président d’Ukraine).
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Passionné depuis l’âge de 7 ans, de photo, prise de vue et tirage, c’est à la fin d’études de technicien agricole que j’entre en contact avec la presse, en devenant tireur noir et blanc à l’agence avignonnaise de la marseillaise. Lors d’un service national civil pour les foyers ruraux, au sein de l’association socio-culturelle des élèves, c’est avec deux d’entre eux que nous fondons un journal du lycée qui durera 3 ans et presque 20 numéros. Aprés 20 ans à la Marseillaise comme journaliste local, et toujours passionné de photo, notamment de procédés anciens, j’ai rejoint après notre licenciement, le groupe fondateur de l’association et suis un des rédacteurs d’Altermidi, toujours vu d’Avignon et alentours.