Nîmes, ville pleine de bruit et en certaines occasions — La temporada tout particulièrement — de fureur est devenue profondément silencieuse. Silence et « désertification », pour qui a connu la foule des grands et petits jours (arènes, halle et marchés), celle des férias et des festivals dans le vieil amphithéâtre ou rencontres, partages et échanges — même vifs sur Les questions tauromachiques — ont toujours fait partie du (bon) sens de la fête, hors du strass et des paillettes, de l’accueil de la « convivienca » comme les gens du Sud l’expriment.


 

Nîmes hier 17h : paysage après la bataille, morne plaine. Des cafés et des bars qui ne disent plus leur nom repliés dans leur arrière salle. Des lieux qui lorsque les jours commencent à pousser en longueur s’animent NORMALEMENT de chaleureuses clameurs. Début 2020 la menace virale n’avait pas encore commencé son travail de sape et malgré le froid, la rue dansait jusqu’aux petites lueurs matinales ou quelques braises du « cante » brûlaient encore dans des « tablaos« 1 improvisés. Aujourd’hui les lieux où coulaient fino et pastis sont en berne, tous rideaux tirés. Quelques silhouettes masquées, tête baissée, pressées rasent les murs, couvre-feu oblige. Quelque jeunesse tente un cri étouffé par le bâillon.

Sur la petite place, le théâtre habituellement noir de monde fait grise mine et les quelques affiches sont aussi grises de consignes et d’injonctions. Tristes aussi sont les commentaires de ceux qui s’attardent à lire « reporté », « annulé », « repoussé », assortis de nombreux « Peut- être au printemps prochain ».

Au Sémaphore, cinéma culte d’art et essai qui héberge de nombreux festivals (britannique, écologique…) des conférences, un lieu des plus fédérateurs de la ville où l’on s’attarde pour casser à la chaleureuse « cafète » une petite graine ou boire un coup de « jaja », l’on regrette aujourd’hui de ne pas râler à subir la queue pour un film quatre étoiles Télérama. Serait-ce un clap de fin ou juste une ellipse passagère, que peut-on projeter ? Pas une lumière ne filtre.

À Carré d’art, ledit temple de la culture, quelques stigmates d’agitation font penser à la subsistance d’un peu de vie culturelle mais des vigiles filtrent, sagement zélés. Quelques ombres fantomatiques se laissent percevoir. Mais très vite, la culture est verrouillée. Il faut regagner ses pénates avant le couvre-feu qui livre la ville à elle-même dès 18h.

Les musées nîmois ont payé un tribut des plus virulents au phénomène « corona ». Tauromachie, Vieux Nîmes, archéologie Beaux-arts, Chapelle des Jésuites ont baissé pavillon. Le riche patrimoine de la ville n’a comme plus droit de cité, replié sur ses « pompes » et ses œuvres.

Force est de dire, restons prudents, que pour un certain temps, la cité aux 7 collines doit renoncer aux sorties musicales, théâtrales et pelliculaires. Adieu par voie de conséquence aux stimuli pour l’esprit et l’imaginaire, à la pensée créatrice et critique, celle qui naît aussi des rencontres, partages et échanges.

Les mazets qui font également partie de l’univers nîmois sont affectés par l’état des lieux : ils résonnent à peine des joyeux cris d’enfants. Chacun se terre alors devant son petit écran en quête de nouvelles réconfortantes qui n’arrivent pas.

L’art qui « lave notre âme de la poussière du quotidien » (Pablo Picasso) est exilé et les pierres antiques qui font la renommée de la petite Rome sont seules, désertées des touristes. Arènes, Maison Carrée, Temple de Diane et autres somptueux et monumentaux vestiges qui imposent par leur puissance et magnificence l’admiration du touriste de France et de Navarre. Elles sont aujourd’hui orphelines de ces regards suivis d’exclamations étonnées et admiratives. Des siècles de traces réduits à un silence pétrifié et pétrifiant. Chacun se tait, n’évoquant plus ni riches ressources de la ville ni éventuelles difficultés pour leur mise en valeur. Cette culture qui fait lien, liant et sens bat pavillon. Seuls quelques chuchotements émergent à travers les pierres lézardées.

Sous cet état des lieux, dans cette (trop) longue absence des artistes, des comédiens et des musiciens, les êtres se fissurent, les consciences se désincarnent, sont nues.

L’heure est-elle fixée à un avenir masqué sans imaginaire commun ? Comment réenchanter ce réel aussi épuisant que désarmant en conviant des images toniques et joyeuses, capables de redonner foi à l’essentiel qui est le sacré existentiel ?

MarieJoe Latorre

Notes:

  1. lieux flamenco ou cabarets andalous
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Journaliste, ancienne responsable Culture du titre La Marseillaise (Nîmes). Marie-joe Latorre a joint le peloton fondateur du média altermidi. Voyageuse globe-trotteuse, passionnée par les arts, les gens, les lettres et le cinéma. Passés ses carnets de voyage et ses coups de coeur esthétiques, cette curieuse insatiable est également spécialiste du cinéma d' Ingmar Bergman. Marie-joe a également contribué à de nombreuses monographies d'artistes (Colomina.2017, Ed Le Livre d'Art - Edlef Romeny.1997, Edisud.)