L’élection d’un nouveau maire est un évènement d’importance. Après une victoire dans les urnes, il en reste la concrétisation nécessaire par le vote du conseil municipal. C’est bien ce à quoi nous avons assisté ce samedi 4 juillet. Des émotions, partagées et palpables, l’enthousiasme de toute une équipe et de ses supporters étaient au rendez-vous. C’est bien par cette liesse que nous nous sommes laissés gagner, laissés emporter, négligeant pour le coup les perdants, bien sûr déçus, mais dont ce n’était là ni le jour ni l’heure.


 

Quand une nouvelle équipe triomphe, il est de règle qu’elle témoigne d’une énergie terrible, et ce mot est justifié. Terrible, donc, à la fois effroyable, violent et extraordinaire, qui suscite à la fois de l’angoisse et de l’admiration. On est donc passé d’une approche réfléchie, calculée, la campagne électorale, qui relève à la fois de la stratégie du champion d’échecs et de celle du lutteur de sumo, à l’explosion d’émotions et ce samedi, en corollaire pour chaque être humain concerné, à la libération de dopamine, cette molécule naturelle du plaisir. Car, ici comme ailleurs, la profondeur se cache toujours à la surface des choses, dans le triomphe de la raison sensible, dans l’explosion libératrice d’une joie dionysiaque. Cette forme de liesse populaire est forcément partagée. Même si les perdants peuvent en souffrir, ce n’est pas contre eux, en une sorte de règlement de comptes terminal, que s’adresse cette transe exceptionnelle, mais elle est donnée à vivre pour l’occasion, innocemment, à ceux qui veulent bien la partager. La loi des frères…

À ce sujet, de quels éléments d’analyse disposons-nous ? Comment comprendre objectivement cette victoire électorale ? Les trois listes qui se présentaient au second tour de l’élection municipale avaient chacune leur spécificité, mais un point commun les reliait fortement : c’était d’avoir voulu présenter un panel de la population montpelliéraine touchant à toutes les sensibilités possibles, ou tout au moins à toutes celles qu’il semblait possible de concaténer. Mais c’est là que les choses se sont compliquées. L’appréciation portée sur une personne plutôt qu’une autre s’est avérée parfois juste, parfois discutable. Pire encore, et plus largement que pour les personnes, le choix de groupes, de formations, rassemblées sur des axes idéologiques ou communautaires s’est avéré extrêmement complexe et périlleux, nous avons pu le constater pour les deux listes vaincues. Rassembler intelligemment des électeurs autour de candidats a été le problème central de cette élection municipale.

Nous avions déjà discuté du problème du choix présidentiel de la date des élections municipales et nous en avions analysé les points faibles (abstention, contamination, discrédit de la fonction de maire). Les dates choisies, si elles n’ont pas renforcé les faiblesses déjà remarquées, ont été administrativement légitimées, malgré ce record national de 58,4% d’abstention (65,56% à Montpellier). Cette validation d’État rend donc paradoxalement ces élections valables, son nombre d’électeurs est considéré comme satisfaisant et l’argument développé par Pierre Dac en 1972 dans ses Pensées : « Si ma tante en avait on l’appellerait mon oncle » renvoie crument les divers plaideurs de la contestation acharnée à une plus dure réalité.

Un passif peut-il expliquer l’échec à Montpellier de Philippe Saurel ? Sur ce point, nous ne sommes guère convaincus. Pourquoi ? Bien sûr, en un premier temps, on pourrait avancer que l’électorat n’était pas satisfait de ce qu’il avait vécu avec ce premier maire. Mais ce serait considérer qu’il aurait gardé un souvenir précis de la mandature précédente. Or, on sait très bien aujourd’hui que, sorti d’un cercle limité d’acteurs politiques et associatifs comptables à moyen terme de la vie municipale, la majorité de la population garde peu de souvenirs de tout événement sorti du très court terme. C’est que la communication politique mobilise sur des styles et des images plus que sur des programmes et des promesses. Il y aurait donc une tendance à l’amnésie sous deux formes : volontaire et involontaire. Ainsi, les électeurs, conditionnés par une politique qui ressemble à du divertissement, qui passe d’un sujet à l’autre, se retrouvent noyés sous les informations, en oublient les questions politiques générales. Ces électeurs errent ainsi entre un spectacle politique distant et le détail de leurs soucis quotidiens et personnels. Cette amnésie touche aussi la projection des questions dans le futur. À quoi bon prendre le temps, si en un mois, une semaine ou deux jours on sera passé à autre chose (Gil Delannoi, directeur de recherche à Sciences-Po. 2012).

Le choix des électeurs était à faire entre des listes qui avaient conçu des approches très différentes de la chose politique. L’idée de base était pour toutes de rassembler afin d’obtenir le plus large consensus et de gagner ainsi les élections. Mais ce qui a motivé le choix des électeurs n’a pas été un jugement sur l’action passée, ni un quelconque lien avec la situation épidémique. C’est la cohérence des alliances internes qui a fait la différence. À Montpellier, une importante leçon démocratique a été donnée : on ne peut impunément s’allier avec comme seul souci l’idée d’ajouter des électeurs à son palmarès. Il faut que la population perçoive une cohérence interne à la liste proposée, que les alliances passées le soient dans une logique claire, que tous les candidats aillent à peu près dans le même sens. C’est ainsi que la population va pouvoir se sentir gérée en sécurité, non par des gens réunis par l’opportunisme du pouvoir ou l’envie de favoriser une communauté plutôt qu’une autre, mais par l’unité d’une équipe efficace. Ainsi peut-être peut s’expliquer la formidable transe montpelliéraine du samedi 4 juillet 2020…

Thierry Arcaix

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Thierry Arcaix a d’abord été instituteur. Titulaire d’une maîtrise en sciences et techniques du patrimoine et d’un master 2 en sciences de l’information et de la communication, il est maintenant docteur en sociologie après avoir soutenu en 2012 une thèse portant sur le quartier de Figuerolles à Montpellier. Depuis 2005, il signe une chronique hebdomadaire consacrée au patrimoine dans le quotidien La Marseillaise et depuis 2020, il est aussi correspondant Midi Libre à Claret. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages dans des genres très divers (histoire, sociologie, policier, conte pour enfants) et anime des conférences consacrées à l’histoire locale et à la sociologie.