Un exemple à Montpellier qui bat en brèche l’idée que les quartiers populaires seraient des lieux où le confinement serait moins bien respecté. Tout au contraire, la solidarité collective apparaît comme un modèle qu’il faudra savoir faire vivre quand nous sortirons de cette épreuve.


Vendredi 27 Mars, 16 heures, centre commercial à La Paillade, nous ne constatons aucune différence particulière entre les habitants du centre historique de Montpellier et ceux du quartier Saint-Paul. Le respect du confinement se mesure au peu de monde sur la place commerçante. Les tramways semblent à l’arrêt, personne n’occupe la station désertée.


 

Sur le parking du magasin discount alimentaire, une personne sans domicile fixe guette l’arrivée des passants qui viennent faire leurs courses. Elles ou ils arrivent en voiture, rarement à deux, restent quelques minutes dans leur véhicule, comme pour préparer une sortie dans un monde inconnu et hostile, puis sortent en se déplaçant de manière codifiée. Objectif chariot, ouverture de la malle arrière pour y prendre des sacs, portable rangé dans la poche. L’heure n’est pas à la flânerie. Le SDF le sait, lui aussi doit user d’une stratégie pour assurer son approche. La plupart du temps il se fait repérer. Lorsqu’il parvient à s’approcher, il explique qu’il a faim en quelques mots ou en montrant son ventre mais souvent l’échange tourne court.

L’autre parking, du coté de l’arrêt de tram, est quasiment vide. Quelques voitures sont garées devant les commerces. Hormis le café qui a tiré son rideau de fer, la boulangerie, la boucherie, le primeur, la pharmacie, l’épicerie sont ouverts. Il y a très peu d’affluence, le boucher s’affaire. Il n’arrête pas, explique Mohssin, il nous donne tous les soirs des dizaines de kilos de viande. Mohssin revient d’une livraison à domicile. Il est membre du très actif collectif solidarité qui s’est monté il y a quelques mois. « À l’origine, le collectif solidarité s’est créé pour aider un ami chrétien d’Orient qui est tombé gravement malade en Irak et ne pouvait être pris en charge sur place. Le quartier s’est mobilisé pour trouver une solution. En peu de temps on a récolté 14.000 euros, ce qui a permis d’y arriver. On a pu le rapatrier ici et le faire soigner. À cette occasion on s’est rendu compte que l’on pouvait s’unir, indépendamment de toute religion ou d’origine, simplement être solidaires parce qu’on a tous grandi ensemble ».

Depuis le début du confinement, le collectif solidarité a repris du service. L’ensemble des commerçants du quartier fournit les denrées et le groupe déploie une logistique d’une efficacité impressionnante. « Nous sommes organisés structurellement et nous agissons en réseau avec le tissu associatif montpelliérain mais aussi avec des associations d’Île de France » , explique Mohssin avec enthousiasme. L’objectif est de faire respecter le confinement. Pour y parvenir, cette organisation citoyenne qui communique en continu via WhatsApp et Facebook use de la grande source d’énergie solidaire qu’elle a su mobiliser afin de soulager toutes les personnes en difficulté : les précaires, les SDF, les migrants et plus largement toute personne isolée qui se retrouve dans le besoin. Au sein de, NIYA Montpellier (Noble is your action) , tout le monde est bénévole. « Nous ne tenons pas à personnaliser les actions« , précise Mohssin.

 

Une idée claire : on est là pour les gens

 

« Dans ces bâtiments, commente Mohssin en indiquant du doigt une barre d’immeubles longilignes, il y a beaucoup de personnes âgées isolées, environ un habitant sur quatre à chaque étage. En temps normal, elles reçoivent toutes les semaines ou tous les quinze jours des membres de leur famille qui subviennent à leurs besoins mais maintenant ce n’est plus possible. Elles sont dans le besoin. Nous leur apportons une aide personnalisée. » Le collectif s’est organisé en plusieurs pôles d’intervention : alimentation, service social, conseil médical, éducation, etc. et peut faire appel à des associations spécifiques en fonction du besoin.

À la question — Comment peut-on identifier les besoins, souvent individuels, dans un quartier où vivent 25.000 personnes ? — Mohssin à une réponse simple. « On vit ensemble ici depuis longtemps ; on se connaît tous. Nous avons des personnes relais dans chaque quartier du Bas de La Paillade, aux Hauts de Massane. Il y avait la guerre au moment des élections. Quand la crise sanitaire est arrivée, ceux qui étaient dans une stratégie électoraliste de récupération sont partis et ceux qui se trouvaient engagés pour différentes listes se sont retrouvés autour d’une idée claire : on est là pour les gens et on travaille pour ça. Ici c’est un quartier où l’on vote peu. On oublie… mais là, sur le terrain, on est tous ensemble. Le collectif compte des membres de toutes les communautés ; si nous avons des besoins ou des ressources qui émergent au sein de l’une d’entre elles, on le sait tout de suite ».

 

En marchant dans le quartier tranquille nous croisons peu de monde. En remontant les posts de son écran WhatsApp, Mohssin montre la liste des échanges des dernières heures. Des besoins, des recherches, des actions, des résultats défilent. Il vient de contacter le DAL*, parce qu’il cherche un appartement de 4 pièces pour une famille qui doit trouver d’urgence un nouveau pied-à-terre. Mohssin me demande de m’écarter un peu plus de lui. Nous croisons une patrouille de police qui ralentit, il salut d’un signe de la main auquel les policiers répondent. On repense aux messages des campagnes racistes qui circulent sur les réseaux tendant à vous faire entendre que les honnêtes gens qui se lèvent tôt le matin ne vivent pas dans les banlieues. Jusqu’à quel point avons-nous été déstabilisés en France pour être perméables à des propos aussi virulents qu’irrationnels ?

Jean-Marie Dinh

* Droit Au Logement

À suivre


Voir aussi : Rubrique Montpellier, Les quartiers et le cloisonnement : Figuerolles, Paul Valery,


 

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.