Une contribution de l’association La Libre Pensée à l’histoire de la Commune de Marseille, peut être moins connue que celle de Paris. Et pourtant…


 

« Inversons l’a priori selon lequel la capitale, en 1871, serait restée seule insurgée au milieu d’un océan de campagnes conservatrices»1, écrit l’historien Marc César2. Si l’aura de la Commune de Paris est mondiale, il y eut d’autres « communes » dans plusieurs villes du pays, aujourd’hui bien documentées par des ouvrages d’histoire. La Libre Pensée propose ici le récit de ces journées de révolte à Marseille.3

 

À une toute autre échelle que Paris, bien sûr, en avril 1871, Marseille a eu son petit Adolphe Thiers4 en la personne du Général Espivent de la Villeboisnet5. Aubagne fut son Versailles. L’écrasement militaire de sa Commune ne s’étala pas sur une semaine mais durant les combats extrêmement violents du 4 avril 1871 puis pendant la dure répression qui suivit, le sang de nombreux Marseillais coula et la vie d’un plus grand nombre encore fut gravement affectée.

 

Les dernières journées agitées de la Commune

À la préfecture, la Commission départementale provisoire formée le 23 mars, très divisée entre modérés, radicaux, révolutionnaires dont des membres de l’Internationale, s’avère impuissante à gérer une situation critique générée par la fuite des fonctionnaires et la fermeture des finances publiques.

Le 27 mars, la municipalité décide de retirer ses délégués, le club républicain de la Garde nationale en fait de même quelques heures après. Un apaisement aurait pu être trouvé mais l’arrivée le jour même à Marseille de trois représentants de la Commune de Paris, Charles Amouroux, Albert May et Bernard Landeck, radicalise les positions.

Bernard Landeck prend la direction effective de la Commission et, s’opposant à Gaston Crémieux, le président officiel, il la pousse à dissoudre le conseil municipal et à ne pas libérer les otages. Les caisses de l’octroi sont saisies. Au balcon de la préfecture, le drapeau rouge est remplacé par le drapeau noir. Et surtout la Commission décide de procéder à l’élection d’une Commune et d’un maire qui aurait en même temps les fonctions de préfet. Le Club républicain de la Garde nationale soutient cette décision. Les otages seraient alors remis aux mains de cette Commune. Ces élections sont annoncées par voie d’affiches et fixées pour le 5 avril 1871.

 

Inégalité  des forces en présence

Le général Espivent de la Villeboisnet, reste, lui, fidèle au gouvernement versaillais. Il est déterminé à intervenir par la force contre les insurgés et à faire un exemple propre à décourager toute rébellion future. Replié à Aubagne, rejoint par de nombreux fonctionnaires, renseigné par des hommes à lui dont des membres du conseil municipal et des républicains modérés effrayés par la tournure des évènements, il rassemble des troupes depuis plusieurs jours et prépare son attaque. Ses hommes disposent de Chassepots [fusil Modèle 1866 de l’armée française, Ndlr] de bonne qualité et de canons. Dans Marseille même, il peut aussi compter sur les garnisons des deux forts de la ville, qui n’ont pas rallié la Commune, ainsi que sur les marins de deux corvettes Le Magnanime et l’Aviso. Habilement, dès le 26 mars il fait déclarer l’état de siège, justifié selon lui par la présence d’étrangers armés (en réalité des garibaldiens démobilisés) ce qui lui donne légalement les pleins pouvoirs. La perspective de voir le suffrage universel légitimer la Commune le décide à intervenir avant le 5 avril.

En face, les Communards sont pratiquement sans défense durable. La résistance armée n’avait jamais été vraiment envisagée par la Commission départementale et encore moins organisée. Souvent équipés d’armes disparates, mal formés, manquant de munitions, les Communards marseillais n’ont aucune chance devant un armée régulière de 6 000 hommes entrainés et disciplinés. Les canons inutilisables trônant dans la cour de la préfecture font figure de décoration ; ils ne sont d’aucun secours pour les quelques centaines d’hommes qui défendent le bâtiment. Ils ne disposent que de leurs fusils et d’une seule mitrailleuse pour repousser des assaillants éventuels. Et ils ne peuvent compter sur le soutien actif que d’une partie de la population.

 

À l’aube, de vaines tentatives de dialogues

Averti dès la veille de l’imminence de l’attaque, Crémieux est inquiet mais reste convaincu jusqu’au bout que les choses peuvent s’arranger sans combat. Pourtant pendant la nuit du 3 au 4 avril les troupes du général Espivent investissent Marseille et occupent les carrefours stratégiques de la ville.

À 6 h, accompagné d’Adolphe Pélissier, chef de la Garde nationale marseillaise et suivi d’une foule nombreuse, il va parlementer avec l’état-major du général, installé sur la place Castellane et protégé par l’artillerie. Il demande le maintien des élections. Mais le commandant de Villeneuve qui le reçoit ne fait que lui répéter l’ordre d’évacuer la préfecture sans délai ni condition, de libérer les otages et de se soumettre.

Ils sont bientôt rejoints par une autre manifestation, celle de l’Association Internationale des Travailleurs brandissant leur drapeau noir. Menés par Auguste Sorbier, ils demandent aux soldats de lever la crosse, de ne pas tirer sur le peuple. Mais malgré quelques ralliements individuels cette tentative échoue elle aussi : la fraternisation tant espérée avec la troupe ne se fera pas. L’affrontement devient inéluctable.

Déjà les soldats se déploient, s’emparent du palais de la Bourse. La gare est prise d’assaut et la préfecture est cernée. Vers dix heures, la fusillade éclate, nourrie et meurtrière, faisant aussi des victimes dans la foule qui s’était accumulée et qui fuit comme elle peut. Elle durera plusieurs heures. Des barricadent s’improvisent.

De nouveau, Gaston Crémieux, accompagné cette fois par Bernard Landeck, tente de négocier un cessez-le-feu mais se heurte au même refus que plus tôt. Les combats et les fusillades continuent toute la journée dans les rues de la ville. Les Communards de la gare et de la Plaine tiennent toute la matinée avant de devoir céder et pour certains, de rejoindre la Préfecture.

 

À 13 h, le bombardement de la Préfecture commence

Les premiers boulets sont tirés de l’esplanade de la basilique de Notre-Dame-de-la-Garde, jusqu’alors la « Bonne Mère » de bien des Marseillais, bientôt rejoints par ceux envoyés depuis le fort Saint-Nicolas. Les obus pleuvent dans tout le périmètre, touchant de nombreux immeubles voisins. Les combats deviennent acharnés. Le bombardement dure sept longues heures avant que les Communards qui défendent la préfecture se résignent à se rendre ou à fuir. À 23 heures, les marins prennent d’assaut le bâtiment déserté et délivrent les otages à l’abri dans les caves. Pas un d’entre eux n’est mort ou blessé.

Un peu partout dans les rues de la ville et autour de la préfecture, des cadavres, des débris, des traces sanglantes des combats. La Commune de Marseille a vécu.

 

Une répression impitoyable et de longue durée

Toute la journée du 4 avril et le lendemain, de nombreuses exécutions sommaires ont lieu dans divers lieux de la ville. On traque les Communards jusque dans les hôpitaux. Nombre d’entre eux sont cachés par leur famille ou des amis qui les protègent malgré les perquisitions qui se multiplient. Beaucoup réussissent à s’enfuir vers l’Italie, l’Espagne ou la Suisse…

Le nombre des victimes est difficile à évaluer, les bombardements et les fusillades, ayant fait de nombreuses victimes civiles en dehors des combattants. Et comment chiffrer le nombre de ceux qui sont morts discrètement les jours suivants des suites de leurs blessures chez les particuliers ? On avance le chiffre de 200 morts auquel il faut ajouter un nombre supérieur de blessés.

Des centaines de personnes furent arrêtées ce jour-là mais la répression judiciaire se poursuivra pendant des années. En 4 ans, plus de 600 personnes furent arrêtées. La moitié passèrent devant un conseil de guerre et 198 furent condamnés : 14 à la peine de mort (3 furent mises à exécution), 42 à la déportation, 25 aux travaux forcés, 9 à une amende simple et le reste à des périodes de détention allant d’un mois à 20 ans de prison. Gaston Crémieux fut le seul civil des trois condamnés à mort exécutés. Il fut fusillé le 30 novembre 1871.

 

Le souvenir du 4 avril 1871

Le 4 avril 1871 et ses suites restèrent longtemps un traumatisme dans la mémoire collective marseillaise, perceptible dans des chansons populaires, comme celles du Marseillais Michel Capoduro, contemporain de la Commune. Dans l’une d’entre elles, « Vous êtes désarmés », il exprime son indignation envers la défection de la Garde nationale et ceux qui se disaient républicains mais n’avaient pas pris les armes ce jour-là pour défendre la vraie République :

« Aurai totjorn la colèra, /D’aguer vist quatre artilleurs, /Lo jorn de tant de malurs,  /Tirar de la Bòna Méra… » [ J’aurai toujours la colère /D’avoir vu quatre artilleurs /Le jour de tant de malheurs, Tirer de la Bonne Mère…]

Chantal Champet

 


BIBLIOGRAPHIE :

AUBRAY Maxime, Histoire des évènements de Marseille du 4 septembre 1870 au 4 avril 1871, Marseille, 1872.
RABATEAU A. et LEGRE Ludovic, La ville de Marseille, l’insurrection du 23 mars 1871 et la loi du 10 vendémiaire an IV, Paris, 1874.
VIGNAUD Roger Gaston Crémieux, La Commune de Marseille, un rêve inachevé », Edisud, Aix-en-Provence, 2003.
BARSOTTI Glaudi, textes occitans de la Communa de Marseille, L’atinoir, Marseille, 2017.

Légende illustration: « Bombardement de la Commune de Marseille le 4 avril 1871, tableau d’après une gravure parue dans « L’Illustration », collection Musée du Vieux-Marseille


 

Notes:

  1. Politis hors-série n°73, La Commune. Une histoire en commun, février-mars 2021
  2. Marc César, à partir de ses travaux sur la Commune de Narbonne, se consacre à élargir sa recherche à l’ensemble des Communes révolutionnaires de 1871, en particulier dans le sud de la France.
  3. Ce texte a d’abord été publié sur le site des Amies et Amis de la Commune de Paris 1871: https://www.commune1871.org 
  4. En 1871, Adolphe Thiers, né à Marseille, est Chef du pouvoir exécutif de la République française, c’est-à-dire à la fois chef de l’État et du gouvernement. Il réprime dans le sang l’insurrection de la Commune.
  5. En 1871, Henri Espivent de La Villesboisnet, membre d’une famille subsistante de la noblesse française et général de division, est envoyé vers le sud-est pour réprimer les mouvements insurrectionnels de la Commune de Lyon et de celle de Marseille dont il vient à bout à l’issue d’une répression sanglante.
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