Le racisme évoqué par Angela Merkel après les attentats qui ont fait neuf morts à Hanau, est un élément constitutif de l’Europe qui dans les circonstances actuelles ne devrait pas laisser les politiques dans une telle indifférence car il menace aujourd’hui autant l’union que les pays qui la composent. En France, les élections municipales arrivent à point nommé pour prendre le diable par la queue.


Le racisme est un poison, la haine est un poison

« Le racisme est un poison, la haine est un poison. Et ce poison existe dans notre société », a déclaré la chancelière allemande jeudi 20 février après les attentats qui ont fait neuf morts à Hanau, près de Francfort. Liant cet acte à d’autres attentats d’extrême droite commis dans le pays, Angela Merkel a clairement manifesté sa détermination « Nous nous opposons avec force et détermination à tous ceux qui tentent de diviser l’Allemagne », a-t-elle ajouté, insistant sur « les droits et la dignité de chaque personne dans notre pays », sans distinction « d’origine ou de religion »

Mais si l’indignation face à cette menace grandissante est de rigueur, les responsables politiques sont généralement plus à l’aise pour condamner les conséquences du phénomène que pour en combattre les causes. Le noyau constitutif de la mentalité fasciste repose en effet sur la frustration des classes moyennes et joue sur la peur de la différence à l’encontre des intrus. Un terrain passablement délaissé dans les débats politiques quand il n’est pas exploité pour mettre de l’huile sur le feu avec les graves répercussions négatives que cela engendre.

Ne pas considérer cette tragédie comme un acte isolé

Ce qui éveille l’intérêt dans la déclaration d’Angela Merkel, réside dans le lien qu’elle dessine, à l’échelle de son pays, en évoquant respectivement la série de meurtres et d’attentats d’un groupuscule néonazi dans les années 2000, le meurtre en juin dernier d’un élu pro-migrants, puis l’attaque visant une synagogue qui a fait deux morts en octobre. Comme l’a compris la chancelière allemande, combattre les causes de la tuerie de Hanau, commence par ne pas considérer cette tragédie comme un acte isolé.

En d’autres termes, ce poison n’a pas pour origine un virus chinois, américain, ou britannique. Il ne concerne pas un allemand nostalgique, mais l’ensemble de l’Europe en passant par la France qui s’y trouve une nouvelle fois confrontée à l’occasion des élections municipales. La segmentation des échéances électorales, considérées par les mentors politiques comme des étapes structurantes pour asseoir un pouvoir le plus fort possible nourrit la frustration citoyenne, et donc le poison, plutôt quelle ne le combat. Happés par les principes du système électoral, dans le régime des partis de la V République, les missionnés de notre démocratie représentative ne sont pas armés pour le champ de bataille.

L’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe

Malgré la montée des populismes, la défiance à l’égard des élus et de la communauté européenne, les européistes tendance Pascal Lamy* continuent d’ériger l’Union Européenne comme horizon indépassable en refusant de repenser le modèle. Alors que le navire prend l’eau de toute part, ils tiennent le cap coûte que coûte, sans se préoccuper de colmater les brèches. Le 19 septembre 2019, le Parlement européen a adopté une résolution sur “l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe”. Un texte où l’on s’inquiète à juste titre de la montée des haines identitaires en Europe, mais en s’arrangeant avec l’histoire en affirmant que l’origine de la Seconde Guerre mondiale serait le pacte germano-soviétique.

L’histoire de l’Union Européenne qui fait débuter, l’aventure à partir de 1950, avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier qui unit les pays européens afin de garantir une paix durable, n’évoque pas le fait que l’Europe a été un axe de la propagande nazie. Dès juin 1941, l’invasion de l’URSS par l’Allemagne fut présentée comme une croisade « européenne » contre le bolchevisme, assimilé alternativement à un sous-produit de l’asiatisme ou du judaïsme. En France, « Vichy n’a cessé de confesser un européisme militant.» rappelle l’historien Olivier Delorme, Pétain situe son entrée dans la voie de la collaboration, « dans le cadre d’une activité constructive du nouvel ordre européen ».

On comprend dés lors, que le poison évoqué par Angela Merkel est un élément consubstantiel à l’Europe qui dans les circonstances actuelles ne devrait pas laisser les politiques dans une telle indifférence car il menace aujourd’hui autant l’union que les pays qui la composent.

L’intolérance, trait commun de tous les fascismes

A cet égard, l’arrivée au pouvoir d’apprentis-autocrates aux États-Unis, dans le Golfe, en Europe, comme dans les communes françaises n’a rien de rassurant. Dans la misère sociale où pousse le fascisme, le privilège de ceux qui n’ont rien est l’appartenance à la nation, à leur région ou à leur village, d’où la montée exacerbée de l’intolérance qui est un trait commun de tous les fascismes.

L’identité fasciste se construit en identifiant des ennemis. Face à la question migratoire, l’Europe a développé vis-à-vis de l’extérieur une mentalité d’assiégée, contribuant ainsi à la montée en puissance des partis islamophobes – à la fois complotistes et xénophobes. Cette posture irresponsable concourt au sein des états à l’émergence d’un « élitisme de masse » fondé sur le mépris des faibles, des inférieurs, et au rejet de nouvelles formes démocratiques, pacifistes et autres ennemis qui mine la Nation de l’intérieur.

Un lexique pauvre et une syntaxe élémentaire

Pour Umberto Eco** qui s’était penché sur le sujet, « Tous les textes scolaires nazis ou fascistes se fondaient sur un lexique pauvre et une syntaxe élémentaire, afin de limiter les instruments de raisonnement complexe et critique. Cela dit, nous devons être prêts à identifier d’autres formes de novlangue, même lorsqu’elles prennent l’aspect innocent d’un populaire talk-show.» Voila des considérations qui devraient donner du grain à moudre aux tenants de la réforme de l’éducation et aux artisans du démantèlement du service public de l’information.

Nous avons quelques raisons d’être inquiets par le faisceau de courants politiques et sociaux qui s’assemblent aujourd’hui, des courants aidés par les aspects les plus sombres de la révolution technologique, les effets du néo-libéralisme outrancier et le refus du dialogue social. Pas sûr que l’impératif sécuritaire qui réduit chaque jour un peu plus nos libertés individuelles et publiques, la propagande gouvernementale, les contrôles décomplexés au faciès, la terreur de l’intimidation policière contribuent à une amélioration de la situation. Le pouvoir actuel est tolérant, ouvert et moderne… tant qu’il n’est pas remis en cause. Le discours banalement techno du macronisme découpe le peuple français en segments de marché électoral. Il nourrit idéologiquement pour ne pas dire stratégiquement, le fascisme 2.0. Le fameux barrage à l’extrême droite apparaît de plus en plus comme un mariage de raison.

S’il veut redonner des perspectives aux communes, au pays et à l’Union Européenne, le débat politique ouvert en France à l’occasion des élections municipales ne doit pas se contenter d’ apporter des réponses simples à des questions complexes. Au moment où s’élève partout la critique de la représentation, manifestée ou silencieuse, les candidats à l’investiture gagneraient à méditer la mise en garde du très libéral Alexis de Tocqueville*** à la chambre des députés en janvier 1848. « Je crois que nous nous endormons à l’heure qu’il est sur un volcan. »

 

Jean-Marie Dinh


* Pascal Lamy rappelle Le b.a.-ba de l’européisme dans la revue Le Débat : « On y fabrique du politique avec de l’économique, et c’est ainsi qu’il faut continuer.»

** Umberto Eco : https://fr.wikipedia.org/wiki/Umberto_Eco

*** Alexis de Tocqueville  : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexis_de_Tocqueville

Peinture : Chagall Au-dessus de la ville


 

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.