Premier magistrat palermitain, Leoluca Orlando est le nouveau Président du festival montpelliérain consacré aux cinémas de la Méditerranée. L’écouter parler, c’est déjà tout un film. De quoi inspirer quelques douloureuses comparaisons.

Bien plus que la programmation de sa prochaine édition, c’est la présence de Leoluca Orlando qui a accaparé toute l’attention de la conférence de presse de présentation de la prochaine édition du festival Cinemed (du 18 au 26 octobre 2019 à Montpellier). L’homme est un « bon client » médiatique. Pour de fort honorables raisons. Lesquelles dépassent largement le fait d’être le nouveau président de l’association du Cinemed, où il succède à Aurélie Filipetti (dont on ne sait pas la cause du départ, alors qu’il ne manque pas de gens de l’intérieur pour louer ce que fut l’action de celle-ci au cours de son unique mandat).

Leoluca Orlando est le maire de Palerme (premier mandat en 1985, avec ensuite une forte trajectoire – avec éclipses – dans ce poste). Sa notoriété a très largement traversé le détroit de Messine, et plus loin les Alpes. Au moins à deux titres. D’une, il s’est très directement affronté à la mafia, pour lui arracher son contrôle sur la première ville de Sicile (« à Palerme n’exercent plus que quelques sauvages criminels. Aujourd’hui les vrais boss portent la cravatte, des attachés case, et ils se trouvent à New York, Bruxelles, ou Paris » suggère-t-il). De deux, plus récemment, le premier magistrat palermitain s’est porté aux avant-postes pour l’accueil digne des migrants, en contre-pied de la politique de Matteo Salvini.

Grande carcasse de 72 ans, Orlando respire une envergure de personnalité exceptionnelle. L’écouter parler dans les salons de la Métropole à Antigone ne peut que réveiller le souvenir de feu Georges Frêche, avec le fleurissement italien en plus, la grossièreté languedocienne en moins. C’est aujourd’hui Philippe Saurel qui a confié à son homologue transalpin la présidence du festival montpelliérain, après avoir conclu un accord de jumelage entre les deux villes.

Avec plus d’une ressource dans son CV, il faut encore relever qu’outre sa carrière politique et universitaire (en droit, philosophie), le Palermitain a tourné plusieurs films en position d’acteur, dans le cinéma allemand. Jusqu’à rafler un prix de meilleur acteur masculin d’Outre-Rhin. A y être, il a aussi été honoré de la plus haute récompense des lettres allemandes, cette fois comme écrivain, dans la langue de Goethe, qu’il place en deuxième position d’importance, derrière le dialecte sicilien, dans les six qu’il pratique…

On a donc affaire à un intellectuel. Et s’il assure avoir détecté en Philippe Saurel « un visionnaire » il faut reconnaître à ce dernier cette grande sagesse qui lui fait constater qu’il ne cesse d’apprendre ; notamment, donc, auprès du maire de Palerme. Alors c’est un peu comme dans sa position à l’égard de son modèle proclamé, Georges Frêche. Le premier magistrat a quelque chose de l’élève volontaire et appliqué, mais élève dont on attend toujours les fameuses visions qui donneraient un cap politique, à une cité languedocienne déboussolée dans un temps de mutations effarantes, mais apparemment abandonnée, comme tant d’autres, aux portefeuilles de Vinci, Véolia, Bouygues, Nexity, à coup de nouveau stade et gare fantôme…

Or, dans la crise des Etats et de la transnationalité européenne, découvre-t-on que les villes elles-mêmes, avec leur mise en réseau direct, ont aujourd’hui « l’opportunité de fabriquer la planète ». Oui, mais quand le débat montpelliérain est à ras de la perte du statut de capitale régionale et des gifles en conseil métropolitain, le maire de Palerme balance ses concepts : « Le futur c’est la mobilité. Or la ville, c’est la mobilité ». Elargissons : « Voyons la Méditerranée comme un continent, le continent de l’eau, celui de la mobilité ». Mais celle qui va un peu plus loin que la querelle du tram jusqu’à Palavas.

Ainsi faut-il se réjouir : « Palerme est une ville du Moyen-Orient, en Europe, et nous en sommes fiers ». C’est osé. Vue ainsi, toute centralité est mise à mal : « Palerme ou Montpellier ne sont plus en périphérie de l’Europe, puisqu’il n’y a plus de centre et de périphérie. Nous ne voulons pas être une capitale, puisque ce qui compte est d’être un nœud dans le grand réseau des mobilités ». En finira-t-on avec la niaiserie provinciale qui voit Montpellier se hisser sur un tabouret pour se crier première ceci et première cela ?

Or l’art et la culture, « maisons de la diversité et de la liberté, ont dimension prophétique ». Au regard de quoi, on est gêné d’entendre l’édile (l’élève?) montpelliérain relever parmi ses principales visions la série Un si grand soleil (au seul regard des ses deux cents emplois et triste critère d’audimat – 3,9 millions neuf de téléspectateurs quotidiens). Puis la Cité de la création, qu’il vaudrait peut-être mieux désigner comme cité du jeu vidéo. Sur quel terrain joue-t-on ?

Réseau pour réseau, Philippe Saurel se réjouit de l’adhésion montpelliéraine, derrière la maire de Barcelone, à Open arms, version espagnole de SOS-Méditerranée. C’est correct, ça sonne médiatiquement. Mais Leoluca Orlando clame : « Il n’y a aucun migrant à Palerme. Car quiconque arrive et s’installe à Palerme, est Palermitain ». Ouf. Quel maire de Montpellier dirait cela ? Il y a des migrants à Montpellier, entassés dans des squats miséreux, à la seule charge de bénévoles, eux-mêmes traqués par la répression.

Toujours en verve, Palerme s’enorgueillit d’avoir connu trois mois complets de Gay pride, sur le thème Migrants et homophobie. Tiens donc. Il précise : « Combien d’homosexuels sont racistes ? Combien de migrants sont homophobes ? Il était essentiel qu’une grand manifestation rallie les gays et les migrants ». En voilà, des questions aux travail. A Montpellier, la fameuse Gay pride, qui, toute en surface, abandonne ses premiers rangs à des élus, notamment sauréliens, n’a vu les mêmes questions relevées qu’au prix de sa prise d’assaut par les activistes radicaux du Pink Block (souvent Gilets jaunes par ailleurs).

Montpellier et Palerme se rapprochent. On s’en réjouit. Mais apparemment, beaucoup reste à faire dans leur co-invention d’un nouveau continent, aussi vieux que la Méditerranée.

Gérard Mayen

 Toute la programmation du 41e Cinemed,

 

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Gérard Mayen (né en1956) est journaliste, critique de danse, auteur. Il est titulaire d'un master 2 du département d'études en danse de l'université Paris 8 Saint-Denis-Vincennes. Il est praticien diplômé de la méthode Feldenkrais. Outre des chroniques de presse très régulières, la participation à divers ouvrages collectifs, la conduite de mission d'études, la préparation et la tenue de conférences et séminaires, Gérard Mayen a publié : De marche en danse dans la pièce Déroutes de Mathilde Monnier (L'Harmattan, 2004), Danseurs contemporains du Burkina Faso (L'Harmattan, 2005), Un pas de deux France-Amérique – 30 années d'invention du danseur contemporain au CNDC d'Angers(L'Entretemps, 2014) G. Mayen a longtemps contribué à Midi Libre et publie maintenant de nombreux articles pour"Le Poing", Lokko.fr ... et Altermidi.