Présent sur toutes les ondes, dans tous les coins d’ordinateurs, il envahit nombre de discussions, est ajouté à toutes les sauces d’économie, ponctue nombre de discours politiques et sévit en toute impunité. Le CAC40 (cotation assistée en continu) fait partie de ces mystérieuses « niches » aux calculs incompréhensibles par le plus grand nombre, qui persiste à dicter, superviser, diviser, voire diriger le pays au-delà de toute juridiction et de tout sens logique ou visée démocratique.

 

Avec pour le composer, des patrons compétitifs, lucrativement rémunérés devenus les rois du monde, ce principal indice de la bourse de Paris, créé le 31 décembre 1987 suite au krach d’octobre par la Compagnie des Agents de Change, fait partie des principales sources de violence sociale, dénoncées par l’ensemble des gilets jaunes et par les citoyens, militants, spécialistes et politiques éclairés, soucieux d’une réelle équité. Une sorte de puissance nébuleuse qui, au nom du gain, broie tout à son passage, à commencer par la valeur travail.

Cac 40/Emploi, mauvais ménage…

En mars 2018 alors qu’en France le chômage (taux officiel : 9,1%) et la pauvreté (taux officiel : 12,6%) dépassent les seuils acceptables, du côté du Cac 40, ce sont 93 400 000 000 euros (93 milliards et 400 millions) de profits qui sont annoncés, avantageant 40 multinationales dites « leader ».

Un record financier qui a propulsé aussitôt les revenus de ces 40 « gros patrons » comme l’a relevé avec indignation, François Ruffin (député de la France Insoumise), citant parmi d’autres, la rémunération de l’ex-dirigeant de Michelin « qui a augmenté de 500% ».

Un peu plus tard, en janvier 2019, un journaliste de Libération, rapportait de son côté: « Une chose est sûre, la priorité donnée à la création de valeur au profit de l’actionnariat et au détriment du travail ne semble guère être remise en cause dans le sérail feutré des grandes entreprises françaises ».

En effet, l’excellente santé affichée par le Cac 40 rend proportionnellement stérile toute équation à l’emploi. Selon l’économiste français Thomas Piketty : « Les riches sont de plus en plus riches, et le patrimoine passe toujours plus des mains de la collectivité vers celles de propriétaires privés ».

Pour illustrer ce diagnostic plus qu’ alarmant, Oxfam publie un rapport en mai 2018 et cite parmi les très nombreux exemples, le cas du groupe Arcelor-Mittal dont le versement de dividendes s’est fait quatre années de suite (2012 et 2015) au détriment des investissements et alors que l’entreprise affichait des pertes de plus de 7 milliards d’euros (2009- 2016). En tout, plus de 3,3 milliards de dividendes ont été versés au cours de cette seule période, alors qu’un véritable cimetière de l’emploi était organisé en parallèle, comme à Florange où depuis le 13 décembre 2018, le groupe a fini par fermer définitivement les hauts-fourneaux après un « tsunami » de licenciements.

D’autres entreprises comme Engie, Accor, Lafarge ou Veolia sont dans les mêmes stratégies et la même quête de bénéfices financiers.

Parallèlement, les aides de l’Etat pourtant très contestées comme le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et le crédit d’impôt en faveur de la recherche (CIR), continuent d’affluer avec même, 26,8 milliards d’euros octroyés principalement aux multinationales en 2018.

Dispensées sans réel regard depuis 2013, ces aides exponentielles depuis 7 ans, atteignent au total +70 milliards, sans pour autant générer de l’emploi. Le rapport 2018 du comité de suivi publié par France Stratégie, le souligne lui même, considérant comme « vraisemblable », un effet avoisinant les « 100 000 emplois sauvegardés ou créés sur la période 2013-2015 » mais dans une fourchette « allant de 10 000 à 200 000 emplois ». Ce qui, calculette en main, supposerait que chaque emploi sauvé ou engendré durant cette période, aurait coûté l’énorme somme de 225 000 euros.

Un autre rapport 2017 soumis lui par l’INSEE sur l’entreprise en France, alertait déjà : « une forte proportion des emplois créés entre 2009 et 2015 sont portés par les entreprises de taille intermédiaire » et non pas par les grosses firmes qui n’investissent nullement à hauteur de leurs bénéfices. Il s’agirait même de l’inverse si l’on additionne le nombre de délocalisations qui « ont concerné 4,2 % des sociétés entre 2009 et 2011 et au moins une activité, soit 20.000 postes directement supprimés en trois ans ».

Dans ce contexte, les Très Petites Entreprises (TPE) rament toujours. 63 000 faillites de TPE sont enregistrées en 2016.

En face, la recrudescence de création d’entreprises « annoncée », relève plutôt du mirage et d’une fausse dynamique impulsée par un engouement éphémère dans la micro-entreprise, statut qui amplifie plutôt le marché de l’emploi précaire.

A ce sujet, même l’ex-ministre de l’économie, Arnaud de Montebourg ne manquait pas de préciser : « Avant la crise (2008), il y avait en moyenne 325.000 créations d’entreprises par an. Aujourd’hui on est autour de 525 000. Une hausse très importante qui s’explique, notamment, par la création en 2008, du statut d’auto entrepreneur ».

Cac 40 toujours sans loi

Le Cac 40 persiste et signe donc, depuis de nombreuses années, sans que les pouvoirs en place ne s’y attaquent, au moins fiscalement. Un gâteau qui ne fait que grossir dans le dos des salariés et dont le partage est on ne peut plus unilatéral, sachant que l’immense majorité des revenus des multinationales, proviennent désormais de l’étranger et sont, par conséquent, « couvertes » sur le plan fiscal.

En 2010, les dirigeants des entreprises du CAC 40 ont touché en moyenne 4,11 millions d’euros, une augmentation de 34% par rapport à 2009.

En 2013, le salaire moyen d’un patron du CAC 40 s’élève à 2,25 millions d’euros. Trois ans plus tard en 2016, cette rémunération passe à 4,5 millions. Celle des dirigeants a donc augmenté de 46% entre 2009 et 2016, soit plus de deux fois plus vite que celle de la moyenne des salariés. Et ce, sachant que 54,5 % des dividendes dépend du cours de l’action, et que 29 % dépend de l’évolution du bénéfice.

Selon François Ruffin : « Les dividendes du Cac 40 retrouvent leur record en 2018 (57 milliards d’euros à leurs actionnaires), soit +12% du salaire des actionnaires. Avec une explosion de la précarité. Il n’y pas de justice fiscale, ce terme est interdit ».

De son côté, la chaîne économique Bloomberg (groupe financier américain spécialisé dans les services aux professionnels des marchés financiers, dont les agences de presse), éclaire sur les treize premières grandes fortunes françaises qui se sont enrichies beaucoup plus vite que leurs homologues d’autres pays : « Depuis janvier 2018, ils ont gagné 23 milliards d’euros ». Trois entreprises (Total, Sanofi et BNP Paribas) mènent la danse et représentent un tiers des capitaux redistribués.

Bilan sans appel

A l’heure d’une réelle urgence environnementale et dans un paysage de profits mondialisés, l’association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC) publie, quant à elle, un rapport édifiant sur les grandes entreprises et leur désastreux impact sur la société et la planète.

Le bilan est sans appel. Ce rapport révèle que : « les bénéfices cumulés des entreprises du CAC 40 ont augmenté de 9,3% et les dividendes versés aux actionnaires de 44% entre 2010 et 2017. Sur la même période, les impôts versés par ces entreprises ont baissé de 6,4% et leurs effectifs on diminués de 20%. Les politiques  » pro-business  » menées par les gouvernements qui se sont succédés ces dernières années ont principalement bénéficié aux multinationales, à leurs dirigeant·e·s et à leurs actionnaires au détriment de l’emploi et des finances publiques ». Et d’interroger : « Quelle justice sociale alors que les profits des grandes entreprises françaises, les dividendes et les rémunérations des hauts dirigeants s’envolent quand les effectifs mondiaux stagnent et qu’ils diminuent fortement en France ? Quelle justice climatique alors que les émissions de CO2 des sites les plus polluants du pays ont augmenté de 5 % en 2017 et que ces émissions, notamment issues d’entreprises du CAC 40, échappent largement à la fiscalité carbone ? Quelle justice fiscale alors que les entreprises du CAC 40 ont plus de 2 500 filiales dans les paradis fiscaux et payent moins d’impôts aujourd’hui qu’en 2010 ? ».

Attac propose 3 mesures, applicables immédiatement, pour changer la donne et faire en sorte que les multinationales paient leur juste part d’impôt, respectent leurs salarié·e·s et « cessent de souiller la planète » : Plafonner les écarts de rémunération de 1 à 10 (salaires, primes et rémunération en capital), appliquer la taxation unitaire des multinationales, seule méthode permettant de lutter efficacement contre l’évasion fiscale, et remplacer le marché carbone européen par une fiscalité carbone, réellement dissuasive sur les sites industriels polluants et par des régulations publiques qui conduisent les entreprises à désinvestir massivement des énergies fossiles.

Parallèlement, Attac lance une pétition contre le RDIE (Règlement des Différends entre Investisseurs et Etats), visant ainsi à mettre fin au système de justice d’exception dont bénéficient les multinationales et à introduire des régulations contraignantes pour qu’elles respectent les droits humains et l’environnement face à un dispositif scandaleux : « Les affaires de RDIE ont donné lieu à l’octroi de 50 milliards de dollars américains de fonds publics à des investisseurs privés, soit un montant supérieur au PIB de la plupart des pays. Ces vingt dernières années, le nombre d’affaires a littéralement explosé, passant de moins de 10 en 1994 à 608 en 2014. Parmi ces affaires, 80 % concernent des entreprises mondiales implantées aux États-Unis et en Europe. Les entreprises américaines sont de loin, les utilisatrices du RDIE les plus fréquentes, avec deux fois plus d’affaires que le deuxième pays ayant le plus souvent recours au mécanisme de RDIE. La plupart des procès sont gagnés par des investisseurs ».

Pouvoir sortir la tête de l’eau

Avec une contestation populaire actuelle, inédite, qui traduit un profond désir de justice fiscale, sociale et écologique, les gilets jaunes du Sud-est au Sud-ouest, sont unanimes et dénoncent un véritable rouleau compresseur. « Il faut arrêter l’hémorragie, ces injustices sociales, ce CAC 40 qui raflent toutes les mises, arrose le pouvoir, amoindrit les services publics, créé tous les dérèglements économiques, n’a jamais incité les entreprises à investir dans l’emploi ici », explique un retraité à Toulouse, déterminé comme les autres, à intensifier le combat.

Plus loin, une jeune infirmière de l’hôpital public, exténuée, soumet : « C’est comme si on sortait enfin la tête d’un silence lourd au fond de l’eau brouillée où on a été plongé et asphyxié sans le vouloir. On respire un peu parce qu’on rejette ce système et qu’on est uni mais on a une épée de Damoclès avec l’absence d’écoute, les entourloupes et le manque de courage du gouvernement. De toute façon, on veut aller jusqu’au bout de notre besoin de justice, c’est une question de survie… Avec le risque d’être peut-être replongés de force dans l’eau. Mais on résiste ! ».

Partout en France comme dans le pays d’Aix, nombre de contribuables, associatifs et politiques dénoncent l’impasse économique, qui n’a pour origine que la finance.

Les propositions ne manquent pas comme à Venelles où le collectif « Carrefour Citoyen », réclame : l’interdiction des licenciements boursiers ainsi que le versement des dividendes durant 3 ans après un plan social, le partage des résultats dans l’entreprise (1/3 salariés, 1/3 investissements, 1/3 actionnaires), la mise en place de la taxe sur les transactions financières (Taxe Tobin), le conditionnement des aides publiques aux entreprises à des contreparties dans l’emploi, la formation, la transition écologique, la suppression des paradis fiscaux en Europe, etc.

Autant d’idées qui ne demandent qu’à être mises en place, courageusement, collectivement pour en finir avec un « cac’arente » tout puissant et destructeur.

H.B.

Notes :

Ref: François Ruffin: https://francoisruffin.fr/lactu/

Sources :

H.B
Journaliste de terrain, formée en linguiste, j'ai également étudié l'analyse du travail et l'économie sociale et solidaire. J'ai collaboré à différentes rédactions, recherches universitaires et travaillé dans divers domaines dont l'enseignement FLE. Ces multiples chemins ailleurs et ici, me donnent le goût de l'observation et me font aimer le monde, le langage des fleurs et ces mots d'André Chedid : «Cet apprentissage, cette humanité à laquelle on croit toujours».