vendredi 29 mars 2024
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La fin du néolibéralisme, et après ?

Face à la tentation autoritaire et à la moralisation des plus pauvres, les démocraties doivent intégrer les initiatives citoyennes et les démarches autour d’une économie des communs. Partout dans le monde, des solutions émergent.

Tribune. Le surgissement d’une contestation protéiforme dans les dernières semaines ne saurait être abordé comme une exception française. Dans de nombreux pays des formes d’expression très variées, voire contradictoires, s’attaquent toutes aux certitudes technocratiques. Les demandes ainsi formulées ne sont plus qualifiées d’irréalistes ou d’irresponsables comme il était d’usage, elles commencent à être prises en compte. C’est bien le néolibéralisme installé depuis quelques décennies qui est devenu insupportable et qui s’effrite désormais. Toutefois, cette contestation de l’ordre économique peut déboucher sur la restriction de la démocratie. On le voit, au Brésil, aux Etats-Unis, en Italie ou en Pologne, il peut prendre la forme de démagogies extrémistes. Mais, on l’aperçoit dans d’autres pays américains et européens, il peut également emprunter la voie d’un brouillage des frontières entre acteurs privés et initiatives citoyennes, mélangeant responsabilité sociale des entreprises, capitalisme à but social, néophilanthropie et techniques de marketing visant le marché des plus démunis. Dans cette seconde option plus modérée, la domination n’en est pas moins renforcée, la compassion des puissants s’y substitue au débat public sur les inégalités.

Face aux problèmes actuels, il importe de ne céder ni à l’autoritarisme ni à la moralisation des pauvres. Contre ces illusions dangereuses pour l’avenir, les solutions sont à chercher dans l’approfondissement de la démocratie. Elles supposent de remettre en cause la confusion entre capitalisme marchand et économie moderne. Elles appellent aussi des formes de démocratie participative et délibérative venant conforter des formes de représentation aussi indispensables qu’insuffisantes à elles seules.

Une économie des communs

Or, sur ces deux plans, il existe aujourd’hui dans le monde un patrimoine d’expériences qui peuvent être partagées pour baliser le chemin. Si l’on veut vraiment prendre au sérieux la société civile au lieu de seulement la flatter pour son sens de l’engagement et ses vertus altruistes, il importe de visibiliser combien celle-ci contribue à une part de plus en plus importante de l’économie soucieuse de l’amélioration des conditions de vie quotidienne. Si une partie de l’économie s’est financiarisée et internationalisée à un point tel qu’il est nécessaire de reprendre en main des processus devenus incontrôlables pour éviter la récurrence des crises, il est tout aussi important de ne plus négliger une économie qui reste en grande partie territorialisée avec des petites et moyennes entreprises, de l’artisanat et des commerces de proximité. Cette économie inclut aussi de nouvelles démarches autour des communs (de l’eau jusqu’aux données numériques) et la récente dynamique autour d’une économie sociale et solidaire (associations, coopératives, mutuelles…) reconnue en ce début de XXIe siècle a donné lieu à de nouvelles politiques publiques dans des dizaines de pays sur tous les continents.

Seule la revalorisation de toutes ces formes d’économies ancrées dans les territoires est en mesure de contrer le pouvoir des lobbies qui empêchent toute réelle transition écologique et solidaire. Cependant, elle suppose de changer d’imaginaire et de ne plus se référer à l’obligation de croissance maximale. A cet égard, des Constitutions comme celles adoptées en Bolivie et en Equateur dès 2008 suggèrent de définir un autre objectif collectif : le bien-vivre pour toutes et tous. Ce dernier ne peut être atteint qu’en légitimant cette économie sociale et solidaire qui procède avant tout d’une reconnaissance par les pouvoirs publics des différentes entités d’une économie populaire trop longtemps négligée ou reléguée au rang de secteur informel. Le constat fait dans ces pays n’est pas exotique. Dans les favelas mais aussi dans les banlieues des grandes villes européennes, en l’absence d’une capacité intégratrice suffisante dans l’économie considérée comme formelle, soit c’est l’économie mafieuse qui progresse, soit l’économie sociale et solidaire trouve une nouvelle assise dans le respect de la diversité des formes qu’elle s’est donnée.

Hybridation entre mouvements citoyens et institutions

On touche là à une autre exigence de la situation présente, la conception d’une nouvelle action publique qui procède de la coconstruction entre pouvoirs publics et initiatives citoyennes. Or, jusqu’ici elle a été trop caricaturée par de vagues consultations destinées à justifier des priorités publiques fixées antérieurement ou par la reformulation des initiatives dans les termes du social business et du capitalisme à but social. Ou elle a été ignorée, les acteurs se réfugiant dans une illusoire autarcie à cause d’une défiance vis-à-vis des institutions, les responsables publics dédaignant des expériences considérées comme trop minuscules. L’enjeu d’une vraie coconstruction est pourtant décisif pour demain. Il s’agit de promouvoir des croisements entre mouvements citoyens et institutions pour générer une hybridation entre les deux, comme à Barcelone entre le réseau d’économie solidaire et la municipalité, comme en Sicile où les activistes antimafia coopèrent avec les collectivités territoriales, comme au Québec où les associations constituent un nouveau type de service public dans l’accueil et la garde des jeunes enfants, comme au Brésil et en France où certaines politiques publiques en faveur de l’économie sociale et solidaire s’élaborent par le dialogue entre ses acteurs et leurs interlocuteurs publics locaux et régionaux.

La possibilité existe donc de consolider, à partir des initiatives citoyennes, des économies démocratiques et des actions publiques plus soucieuses de participation comme le prouvent ces quelques exemples pris parmi beaucoup d’autres. Encore faut-il qu’ils deviennent visibles et que se concrétisent pleinement leurs potentialités. Pour cela, il est urgent de sortir des crispations politiciennes et de déborder les cadres partidaires habituels, pour ouvrir une réflexion pluraliste basée sur l’analyse des actions concrètes, de leurs apports et limites. De ce point de vue, une attention inédite doit être portée à toutes les émergences du monde, ce qui passe par un nouveau dialogue Nord-Sud. Des solutions porteuses d’espoir seront plus facilement identifiées si une vaste discussion internationale s’engage sur la large gamme des innovations sociales et démocratiques déjà en œuvre.

Dernières publications : les Gauches du XXIe siècle. Vers un dialogue Nord-Sud (Le Bord de l’eau) ; l’Economie sociale et solidaire (Seuil).

Jean-Louis Laville

professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), chercheur associé au Collège d’études mondiales (Maison des sciences de l’homme)

Source : Tribune publiée dans Libération
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