Un master II en poche, deux amies de 24 ans se retrouvent “volontaires” en service civique. . Il transparaît au travers de leurs échanges une conscience et une maturité criante, et pourtant inhabituelle aux oreilles de leurs aînés — bien souvent sourdes… Au fil de la conversation chez l’une d’entre elles, altermidi interroge leur vécu en prenant le parti de laisser libre cours à leur dialogue.
Sur le sujet « vivre sa jeunesse », la conversation se décline en plusieurs thèmes au travers desquels ces jeunes femmes en prise avec des désirs individuels et des aspirations collectives, parfois indépendamment, souvent de concert, se racontent …
Du lien conditionnel au lien indéfectible
Est-ce que vos expériences amoureuses ont répondu à vos attentes ?
O : Quand on est petits on a un peu des idéaux qui ne se réalisent pas.
S : Ou des idées préconçues liées aux rapports qu’entretiennent nos parents.
Quelle représentation de l’amour avez-vous ?
S : Je pense que dans l’idée tu espères vivre une expérience amoureuse pleine, idéalement tout le monde a envie de rencontrer quelqu’un avec qui il va partager un bon moment de sa vie, voire toute sa vie, même si c’est pas forcément tout de suite. Il y a quand même souvent aussi parallèlement un désir d’expérience multiple ou de découverte de soi.
Par rapport à d’autres gens de ma génération j’ai été en couple jeune et pendant longtemps, ce qui est assez rare je pense. T’es encore en construction, et tu te construis un peu avec l’autre.
J’ai l’impression d’avoir vécu des trucs peut-être prématurés par rapport à pas mal de personnes de mon âge, et d’avoir acquis des compétences dans la manière de savoir relationner à deux, enfin de savoir communiquer et construire quelque chose.
De manière générale, quand je commence une relation intime avec une personne que j’apprécie, avec qui je passe de bons moments, je n’ai pas forcément envie d’une relation éphémère. J’ai des attentes pour construire quelque chose de très fort et de durable. Même aujourd’hui quand ça se réalise ça peut aussi faire peur. Quand tu es plus jeune il y a de nombreuses formes d’immaturité, d’incompréhension, de choses qui ne peuvent pas communément se résoudre, qui ont besoin d’être faites individuellement. Dans notre génération il y a des modes de relations complètement différents. je ne pense pas que ma propre expérience soit un problème, je veux dire que je ne suis ni en avance ni en retard. Il y a des personnes qui ne sont jamais en couple, des gens qui le sont souvent, des couples qui ne vont pas avoir de relations intimes avec d’autres, des couples si ; enfin il y a plein de modèles.
O : Comme moi, au contraire de toi, j’ai très peu été en couple, j’ai par contre eu beaucoup d’amitiés très fortes et multiple que j’ai gardées. Du coup je pense que ça me donne une forme d’indépendance affective aussi parce que… enfin j’ai pas peur d’être seule, quoi. Et c’est vrai que les amitiés que j’ai, j’ai tendance à plus compter dessus que sur les relations amoureuses que je peux avoir, parce que ça me semble plus stable.
S : La dépendance tu peux l’avoir dans une relation amicale aussi. Certaines amitiés sont de l’ordre du fusionnel. Après, le couple prolongé et le contexte de ma vie à ce moment-là ont fait que j’ai peut-être moins développé d’amitiés nouvelles — chose à laquelle aujourd’hui je tiens. Mais en même temps ça m’a aussi permis de m’ouvrir à un cercle familial et amical qui n’était pas le mien initialement, et donc de découvrir complètement un autre univers. C’était quand même assez intéressant.
Qu’est-ce qui différencie vos liens amicaux de vos liens amoureux ?
O : Au fond pas tant de choses que ça à part l’aspect lié au corps. Ça c’est propre aux relations amoureuses, ou pas amoureuses d’ailleurs, mais ça se mélange difficilement avec l’amitié par contre. Il y a parfois un aspect exclusif dans les relations amoureuses.
S : Moi je dirais que j’ai plus d’attentes en amour à l’instant T. C’est-à-dire que j’attends que mon partenaire amoureux soit présent pour moi ou pour nous de manière immédiate. Par contre en amitié j’ai l’impression d’avoir globalement des attentes sur le long terme… En fait, dans une amitié, tu sais que la personne est là. En couple aussi, mais c’est plus fragile parce que plus constant.
O : Contrairement à l’amitié, si t’es en relation amoureuse exclusive avec une personne qui n’est pas là et que tu peux pas avoir d’autres relations, là ça pose problème. Pour moi ça découle du fait d’avoir des relations sexuelles.
S : La projection avec l’autre ne porte pas sur le même aspect. En amitié, sauf cas particulier, tu n’est pas là tous les jours avec l’autre. Alors qu’en amour — bien que la distance soit importante — au bout d’un moment je pense que tu commences à avoir des attentes qui relèvent vraiment de « l’unisson », enfin de l’union. Du coup tu ne peux pas le faire à distance.
O : Moi j’ai quand même eu plusieurs amitiés où je vivais avec la personne.
S : Oui mais tu ne vis plus avec et c’est toujours tes amis. Et c’est ce qui me fait imaginer que ces personnes entretiendront des relations amicales très longues.
Qu’est-ce qui fait qu’une relation amicale perdure ?
S : Si on doit comparer, la relation amoureuse est un peu moins stable, ça reste en négociation parce que si tu ne réponds plus aux attentes de l’autre et inversement… ben une rupture amoureuse c’est une rupture relativement définitive, dont les motifs sont plus évidents, il suffit de peu pour trahir la confiance ou ne pas se sentir respectée.
O : Dans la production d’une amitié qui dure longtemps, il y a vraiment quelque chose à un moment donné qui est de l’ordre du partage de vie quotidienne. Dans l’amitié il y a quand même un truc de confiance, de durabilité et aussi de disponibilité de la personne, de compréhension mutuelle. Tu dis qu’on a moins d’attentes envers ses amis que dans une relation amoureuse, mais moi si je ne vais vraiment pas bien, que je choisis de contacter une personne parce que c’est mon ami et que j’ai besoin que cette personne soit là à un moment donné, tu vois je m’attends à ce que cette personne réponde, quand même.
S : Bien sûr. Et puis on choisit pas ses amis comme on choisit les personnes avec qui on a des relations amoureuses. C’est aussi un partage de petites folies et de centres d’intérêt qui sont propres aux amitiés.
O : Je n’ai pas eu de relations amoureuses longues mais j’ai constaté que les personnes qu’on choisit sont peut-être plus différentes de nous qu’en amitié. Elles ont d’autres goûts, d’autres idées, d’autres attentes ; tu ne partages pas tous tes centres d’intérêt avec la personne avec qui t’es en couple, tout simplement. Mais je m’attends à ce qu’au bout d’un moment toutes barrières finissent aussi par disparaître.
S : Aujourd’hui je ne sais pas si j’arriverais à reconstruire des amitiés du même type. J’ai l’impression que maintenant il y a un certain stade de la vie qui est passé qui fait que j’ai des nouvelles amies, mais je ne sais pas si j’arriverais à faire un truc aussi fort, tu vois.
O : T’as moins de disponibilité et puis tu travailles plus seule que quand t’es à l’école. Je pense qu’en fait ça dépend pas forcément de l’âge, mais vraiment de ce que tu vis avec la personne. Et je pense qu’évidemment quand t’es plus jeune, t’es en train de te construire, de découvrir plein de trucs… tu traverses des choses qui sont marquantes, et du coup t’as des expériences très fortes avec les personnes que tu côtoies. Après quand tu grandis… Il y a aussi le facteur qu’un cercle t’appartient déjà, tu vas moins chercher vers l’extérieur, mais je pense que c’est possible.
Que partagez-vous dans une relation amoureuse et dans une relation amicale ?
O : On partage des choses très différentes avec chacune des personnes avec qui on a des relations amoureuses ou des relations amicales. Et des fois il y a des choses qui se rejoignent mais ça se différencient quand même à chaque fois en fonction de la personne.
S : Il y a certaines relations amoureuses qui sont aussi de l’ordre amical. Moi, sur certains aspects, je considère les personnes avec qui j’ai été ou avec qui je suis comme des amis, même très proches. Parce que ça dépasse l’aspect purement amoureux ou sexuel.
Recueilli par Sophie Duvauchelle
