Le Conseil constitutionnel valide la majorité de la loi retraite portée par l’exécutif, dont l’âge de départ à 64 ans. Le gouvernement promulgue la loi dans la foulée. La première demande de RIP, non conforme, est rejetée, la mobilisation se poursuit.


 

Trois recours ont été déposés devant le Conseil constitutionnel par des députés de l’opposition (Nupes, sénateurs de gauche, RN), le gouvernement ayant également saisi la juridiction sur la validité de la procédure de la loi retraite engagée par l’exécutif. Les membres du Conseil constitutionnel1  ont jugé qu’il n’y avait pas ni vice de forme ni détournement : le passage de la loi retraite qui passe par un projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale (PLFRS) est jugé conforme, « les exigences de clarté et de sincérité ayant été respectées ».

L’opposition estime « incomplètes » voire « trompeuses » les informations transmises au Parlement, par exemple au sujet de l’équilibre financier de la réforme, des conséquences sur les femmes ou sur les bénéficiaires de la retraite à 1 200 euros…
Le Conseil juge que les estimations « initialement erronées » sont « sans incidence sur la procédure d’adoption de la loi » dès lors qu’elles ont pu être débattues.

Pour les requérants, le choix du gouvernement constitue un détournement de procédure, dans le seul but de lui permettre de bénéficier des conditions d’examen accéléré prévues à l’article 47-1 de la Constitution, alors qu’une réforme de cette nature aurait dû être examinée selon la procédure législative ordinaire et pas la loi de financement.
Mais le Conseil constitutionnel juge la limitation du débat (à 50 jours au Parlement, l’utilisation de l’article 44.2 et de l’article 44.3 au Sénat, puis l’utilisation du 49.3 pour faire adopter la loi sans vote à l’Assemblée nationale) recevable : « si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions du débat, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution », précise le communiqué.

 

Les six points censurés

 

L’âge de départ à 64 ans est validé. Il s’appliquera progressivement à raison de 3 mois par an à partir du 1er septembre 2023 jusqu’en 2030. Les régimes spéciaux disparaîtront, la mesure ne s’appliquant qu’aux nouveaux embauchés à partir du 1er septembre 2023. Le Conseil a retoqué six points accessoires de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale (LFRSS) pour 2023, « l’impact financier sur le budget de la sécurité sociale étant “incertain” ou “indirect” » :

L’index séniors
L’article 2, relatif à ce qu’on appelle couramment l’« index séniors »2

CDI séniors
L’article 3, relatif au « contrat de travail séniors »3.

Transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco
L’article 6, qui apportait certaines modifications à l’organisation du recouvrement des cotisations sociales,

Départ anticipé des anciens contractuels
Certaines dispositions de l’article 10, relatives aux conditions d’ouverture du droit au départ anticipé pour les fonctionnaires ayant accompli leurs services dans un emploi classé en catégorie active ou super-active (métiers pénibles et dangereux) pendant les dix années précédant leur titularisation (prise en compte des années passées en tant que contractuel),

Visite médicale à 60 ans
Certaines dispositions de l’article 17, concernant un suivi médical individuel spécifique au bénéfice de salariés exposés à certains facteurs de risques professionnels,

Information des assurés
L’article 27, instaurant un dispositif d’information à destination des assurés sur le système de retraite par répartition.

 

La nouvelle demande de RIP sera-t-elle validée ?

 

La loi retraite est parue au Journal officiel le lendemain de la décision du Conseil, samedi 15 avril au matin.

Contestée par le gouvernement, la première demande de référendum partagé, déposée dans l’urgence par l’opposition, a été jugée non conforme à la Constitution. La proposition visait à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne pouvait être fixé au-delà de 62 ans. Pour le Conseil constitutionnel la demande de RIP (référendum d’initiative partagée) se borne à affirmer une limite d’âge qui figurait déjà dans les textes. Elle ne porte pas sur une « réforme » relative à la politique sociale, sur un « projet de loi », comme le stipule l’article 11 de la Constitution.

La nouvelle proposition4 de référendum populaire de la Nupes, retravaillée et intégrant une réforme, sera examinée par le Conseil constitutionnel qui donnera sa réponse le 3 mai. Mais a-t-elle une chance d’être validée ? Selon la Constitution, une proposition de RIP « ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an ». Déposé avant la promulgation de la loi, le texte de la demande ne sera validé qu’après. La date de dépôt de la proposition de RIP sera-t-elle celle prise en compte par le Conseil constitutionnel ? D’après les juristes, à défaut de précédent, la décision sera à l’appréciation des juges.

 

Le rapport de force se poursuit

 

Les citoyen.ne.s, majoritairement opposé.e.s au passage de l’âge légal de départ à 64 ans, font largement part de leur détermination à continuer un combat qui va désormais au-delà du projet de loi ; c’est la légitimité du gouvernement et du système qui est mise en cause.

« Un résultat sans surprise, mais quand même ! », « consternant, mais pas pour longtemps », « on continuera jusqu’au retrait », « on nous a pris notre démocratie », « nous aussi, on passe en force », « on ne laissera pas passer, cette réforme »… depuis l’annonce du résultat et malgré l’énorme présence des forces de l’ordre, des centaines de manifestants s’expriment spontanément dans plusieurs villes de France. De nombreuses interpellations ont lieu. Si la décision du Conseil constitutionnel ne surprend pas, elle déçoit pourtant. Le sentiment d’injustice et de colère qui en découle risque de renforcer un climat déjà fort tendu ; La répression qui s’exerce à l’égard du mouvement a déjà fait de nombreux blessés, dont des graves.

Les réactions de l’opposition de gauche quant à la promulgation de la loi retraite, jugée « injuste même si elle est constitutionnelle », sont vives. L’intersyndicale refuse quant à elle en bloc de se rendre mardi prochain à l’invitation d’Emmanuel Macron. Elle appelle à un « raz-de-marée populaire et historique » le 1er mai, « le combat contre la réforme des retraites n’étant pas fini ».
La CGT propose aux « travailleuses et (aux) travailleurs (de) poursuivre la mobilisation sous toutes ses formes pacifiques notamment avec les temps forts par les territoires et professions les 20 et 28 avril ».

Mise à jour le 16/04/2023

Sasha Verlei

 

 

Notes:

  1. Le Conseil constitutionnel est composé de neuf membres nommés pour neuf ans. Les membres (M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS) sont désignés par le président de la République et les présidents des Assemblées parlementaires (Assemblée nationale et Sénat). 
  2. L’« index séniors » visait à obliger certaines entreprises à publier chaque année, sous peine de sanctions, des indicateurs de suivi relatifs à l’emploi et à la formation des salariés seniors dans les entreprises de plus de 1 000 salariés. Le texte prévoyait le versement de 1 % de la masse salariale à la caisse de retraite des salariés du régime général. 
  3. Le gouvernement n’était pas favorable à cette disposition préconisée par les sénateurs de droite et estimée à 800 millions d’euros. 
  4. La demande de RIP devra en premier lieu être validée par le Conseil constitutionnel, puis soutenue par 4,87 millions de personnes dans un délai de neuf mois. La mise en place de cette consultation est compliquée en terme d’organisation (plate-forme et base de données fiables), mais surtout de calendrier. Le Rip doit être déclenché avant la promulgation de la loi pour respecter la Constitution. Dans ce cas précis, la demande a été déposée avant la promulgation de la loi, quelle date fera foi ? Il n’y a pas de précédent, la décision revient donc aux membres du Conseil constitutionnel.
Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.