À droite toute, lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a affirmé sa volonté de lutter contre « les trappes à inactivité » en ouvrant la chasse aux chômeurs. Il a annoncé la fin de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) dont bénéficient quelque 250 000 chômeurs en fin de droits qui basculeront au Revenu de solidarité active (RSA) et a dit envisager un nouveau tour de vis sur l’assurance-chômage.


 

La suppression pure et simple de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) est un coup bas contre des allocataires pour la plupart âgés de plus de cinquante ans, chômeurs de longue durée ayant épuisé leurs droits et qui disposent bien souvent de ce que les salariés de France Travail nomment « des freins à l’emploi ». Parmi eux, des personnes handicapées non bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Ces allocataires sont actuellement plus de 300 000, avec des revenus toujours en deçà du SMIC. Ils basculeraient directement au revenu de solidarité active (RSA), avance Gabriel Attal, ce qui les empêcherait de valider des trimestres pour leur retraite, contrairement à ce que permettait l’ASS.

Une attaque sournoise qui va toucher les seniors en difficultés sous couvert de vouloir combattre les « trappes à inactivité » : « Je pense notamment à l’allocation de solidarité spécifique, qui prolonge l’indemnisation du chômage et qui permet, sans travailler, de valider des trimestres de retraite. Or la retraite doit toujours rester le fruit du travail. Je proposerai sa suppression », a annoncé le jeune Premier ministre.

Gérée par France Travail (ex-Pôle emploi) et financée par l’État, l’ASS est une allocation créée en 1984 destinée à des demandeurs d’emploi ayant épuisé leurs droits à l’assurance chômage. Un demandeur d’emploi de plus de 50 ans peut aussi choisir l’ASS plutôt que l’indemnisation chômage classique si elle lui est plus favorable. Pour en bénéficier, il faut être à la recherche effective d’un emploi, justifier de cinq ans d’activité salariée dans les 10 ans précédant la fin du contrat de travail et ne pas dépasser un plafond de ressources mensuelles.

Au 1er avril 2023, ce plafond était de 1.271,90 euros pour une personne seule (1.998,70 € pour un couple). Le montant de l’allocation est de 18,17 euros par jour (545,10 € par mois). L’ASS est versée pendant six mois, renouvelables. Il faut pour cela continuer de remplir les conditions (ressources, inscription, recherche effective d’un emploi…). Il ne s’agit pas du dispositif dit des préretraites Unédic qui permet aux seniors de plus de 62 ans de garder leurs droits à l’assurance chômage jusqu’à leur départ en retraite à taux plein.

 

Qui est concerné ?

Fin 2021, l’ASS était perçue par 321 900 bénéficiaires, selon un document publié en septembre 2023 par le service statistique des ministères sociaux (DREES). À titre de comparaison, le RSA concernait 2,1 millions de personnes fin 2022, selon la même source. Plus d’un allocataire sur deux (57 %) est âgé de 50 ans ou plus, une proportion qui s’explique par les conditions d’accès à l’ASS, selon des données de fin 2019. Ce sont majoritairement des hommes (55 %). Et deux allocataires sur trois (65 %) sont des personnes seules.

L’ASS étant une prestation destinée aux chômeurs de très longue durée, 75 % des allocataires sont inscrits comme demandeurs d’emploi depuis au moins trois ans et 54 % depuis au moins cinq ans. 33 % des allocataires ont rejoint le dispositif depuis au moins cinq ans.

 

Quelle différence par rapport au RSA ?

Le montant de l’ASS est légèrement inférieur au niveau du RSA pour une personne seule (environ 608 euros). Mais la grande différence est que les bénéficiaires de l’ASS continuent à acquérir des trimestres pour le calcul de leur retraite, ce qui n’est pas le cas avec le RSA. L’ASS permet aussi le cumul avec d’autres revenus, à condition de ne pas dépasser le plafond de ressources mensuel de 1 998,70 euros pour un couple.

Le plafond de ressources pour un couple éligible au RSA est lui plus de deux fois inférieur (911,63 euros). « On va avoir des hommes et surtout des femmes qui vont se retrouver à avoir rien du tout (…) parce qu’il y a par exemple un Smic chez le conjoint », pointe Denis Gravouil, de la CGT.

Pour le président du syndicat des cadres CFE-CGC François Hommeril, le gouvernement « décroche petit à petit les dispositions qui existent et permettent aux gens qui sont en situation de précarité momentanée dans leur carrière d’acquérir quand même des droits à la retraite ». « Vous allez pouvoir survivre, mais ce qu’il y a de bien, c’est que quand vous serez en retraite vous serez encore plus pauvre », ironise M. Hommeril. En « supprimant l’ASS, on enlève au demandeur d’emploi la validation de trimestres pour la retraite de base et l’obtention de points pour la (retraite) complémentaire », relève de son côté Michel Beaugas, de Force ouvrière.

 

Aucune concertation avec les départements en charge du RSA

Actuellement, plus de 300 000 personnes bénéficient d’une allocation mensuelle de 545 euros au titre de L’Allocation Spécifique de Solidarité (ASS) versée actuellement par France Travail. La mise en œuvre de cette mesure de basculement vers le RSA représente un coût de 2,1 milliards d’euros. Le Premier ministre n’a pas spécifié les modalités de cette transition. Face à la situation d’étranglement des finances départementales, DF prévient : les Départements ne pourront y faire face ! Ils demandent donc la mise en place, rapide, d’une discussion avec le Gouvernement, pour qu’il compense ce qui ne serait rien d’autre qu’un transfert de charge de France Travail (ex-Pôle Emploi) vers les Départements.

« Les Départements de France ont appris avec stupéfaction le transfert sans la moindre concertation de l’ASS vers le RSA et ses conséquences financières. 300 000 personnes bénéficient de cette allocation pour un montant de 2,1 milliards d’euros. Départements de France (DF) s’étonne d’autant plus que le Premier ministre a promis, dans ce même discours, d’être à l’écoute des Collectivités Territoriales. Beaucoup de départements sont actuellement dans une situation difficile et ce que l’on attend du chef du gouvernement ce sont des réponses concrètes pour faire face aux grands défis qui sont devant nous. Les départements de France ont besoin de la solidarité nationale et pas de dépenses supplémentaires, non financées, dans le contexte actuel », a déclaré François Sauvadet, Président de Départements de France.

 

La chasse aux chômeurs est ouverte

Sans surprise, Gabriel Attal annonce la généralisation de l’expérimentation gouvernementale sur le RSA, jusqu’alors testée dans 18 départements. D’ici le 1er janvier 2025, le RSA sera conditionné à 15h d’activité partout en France.

Rappelons que cette obligation pourrait ne pas concerner seulement les chômeurs, mais potentiellement tous les demandeurs d’emploi inscrits à France Travail, qu’ils soient bénéficiaires d’une allocation ou pas. Les titulaires d’un contrat d’engagement jeune (CEJ)1, de tous les minimas sociaux, et même les allocataires adultes handicapés, seraient touchés.

Gabriel Attal annonce qu’il engagera une nouvelle étape de la réforme du droit du travail après l’été. Dans le cadre de celle-ci, il souhaite « permettre [aux TPE/PME] de négocier certaines règles directement, entreprise par entreprise ». C’est-à-dire amoindrir encore davantage les contre-pouvoirs en entreprise.

« On a d’un côté le gouvernement qui nous dit qu’il est dans le dialogue, et de l’autre des députés et des économistes proches du pouvoir qui nous disent qu’il faut désindexer le SMIC de l’inflation et supprimer les accords de branche », explique Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT. La désindexation du SMIC de l’inflation semble être dans les tuyaux, ce serait catastrophique pour les classes populaires qui ne cesse de grossir tandis que les revenus des actionnaires s’envolent.

 

Notes:

  1. Le contrat d’engagement jeune est un dispositif destiné aux jeunes de 16 à 25 ans (ou 29 ans révolus lorsqu’ils disposent d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) en situation de précarité, qui ne sont pas étudiants, ne suivent pas une formation et présentent des difficultés d’accès à l’emploi durable. Il consiste en un accompagnement intensif vers l’emploi ou un contrat d’apprentissage associé à une aide financière (allocation pouvant aller jusqu’à 528 euros par mois en fonction de ses ressources et sous condition de respecter ses engagements).