Le gouvernement a publié le 21 février un décret annulant 10 milliards d’euros de crédits dans son budget 2024. Son but est de maintenir son objectif de déficit public à hauteur de 4,4 % du PIB (produit intérieur brut) alors que sa prévision de croissance a été réévaluée à 1 % en 2024 contre un trop optimiste 1,4 % jusqu’alors. Certes, une telle décision est juridiquement valide puisque la loi organique de 2001 autorise des annulations de crédits en cours de gestion jusqu’à 1,5 % du budget de l’État. Toutefois elle est sur plusieurs plans une très lourde erreur.


 

C’est une erreur démocratique tout d’abord. La décision, prise, selon Les Échos, par Emmanuel Macron lui-même, de passer par un décret plutôt que par un projet de loi rectificatif serait « gage d’efficacité et de rapidité », selon les termes de Bercy. Mais elle permet surtout au gouvernement d’éviter les fourches caudines du Haut conseil des finances publiques et de court-circuiter le débat parlementaire. Il est vrai que le débat parlementaire et la démocratie, c’est tellement pénible, avec ces oppositions qui s’opposent…

À nouveau, le débat budgétaire n’aura donc pas lieu et cette fois sans même que le gouvernement n’ait eu besoin d’avoir recours à nouveau au 49-3 ! Il pourra donc dérouler ses arguments sans frein. Y compris les arguments les plus éculés, comme celui de Bruno Lemaire et de l’inévitable « bon-sens », vieux cache-misère des positions réactionnaires et du libéralisme économique. Parmi les arguments les plus ineptes, le rapporteur du budget de l’Assemblée nationale (Renaissance), Jean-René Cazeneuve, s’est notamment illustré, comparant les finances publiques avec celle d’un ménage.

La situation économique est difficile et complexe. Elle est notamment héritée de la crise historique liée à la pandémie et de ses conséquences lourdes en termes d’inflation, aggravée par la guerre en Ukraine et les tensions géopolitiques.

Or, cela impose plus que jamais aux dirigeants de tenter de présenter de la manière la plus claire possible les alternatives de politique économique et les justifications de leur choix, auprès de tous, y compris des non-spécialistes des questions macroéconomiques. Refuser de le faire, utiliser des arguments démagogiques et se réfugier dans la communication à outrance ne peut qu’amplifier la vague populiste et précipiter l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite.

 

Une erreur de politique économique

 

Le choix fait par le gouvernement est également une lourde erreur de politique économique. Elle amplifie celle de sa loi de finances pour 2024 qui actait déjà une réduction de 16 milliards d’euros et celle de sa loi de programmation des finances publiques (2023-2027) qui fixait des cibles de déficit public de 3 % et de dette publique à 108 % en 2027. 12 milliards d’euros d’économies sont en outre déjà annoncés pour 2025 et le gouvernement n’exclut pas de nouvelles coupes lors d’un Projet de loi de finance (PLF) rectificatif cet été.

En effet, mener une politique de redressement des comptes publics et de réduction du déficit alors que la croissance économique est faible et que le chômage remonte depuis un an aura nécessairement un effet contreproductif, ralentissant encore la croissance et imposant alors de nouvelles coupes ! Henri Sterdyniak, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), évalue l’effet dépressif à environ 1 % du PIB. Il sera d’autant plus important que la politique monétaire restrictive menée par la Banque centrale européenne (BCE) se fait désormais sentir.

Deux freins sont ainsi simultanément enclenchés : celui de la politique budgétaire et celui de la politique monétaire. Rappelons que le niveau de la dette publique n’impose nullement une réduction du déficit en urgence. Nous sommes loin de l’insolvabilité, d’autant que les taux d’intérêt ont commencé leur décrue, et que celle-ci s’accélérera probablement avec le ralentissement de l’inflation et la fin de la politique monétaire restrictive de la BCE attendue dans l’année.

Certes, cette erreur n’est malheureusement pas l’apanage du gouvernement français. C’est celle de la Commission européenne et de la zone euro qui rétablissent en plein marasme économique les objectifs du déficit de 3 % du PIB et du ratio de 60 % de dette sur PIB. Elles devront s’appliquer dès 2024, certes sous une forme modifiée, mais dont la complexité fait dire à Jean Pisani-Ferry qu’il s’agit d’un « cauchemar ».

L’Europe réitère ainsi l’erreur qu’elle avait déjà faite à la suite des crises de 2008-2009 et de la zone euro. Celle-ci lui a valu le sévère décrochage qu’elle a connu dans la décennie 2010 par rapport aux États-Unis notamment. Il risque de s’aggraver encore puisque les Américains ont assumé en 2023 un déficit de 8,2 % du PIB et prévoient -7,4 % pour 2024.

Si nous sommes très nombreux à le dire sans nous faire entendre, peut-être le gouvernement devrait-il écouter ce que disait… Bruno Le Maire lui-même, il y a un an :

« Il faut tirer un certain nombre de leçons du passé et remonter peut-être un peu avant la crise de 2020, notamment à la première crise financière de 2008 à 2011. La première leçon que l’on peut tirer est très simple : l’austérité est une impasse. Je le dis à tous nos partenaires européens qui pourraient être tentés par cette solution : nous l’avons essayé et cela a été un échec. »

 

Des besoins immenses

 

Cette erreur est d’autant plus préoccupante que les besoins d’investissement et de financements pour faire face aux défis actuels sont immenses. Sans être exhaustive, citons ceux générés en termes de défense par les tensions géopolitiques, ceux imposés par l’urgence climatique et écologique, par le retard technologique européen, par le vieillissement de la population qui engendre des dépenses nouvelles en termes de retraite et de santé, par les besoins des ménages durement frappés par la crise sanitaire et l’inflation, ou encore les besoins de nos services publics exsangues.

Cela est d’autant plus préoccupant que les choix d’économies effectués par le gouvernement dans son décret ne l’ont pas été au prorata du poids des différents ministères dans le budget, contrairement à ce qui avait été annoncé initialement. Ils se sont en réalité concentrés sur certaines des missions les plus essentielles pour la préparation de l’avenir.

Comment en effet ne pas mentionner le très lourd tribut payé par l’écologie alors que le gouvernement est pourtant bien loin des 32 milliards d’euros annuels de financements publics nécessaires pour la transition, selon les calculs de Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry ? Ou celui des secteurs de la formation, de l’enseignement supérieur et de la recherche et de l’éducation pourtant déjà en très grande difficulté ?

 

D’autres solutions existent

 

Pourtant, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement, d’autres solutions existent. Tout d’abord, c’est la politique de la « caisse vide », correspondant à 70 milliards d’euros de baisses d’impôts depuis le début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron (soit près de 3 points de PIB), qui « impose » au gouvernement ce plan de réduction des dépenses publiques. Or, le pari fait par le président de la République avec une telle politique a échoué : la croissance n’est pas venue et n’a donc pas pu drainer richesses, emplois et recettes fiscales.

Soulignons aussi que contrairement à ce qu’affirme le gouvernement en expliquant que l’effort ne portera que sur « l’Etat » et « épargnera les ménages », ces derniers le ressentiront durement. Ils le ressentiront directement, via la réduction de certaines politiques publiques, sur le logement par exemple, ou sur la formation.

Mais ils le ressentiront également indirectement, via la dégradation de la qualité des services publics dont ils sont les bénéficiaires (éducation, santé, université, justice, sécurité, etc.) ou en raison du ralentissement de la croissance et du surcroît de chômage qui risque d’en résulter.

Non, l’État n’est pas « obèse » et réduire les dépenses qui lui sont consacrées, ce n’est pas tailler dans le gras de dépenses inutiles, mais s’attaquer au cœur de notre économie et de notre processus redistributif. Il est donc urgent de repenser la politique fiscale, via notamment des taxations sur les superprofits et les grandes fortunes ou sur les transactions financières et de conditionner les aides aux entreprises afin de ne pas hypothéquer l’avenir.