Des Russes pacifistes et antifascistes en viennent à questionner fondamentalement les ressorts identitaires.


 

« Les Russes avec l’Ukraine » : aucune ambiguïté à la lecture de la principale banderole brandie ce dimanche 16 avril sur la place de la Comédie à Montpellier. Ce sont les Pâques orthodoxes. Pure coïncidence de calendrier. « Plusieurs d’entre nous n’ont aucune attache religieuse. Mais le symbole d’une résurrection peut convenir assez bien avec notre démarche », remarque au passage Mitia Fedotenko qui sera le principal animateur au micro, de ce rassemblement.

Une trentaine de Russes comme lui, ou aussi Moldaves, Tchétchènes, Tatars, Ouzbeks, Arméniens, vivant à Montpellier, se sont réunis pour dire leur hostilité au « gouvernement criminel de Vladimir Poutine ». Également Ludmila, à titre personnel assure-t-elle, mais citoyenne réfugiée ukrainienne, figure de l’association « SOS-Montpellier-Ukraine » qui explique en quoi une telle présence partagée n’a rien d’évident, tout en étant nécessaire. De son côté, Clare Hart représente la Ville de Montpellier.

Si on a très mauvais esprit, on peut se dire qu’il est plus aisé d’être russe à Montpellier et s’insurger « contre le fascisme poutinien », que de le faire quand on est russe à Saint-Pétersbourg. Mais à l’écoute du discours de Mitia Fedotenko, c’est tout un déplacement intellectuel très profond qu’on est amené à faire — et que d’autres eurent à faire en France, par exemple le prolétariat anti-guerre de 14-18 puis les Poilus qui fraternisèrent dans les tranchées… le payant très cher. À qui le prochain tour ?

Mitia Fedotenko — pour ne s’attacher qu’à son cas — est d’origine ukrainienne, de nationalité russe. Il vit en France depuis un quart de siècle, par sa nomadisation d’artiste contemporain, danseur œuvrant à Montpellier auprès de Mathilde Monnier d’abord, puis lui-même chorégraphe indépendant. Au 417e jour de guerre en Ukraine, il dit comment toute la question aura été d’aller voir, en situation de conflit, « qu’est-ce qui se cache derrière la notion de “nous” ». Autrement dit : questionner son propre attachement identitaire.

Il poursuit : « Ce “nous” a perdu son sens en Russie, où Poutine agit contre son propre peuple, voire contre l’humanité toute entière. La Russie est malade du fascisme poutinien. Cela nous conduit à réévaluer ce que nous sommes, et nous départir de toute irresponsabilité collective ou personnelle. Que répondre à nos enfants qui demandent ce que nous avons fait pour éviter que nous en soyons où nous en sommes ? ». Et de rappeler : « Nous ne sommes les marionnettes de personne. Nous n’agissons qu’à l’appel de notre conscience », avant de conclure par « La Russie sera libre ! Gloire à l’Ukraine ! » et s’agenouiller devant la petite foule.

C’est tout en silence, exclusivement en gestes de danse, qu’une autre artiste chorégraphique, russe de Montpellier elle aussi, Natacha Kouznetsova, prit alors le relais. Tant il importe de saisir que les politiques conduites, dont les guerres, sont aussi des traitement infligés au corps, dont le pouvoir ne se réalise qu’en en prenant le contrôle. Passant par là, un pauvre hère, originaire de ces régions du monde, invective l’assemblée dans sa langue, sans qu’on y comprenne grand-chose. L’époque est si lourde de ses errances incertaines, à Montpellier ou ailleurs.

Gérard Mayen

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Gérard Mayen (né en1956) est journaliste, critique de danse, auteur. Il est titulaire d'un master 2 du département d'études en danse de l'université Paris 8 Saint-Denis-Vincennes. Il est praticien diplômé de la méthode Feldenkrais. Outre des chroniques de presse très régulières, la participation à divers ouvrages collectifs, la conduite de mission d'études, la préparation et la tenue de conférences et séminaires, Gérard Mayen a publié : De marche en danse dans la pièce Déroutes de Mathilde Monnier (L'Harmattan, 2004), Danseurs contemporains du Burkina Faso (L'Harmattan, 2005), Un pas de deux France-Amérique – 30 années d'invention du danseur contemporain au CNDC d'Angers(L'Entretemps, 2014) G. Mayen a longtemps contribué à Midi Libre et publie maintenant de nombreux articles pour"Le Poing", Lokko.fr ... et Altermidi.