Ce 15 avril, dans une Assemblée nationale vide aux 4/5, la loi « sécurité globale », étoffée de la mention orwellienne « préservant les libertés », a été définitivement adoptée par 75 voix contre 33. Quelle image de la démocratie représentative donnent ainsi les 469 députés absentéistes — tous bords politiques confondus à l’exception de la France Insoumise —, alors qu’à propos de cette nouvelle loi la pourtant modérée Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL) évoque un « changement de paradigme » concernant la protection de la vie privée de tous nos concitoyens.


 

Créé début novembre 2020 sur le mot d’ordre « Abrogation pure et simple de la loi », le collectif montpelliérain « Danger Loi Sécurité Globale », fort d’une soixantaine d’organisations et d’un certain nombre d’individus isolés motivés, a fait preuve d’une mobilisation qui ne s’est pas relâchée au fil des mois, ce qui a permis avec la pression d’autres collectifs regroupés dans une « Coordination nationale : Stop Sécurité Globale » d’obtenir tout de même quelques minimes avancées.

Ainsi la disposition particulièrement décriée prévoyant de sanctionner la diffusion d’images de policiers et de gendarmes dans une « intention malveillante » a fait place  à une infraction de « provocation à l’identification d’une personne dépositaire de l’autorité publique dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique », une intention qui sera effectivement plus difficile à caractériser judiciairement que la version initiale mais, outre que l’atteinte à la liberté d’informer est caractérisée, la peine encourue passe en contrepartie de 1 an à 5 ans d’emprisonnement ! Si par ailleurs les forces de l’ordre ont obtenu d’accéder elles-mêmes aux images captées par les caméras-piétons qu’elles portent, alors que cet accès leur était jusque-là strictement interdit, ces mêmes captations-vidéo ne pourront pas être rendues publiques. Et si l’utilisation des drones sur décision du préfet est désormais possible, sont toutefois interdites la captation du son, l’analyse des images par reconnaissance faciale ainsi que les interconnexions automatisées avec des fichiers. Il est également interdit de filmer les habitations privées mais on en voit mal l’application effective par les drones !

 

Durcissement du texte au Sénat

 

Il y a par contre lieu de s’inquiéter du durcissement du texte à l’initiative du Sénat avec la criminalisation des actions « en cas d’introduction dans un local professionnel, commercial, agricole ou industriel ». Ce nouvel article vise ni plus ni moins à réprimer pénalement l’occupation de leur lieu de travail par les salariés, de leur fac par les étudiants, de leur lycée par les lycéens, de leur école par les parents d’élèves et les enseignants.

Ainsi l’essentiel demeure : outre la surveillance de la population par drones, la généralisation de la vidéo-surveillance, le risque avéré de poursuites si on filme des violences policières, et le « continuum de sécurité » qui prévoit le renforcement des prérogatives des agents de police municipale et de sécurité privée. De sorte qu’à l’arrivée nous nous retrouvons avec une loi qui est destinée à protéger la police contre la population.

C’est ce qui explique la raison de la décision de procéder à une  « saisine citoyenne » du Conseil Constitutionnel, sachant que ce dernier a été saisi le 20 avril par le groupe socialiste du Sénat qui compte 65 membres, la saisine pouvant se faire par 60 députés ou 60 sénateurs.

En effet, des contributions écrites sont possibles de la part d’associations comme de particuliers en se joignant à cette saisine. En l’espèce, une contribution va être déposée par la Ligue des Droits de l’Homme avec le Syndicat des Avocats de France, la Quadrature du net et le DAL et chacun de leur côté Amnesty International et les différents syndicats de journalistes. La « Coordination Nationale : Stop Sécurité Globale » soutient, elle, les initiatives qui éclosent au niveau régional et local — une quinzaine environ est annoncée à travers tout le pays — et c’est ainsi qu’à Montpellier le collectif « Danger Loi Sécurité Globale » a décidé de procéder à cette saisine qui sera effective le 22 avril avec conférence de presse prévue à 11 h devant la Préfecture.

Outre susciter l’intérêt sur un plan médiatique et alerter le Conseil Constitutionnel par cette mobilisation citoyenne, cette saisine doit permettre de maintenir une dynamique de vigilance contre la mise en place des outils de surveillance orwelliens induits par cette loi scélérate.

 

« Maintenir la vigilance »

 

Après un rappel historique des actions engagées par le collectif depuis 5 mois — création d’une page Facebook avec 1 200 abonnés, 40 000 tracts distribués, 5 conférences de presse, 6 manifestations, avec prises de parole, festives et sans incidents, regroupant de 2 à 6 000 personnes — il va s’agir de dénoncer :

  • l’atteinte à la séparation des pouvoirs, principe constitutionnellement garanti, car il s’agit d’une fausse proposition de loi, inspirée en réalité directement par le ministre de l’Intérieur, ce qui permis ainsi d’éviter deux obligations qui pèsent sur les projets de loi, à savoir l’étude d’impact qui permet d’éclairer le Parlement sur la portée de la réforme que lui soumet le gouvernement, et la non-aggravation des charges publiques visée par l’article 40 de la Constitution alors que les nouvelles technologies mises en place et l’augmentation des forces de l’ordre vont avoir un coût conséquent ;
  • la sensation d’être enfermés à ciel ouvert dans un continuum de sécurité globale avec pour conséquence la négation du droit à une vie privée et familiale normale, ce qui constitue une atteinte au principe de dignité de la personne humaine, et plus fondamentalement à notre essence même.

Nous sommes TOUTES et TOUS concerné.es !

Jean-Jacques GANDINI