Malgré la longue lutte de la communauté éducative pour sauver les collèges de proximité, le ministère de l’Éducation nationale et le conseil départemental ont décidé de fermer, en 2020, deux grands collèges du Mirail, dans le quartier de la Reynerie et de Bellefontaine, au nom de la mixité sociale.
Rencontre avec Pascal Garcelon, ancien professeur de physique et de chimie à Raymond Badiou (La Reynerie) de 1998 à 2020 et syndiqué à SUD Éducation.


 

Pour justifier la fermeture des collèges du Mirail, M. Méric, président PS du conseil départemental de l’époque, a avancé : « notre système scolaire doit donner les mêmes chances à toutes et à tous », que répondez-vous à cet argument ?

Ces mots sont des outils de guerre pour le libéralisme. Ça voudrait dire que l’accès aux apprentissages, l’accès aux diplômes et l’accès aux métiers sont une chance alors que ce sont des droits. La scolarité est obligatoire jusqu’à 16 ans, elle englobe le brevet et donc l’ouverture sur un métier. Parler d’égalité des chances, c’est laisser imaginer que tous partent sur une même ligne de départ. Or, dans une compétition, tout le monde n’est pas gagnant. Seuls les plus teigneux et les plus résistants ou ceux qui ont déjà les codes formeront l’élite, ils serviront d’alibi pour dire que le système fonctionne bien. Par contre, l’égalité des droits suppose que l’on débloque les moyens nécessaires pour ceux qui en ont besoin.

 

Ces établissements scolaires ont servi de « laboratoire » au dispositif du département pour « la mixité sociale » dans les collèges ; ce terme, qui ne s’applique qu’aux quartiers populaires, revient régulièrement dans le vocabulaire institutionnel des politiques et de la plupart des médias. Quelle est votre analyse à ce sujet ?

L’idée de cette mixité sociale était de mettre les enfants des quartiers populaires dans des quartiers dits plus favorisés parce que ça allait encourager les apprentissages, on ne sait pas trop comment d’ailleurs. C’est comme le ruissellement économique, ce seraient les riches qui développeraient les richesses et elles ruisselleraient sur les pauvres. Appliqué au système éducatif, on aurait le même mécanisme. Cette idée est odieuse, car elle fait fi de toutes les réflexions pédagogiques sur les apprentissages. Ça laisse supposer que les gosses des classes sociales supérieures apprennent mieux que les autres, ont des facultés supplémentaires, ce qui est complètement faux.
Cette idée de mixité sociale court dans l’Éducation nationale depuis un certain temps. Dans les Réseaux d’éducation prioritaire renforcée (REP+)1 comme au Mirail, des moyens nécessaires sont débloqués pour un certain public : élèves non francophones et élèves issus de catégories sociales défavorisées. En réponse aux attentats de 2012 et de 2015, le gouvernement a désigné un ennemi intérieur. Un certain nombre d’établissements ont été visés sur des critères tels que la ségrégation sociale mais aussi la concentration ethnique. Le ministère de l’Éducation nationale a donc fait des propositions pour corriger ces pseudo-dérives communautaristes en utilisant la carte scolaire pour disperser les enfants, en les obligeant à s’inscrire ailleurs que dans leur quartier, et le quartier du Mirail2 de 30 000 habitants a été puni avec la fermeture de ses deux collèges.
Dans un rapport publié récemment, sur le projet « renforcement de la mixité sociale », une doctorante reconnaît que les familles du Mirail sont celles qui respectaient le mieux la carte scolaire sans chercher de dérogations pour la contourner en mettant leurs enfants dans les établissements de proximité : le collège Raymond Badiou de la Reynerie et le collège de Bellefontaine. Cela montre bien l’attachement des parents au collège de proximité.
Le ministère de l’Éducation nationale s’est basé sur le Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO) qui, regroupant un certain nombre d’experts, a développé cette idée de la mixité sociale en s’appuyant sur des évaluations, colloques internationaux, etc. Pourtant, dès 2017-2018, la Cour des comptes a critiqué ces analyses du CNESCO qualifiées de non scientifiques et relevant plutôt de considérations idéologiques. Le ministère s’est séparé de cet organisme, mais le mal était fait.

 

Vous avez contesté le bilan « positif » du conseil départemental sur l’expérimentation dite « mixité sociale », pouvez-vous nous en expliquer les principales raisons ?

En 2021, le bilan du conseil départemental dit que c’est une réussite. 63 % des élèves ont obtenu le brevet dans les établissements où ils ont été affectés contre 50 % au collège Raymond Badiou. Or, les résultats à Badiou sur les dix dernières années oscillent entre 63 %, 75 % et 80 % sauf pour l’année 2015 dont le résultat est de 50 %, et c’est uniquement ce résultat que le conseil départemental utilise pour décrédibiliser le travail du collège Raymond Badiou. Il faut souligner qu’en 2015 on a eu une année extrêmement dure, car ils nous ont enlevé des postes d’assistants d’éducation, de conseillers d’éducation et la possibilité de travailler en demi-groupes. Là-dessus s’est rajoutée une situation exceptionnelle : l’arrivée en cours d’année d’élèves allophones et de nombreux élèves, inscrits au brevet, sont repartis dans leur pays : Espagne, Italie, Afrique du Nord. Cette année a été chaotique avec nos luttes pour des moyens et des difficultés pour les élèves. Suite à notre riposte, on nous a rendu des moyens, en particulier le travail en demi-groupes si important dans les REP+, pour nous faire taire et nous faire avaler la fermeture.
À partir de 2016, les résultats remontent entre 75 et 80 % de réussite au brevet. Leur résultat de 2021 de 63 % de réussite au brevet correspond au résultat le plus bas de ce que nous avons obtenu. Eux sont restés bloqués sur les 50 % de réussite au brevet de 2015, un chiffre dont ils se sont servis, dès le départ, pour stigmatiser le collège et lancer l’idée de la fermeture. Et comme ils se sont aperçus que les chiffres ne suffisaient pas, ils ont ajouté la question de l’ouverture culturelle que, selon eux, les élèves n’avaient pas auparavant.
Ça nous a fait mal, car c’est une méconnaissance totale de ce qui se fait en REP+ en termes d’ouverture culturelle. Les collégiens de Raymond Badiou sortaient à l’extérieur dans des projets créant des liens très très forts d’éducation populaire, que ce soit dans le sport avec le Toulouse Football Club, dans la musique avec de multiples programmes menés en danse se traduisant par des spectacles dans des salles du centre-ville. Et pendant des années, en sciences, on a travaillé avec tout un réseau d’écoles d’ingénieurs. Des étudiants venaient chaque semaine bosser sur des projets de recherche et nous, on allait visiter leurs écoles, trouver des stages, les élèves allaient aussi dans les écoles de commerce. Ils ont osé employé le terme méprisant de « stage Kebab » qui n’avait aucun rapport avec la réalité.

 

Il y a eu une longue bataille contre ces fermetures de collèges durant laquelle les habitant.e.s et les parents d’élèves ont proposé, notamment, qu’une partie des élèves du quartier aille dans les collèges de la ville et qu’une partie des élèves de la ville vienne au Mirail. Pourquoi ces voix n’ont-elles pas été entendues ?

Une actualité m’a beaucoup marqué en 2018 : le rassemblement des parents mécontents à l’école primaire des Amidonniers3. Ils avaient appris que leurs enfants n’allaient plus être scolarisés au collège des Pont-Jumeaux mais au collège Clémence-Isaure4. Leur mobilisation a payé, le Conseil départemental a abandonné son projet. Il y a donc deux poids deux mesures sur la façon dont sont traités les habitants suivant l’endroit où ils vivent. Les parents de la Reynerie ont rédigé et fait signer une pétition pour que leurs enfants aillent dans le collège de Saint-Simon le plus proche de leur lieu d’habitation, mais l’institution départementale n’en a pas tenu compte.

 

Le département a lancé la construction de deux établissements scolaires, l’un à Saint-Simon, l’autre à Guilhemery. Comment se fait-il que, à la prochaine rentrée5, une partie des enfants du Mirail n’y seront pas accueillis alors que cela était prévu à l’origine ?

Il a reconnu ouvertement qu’il n’était pas question que ces collèges deviennent des établissements pour les enfants du Mirail contrairement à ce qui avait été annoncé à l’origine. Ces paroles montrent bien ce qu’il y a derrière ce projet. Par exemple, en 2011, une fiche de recrutement de l’Éducation nationale pour un poste de principal adjoint dans un collège du Mirail décrivait le contexte : « Collège situé en bas des tours dans un univers dégradé (…) Forte concentration ethnique et religieuse proche de la ghettoïsation. Important repli communautaire. » C’est comme une grande baffe dans la figure comment sont vus le quartier et ses habitants. Cette fiche de recrutement a été retirée après notre intervention.
Le conseil départemental affirmait, en 2016, que « la ségrégation sociale est une bombe à retardement pour la société française ». Les attentats de 2015 étant passés par-là, les jeunes des quartiers populaires ont été classés comme des élèves à risques par ces institutions. Et Monsieur Caillaut, directeur académique des services départementaux de l’Éducation nationale (DASEN) a décrété en 2017 : « Il est possible que le collège qui sera construit, pour remplacer celui de Raymond Badiou, ne soit pas classé REP du fait que l’établissement ne soit plus ethnicisé ». Ainsi, pour justifier cette nouvelle sectorisation, un membre du cabinet de Monsieur Méric, président du Conseil départemental, déclarait qu’elle est nécessaire pour « rétablir des conditions de vie républicaine ». Il apparaît que la décision de fermeture des collèges s’est faite sur une base discriminante.


Propos recueillis par Piedad Belmonte

Lire aussi : « Le projet mixité sociale, c’est que du positif », Casser le bâti pour casser les gens : cas d’école au Mirail, Toulouse : Les habitant.e.s du Mirail bataillent pour sauver leurs immeubles

Notes:

  1. Les établissements classés REP+ concernent les quartiers ou secteurs isolés qui connaissent les plus grandes concentrations de difficultés sociales ayant des incidences fortes sur la réussite scolaire. Cela signifie que les élèves sont encore plus défavorisés que les autres et qu’ils bénéficient de moyens supplémentaires. En effet, en plus des dispositifs valables pour tous les établissements REP, un professeur d’un collège classé REP+ a moins d’heures de cours par semaine afin de lui permettre de prendre part à des initiatives pédagogiques collectives, d’organiser le suivi des élèves ou de rencontrer les parents.
  2. Le Mirail englobe trois quartiers : La Reynerie, Bellefontaine et Mirail-Université.
  3. L’école des Amidonniers se situe aux allées de Brienne après la Garonne sur la Rive droite toulousaine. Le collège des Pont-Jumeaux est tout proche.
  4. Le collège Clémence-Isaure se situe dans le quartier de Saint-Cyprien sur la Rive gauche.
  5. La rentrée 2022 puisque l’interview a été réalisée au printemps 2022.