Bien dans mon collège, quel sens cela prend-t-il pour les collégien.ne.s ? Les questions ont été posées, lors d’entretiens individuels, à Alaïs, Andéol, Amaya et Raphaël, quatre collégien.ne.s héraultais.e.s. Ils.elles ont en commun d’avoir été élu.e.s membres du Conseil départemental des jeunes1 et de s’investir dans l’amélioration de leurs établissements.


 

Retour réflexif sur la notion de bien-être

 

Pour Andéol, se sentir bien au collège commence par « ne pas y partir le matin de mauvaise humeur, mais avec plaisir pour y retrouver ses amis ». Ce qui est son vécu. « Nous avons une petite cour avec quelques arbres, je l’aime bien. Il y a des coins pour s’asseoir, un espace pour jouer au foot. » Alaïs partage cette idée : « Être bien au collège, c’est avoir envie d’y aller. Se sentir bien, pouvoir travailler, ne pas vivre cela comme une corvée. » Pour sa part, Raphaël ramène la notion de bien-être à des conditions précises : « Avoir de bons profs., du bon matériel et une cour qui puisse convenir aux attentes pour décompresser. » Tandis qu’Amaya se dit très sensible à l’environnement et aux effets de l’espace sur le bien-être de chacun : « C’est profiter d’un environnement propre. Le manque d’espace peut concourir à créer des disputes. Il faut aménager l’espace avec des endroits où l’on peut courir, d’autres où l’on peut être isolé.e. Il faut être respectueux de ce que peuvent vivre les élèves qui ont parfois besoin de se retrouver seul.e.s. »

 

Relations et rapports entre élèves

 

« La plupart du temps, il y a les garçons d’un côté et les filles de l’autre. Le matin, les groupes se mélangent, on discute entre nous, on parle de ce qu’on a vu sur les réseaux. La communication s’améliore au moment du repas. C’est le moment où l’on se retrouve pour faire la pause », décrit Andéol. Dans le collège de Raphaël, qui ne compte que 150 élèves, « tout le monde s’entend bien. Il y a des groupes de garçons et des groupes de filles mais les rapports ne sont pas fréquents, relate l’adolescent. Cela se produit parfois. Les discussions avec les délégués de classe ou lors des Conseils de vie collégienne permettent de se mélanger. » Amaya se dit satisfaite de la perméabilité des relations dans son établissement, tant entre les filles et les garçons qu’entre les plus jeunes et leur aîné.e.s. : « Il y a de la mixité dans notre collège, les groupe de filles et de garçons se mélangent sans difficulté. C’est super. Les 6ème bougent plus, les 3ème sont plus calmes. Il arrive que les 3ème interviennent dans les groupes des 6ème et inversement pour s’entraider. »

Le sujet du rapport de l’élève avec les autres concerne la manière dont les collégiens eux-mêmes établissent leurs relations et se construisent par la même occasion, sur des modes plus ou moins autonomes. Il met aussi en jeu des facteurs qui vont faciliter les relations, comme l’aménagement des espaces. Amaya évoque l’information : «  Le fait d’informer et de faire circuler l’information nous donne l’habitude d’aller à la rencontre des autres. » Raphaël pointe la liberté et les possibilités offertes par un temps sans écran : « L’interdiction d’utiliser nos mobiles au sein de l’établissement permet de mieux communiquer entre nous. On n’est pas sur nos smartphones, on s’amuse ».

 

Insécurité

 

Que recoupe la notion d’insécurité chez les collégiens ? « On a remarqué que les élèves de 6ème qui courent beaucoup se font mal quand ils tombent, explique Amaya. On monte un projet pour installer un sol plus mou dans la cour. Cela permettra d’éviter les blessures. Le sol absorbera plus l’eau et réduira les risques d’inondation. Le revêtement sera clair, c’est beaucoup mieux que du béton. » Dans le même ordre d’idées, Alaïs indique que son groupe est intervenu pour changer le mobilier : « On a remplacé des tables aux angles pointus pour éviter de se blesser. » Toujours à propos des actions préventives, elle ajoute : « Il y a eu des interventions où l’on nous a appris les gestes qui sauvent. On s’est aussi entraîné à évacuer le collège. Ces exercices de prévention sont primordiaux. En cas de besoin, on sait quoi faire, donc on se sent bien. »

Contrairement à ce que les médias mettent généralement en avant en liant la question de l’insécurité scolaire à des intrusions violentes venant de l’extérieur, les jeunes héraultais évoquent une insécurité interne à l’établissement. Cela ne signifie pas que les facteurs extérieurs, comme les agressions ou le racket n’existent pas, mais ils ne ressortent pas ici en tant que préoccupation majeure. Seule Alaïs a évoqué la question externe : « Nous prenons en compte la question des trajets. Pour que les élèves rentrent chez eux en sécurité, nous avons fait la proposition de mettre en place différentes heures de sortie, le décalage permettant de faciliter la circulation. Cela éviterait aussi que les parents qui viennent chercher leurs enfants en voiture se retrouvent dans les embouteillages. »

À propos des sources d’insécurité, Andéol observe un autre aspect du sentiment d’insécurité vécu par les collégiens : « Se sentir en insécurité, c’est avoir peur, sentir des tensions. Il peut y avoir une insécurité physique mais aussi psychique, comme la pensée qu’ont les autres de moi. Il faut veiller à ce que ça ne dérape pas. »

 

Respect et harcèlement

 

Les « dérapages » dont parle Andéol passent souvent par le déni de l’autre, qui fait perdre au jeune l’estime de soi dont il a besoin pour se construire. Les cas de harcèlements, parfois d’humiliations, se sont multipliés ces dernières années au sein de l’Éducation nationale. Ils font partie des préoccupations des collégien.ne.s : « Nous avons mis en place une section anti-harcèlement avec des professeurs et cinq élèves. Notre idée est de faire dialoguer la personne persécutée et les persécuteurs. Mais cela reste compliqué, analyse Raphaël, parce que les images peuvent rester longtemps sur les réseaux sociaux. »

« Il y a déjà eu du harcèlement au collège, explique Amaya, notre collège est mobilisé pour faire face à ce problème avec une prise en charge par la CPE et la directrice. Les actions menées sont diverses, il y a des convocations, des espaces de dialogue, une relation avec les parents et du conseil. Nous avons eu des interventions extérieures qui portaient sur le harcèlement et expliquaient comment faire pour l’éviter. Les élèves voient parfois des comportements qui n’apparaissent pas aux adultes. Il faut signaler ce qui se passe parce que c’est important d’en parler. »

Le problème du harcèlement renvoie aux notions de respect et de partage harmonieux. Selon Alaïs, « être citoyen.ne, c’est respecter les autres et la loi. C’est important pour vivre ensemble. Nous avons réalisé une vidéo pour le collège dans laquelle on fait passer des messages sur le respect, poursuit-elle, par exemple l’idée que le fait d’être en 3ème ne nous rend pas supérieur. Nous ne sommes pas des leaders parce que nous sommes les plus âgés. On doit le respect aux plus jeunes. Et cela vaut aussi pour les adultes. Les professeurs ont une fonction au sein du collège, ce ne sont pas des leaders, ils doivent également respecter les élèves. »

Ce témoignage invite à considérer avec la plus grande attention la pression concurrentielle qui pèse de plus en plus lourd sur les établissements scolaires, pression qui n’est pas sans conséquences sur les conditions d’enseignement. « C’est important de rester à sa place, souligne Amaya, je pense que les choses fonctionnent mieux de manière transversale que pyramidale. Il faut des responsables pour prendre des décisions, c’est normal sinon on n’avancerait pas, mais souvent, si on se prend pour un chef, on n’est plus à sa place. »

De l’amour propre à l’estime de soi : le regard sur soi passe par le regard de l’autre, puis le regard avec l’autre. Pour Amaya « la question de l’exclusion est inquiétante. Nous avons eu l’occasion de l’aborder au CDJ (Conseil départemental des jeunes) dans un projet contre le racisme et l’exclusion des élèves en situation de handicap. Pour agir, il faut mener une réflexion préalable. C’est difficile parce que ça touche aux mentalités et ça se véhicule par certaines idées ou propos. On doit être vigilant.e.s, créer des espaces de paroles et encourager la tolérance ».

 

Liberté d’expression

 

Comment les collégien.ne.s évaluent-ils.elles la liberté d’expression ? Le droit fondamental d’exprimer librement ce que l’on pense, proclamée dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, ne se réduit pas à la seule liberté de la presse. Il concerne chaque citoyen.ne. Ainsi, chacun.e a le droit d’exprimer ses idées dans le respect de l’autre, même si ces idées déplaisent.

« Nous avons une liberté d’expression, dit Alaïs, on peut exprimer une opposition au prof. si on ne manque pas de respect. On ne doit pas dénigrer les personnes, se moquer d’elles ou les harceler. En classe, nous avons récemment débattu de la peine de mort. Certain.e.s élèves ont exprimé qu’ils.elles y étaient favorables, d’autres se sont moqués d’eux. C’est facile de se moquer, surtout quand on se trouve dans le camp de la majorité. La situation aurait pu être inversée. Pour moi, le maître mot c’est le respect. »

Pour Raphaël, « la liberté d’expression n’est jamais acquise. C’est un perpétuel combat. Dans notre collège, on peut parler en confiance et les choses sont dites ». La possibilité offerte de s’exprimer profite-t-elle pour autant à toutes et à tous ? « Ce n’est pas assuré, observe Andéol, tout le monde peut dire ce qu’il pense, mais la liberté d’expression n’est pas également répartie. Ce sont souvent les mêmes personnes qui se retrouvent entre elles pour débattre. Tout le monde n’a pas la même éloquence, certain.e.s n’osent pas prendre la parole. Parfois ça m’arrive aussi. Nous sommes attentif.ve.s à la circulation de la parole. On essaye de sensibiliser les collégien.ne.s aux regards des autres et ça porte ses fruits ; en 4ème et 3ème on commence à faire attention aux autres. »

Il reste beaucoup à chercher et à découvrir sur l’usage de la liberté d’expression, comme le confirment les observations d’Amaya : « Certains élèves ne peuvent pas dire ce qu’ils pensent. Ils pensent qu’ils ne peuvent pas parce qu’ils sont nouveaux. Je me souviens de mon arrivée en 6ème ;  tu découvres et tu n’oses pas. Alors qu’en réalité quand on parvient à instaurer la relation, les 6ème ont souvent de bonnes idées qui enrichissent la réflexion. Les filles et les garçons ont des choses à exprimer et ils se débrouillent plutôt bien dans ce domaine, mais les garçons prennent plus la parole que les filles. »

La liberté d’expression est aussi non-verbale. Au collège, elle relève parfois de la tenue vestimentaire qui joue un rôle de critique et d’aiguillon. « Les élèves peuvent s’exprimer à travers leur style vestimentaire. Ils savent qu’il y a des limites dans les choix qu’ils font, soulève Amaya. Une fois, un garçon est venu en jupe et ça a un peu mal tourné. Le professeur n’était pas d’accord et lui a tenu des propos pas “top”. On a dû en discuter et j’ai trouvé la position du collège un peu décevante. Ils ont fini par dire qu’il fallait appeler les parents de l’élève pour savoir s’ils étaient d’accord. Comme s’il fallait appeler mes parents pour savoir si je devais mettre un pantalon… »

Être à l’écoute des collégiennes et des collégiens, leur donner des moyens pour débattre et mener des actions publiques concrètes permet de les accompagner dans leurs rapports au monde, aux autres, à eux-mêmes. Au regard des formes de reproductions sociales que nous renvoient certaines de leurs difficultés, ce peut être aussi un moyen d’interroger nos pratiques et nos valeurs. Les processus que les collégien.ne.s mettent en œuvre pour améliorer la vie au sein de leurs établissements, présentent enfin une formidable ouverture pour discuter, proposer et initier une approche renouvelée du vivre et du « faire ensemble ».

 

Le Conseil Départemental des Jeunes de l’Hérault. Photo DR CD34

Notes:

  1. Le Conseil Départemental des Jeunes est un outil d’éducation à la citoyenneté mis en œuvre par le Département depuis 2001, en partenariat étroit avec la Direction des Services Départementaux de l’Éducation Nationale. Il permet à des collégien.ne.s (à partir de la 5ème), élu.e.s par leurs pairs au sein des collèges volontaires, de faire l’expérience d’un mandat électif de 2 ans autour d’un thème d’intérêt général.
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.