Malgré la posture volontaire de politique inclusive et les différentes lois, les personnes en situation de handicap sont encore très discriminées, notamment dans le champ de l’emploi.


 

D’après les associations de personnes handicapées, les efforts consentis par le gouvernement pour l’embauche et le maintien dans l’emploi (apprentissage, formation professionnelle, emploi adapté) ne sont pas suffisants. L’accès à l’emploi des personnes handicapées s’améliore trop lentement. « Les discriminations envers les personnes en situation de handicap dans l’emploi sont en nette augmentation et la transition du secteur protégé vers le milieu ordinaire du travail stagne à 1 % », souligne Emmanuelle Fillion, professeure en sociologie du handicap à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et chercheuse du laboratoire Arènes1. En cause, le défaut d’accessibilité à l’école qui entraîne des lacunes en matière d’apprentissage et des difficultés à l’embauche. Les entreprises freinent également sur les adaptations de postes estimées trop coûteuses, les pertes de temps en formation ou en accompagnement, les craintes en termes de performance et de rentabilité.

 

Une école peu accessible

 

En effet, l’Unepei a alerté avant la rentrée scolaire sur la déscolarisation d’un grand nombre d’enfants et une tribune des directeurs de l’Association des MDPH2 publiée au printemps dernier pointe les difficultés qui freinent leur scolarisation. Elle dénonce le manque de réponses, de moyens, de formation du peu de personnels de l’Éducation nationale mis à leur disposition, un système d’indemnité des enseignants-référents « très opaque et inégal » ainsi que le défaut d’accessibilité relevant de l’école (bâtiments scolaires, contenus pédagogiques, matériel) qui oblige le recours à des AESH (Accompagnant d’élève en situation de handicap) qui ne peuvent tout assumer…

Conséquence, le faible niveau général de qualification constitue un obstacle important dans l’accès à l’emploi. Les personnes handicapées ont un taux de chômage quasiment deux fois supérieur à l’ensemble de la population (14 % contre 8 %), une durée de chômage plus longue et un taux de retour à l’emploi plus faible. Elles occupent des postes moins qualifiés, souvent à temps partiel, avec des difficultés à se maintenir dans l’emploi et à évoluer à égalité avec les autres. Les statistiques démontrent que les femmes handicapées sont doublement pénalisées dans leur carrière et sont plus éloignées de l’emploi que leurs homologues masculins. Celles qui travaillent sont concentrées dans certains secteurs d’activités et accèdent difficilement à des postes à responsabilités3.

 

Une politique inclusive liée aux quotas

 

« Le monde du travail fonctionne par quotas depuis 1924, explique Emmanuelle Fillion. Les entreprises de plus de 20 employés étaient obligées d’employer 10 % de personnes en situation de handicap (Obligation d’emploi des travailleurs handicapés, OETH). En 1987 (loi du 10/7/1987), ce taux a été abaissé  à 6 % car il n’était pas respecté. » L’Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des handicapés (Agefiph), créée la même année, a pour mission de gérer les contributions des employeurs privés ne respectant pas leurs obligations.
En 2018, la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » (loi 2018-717) ajoute une obligation de résultat (formations, moyens d’accompagnement, contrôle et sanctions financières) et confirme le quota de 6 %, révisable tous les cinq ans, pour les entreprises de plus de 20 personnes. Depuis janvier 2020, toutes les entreprises sont obligées de déclarer les travailleurs en situation de handicap qu’elles emploient4, mais seules celles de 20 salariés et plus restent assujetties au paiement d’une contribution en cas de non-respect de l’OETH.

Certes, depuis l’adoption de la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, le taux d’emploi des personnes bénéficiaires de l’OETH s’est accru. Mais, l’entrée à l’emploi par la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), donc par les quotas, représenterait une vision tronquée de la réalité : « les personnes bénéficiant de la RQTH et comptabilisées dans les quotas ne sont pas toutes des personnes handicapées ; d’autre part, l’enquête Handicap Santé a montré que, parmi les 18- 64 ans ayant déclaré une restriction dans les activités de la vie quotidienne et/ou des limitations fonctionnelles graves, seule une sur quatre bénéficiaient de la RQTH. »

L’obligation d’emploi des travailleurs handicapés oblige ces personnes à travailler « comme tout le monde », sans pour autant les considérer comme des « travailleurs normaux »5. Pour Emmanuelle Fillion, « ces travailleurs, inclus sous un statut à part avec des aides aux employeurs, etc., ne peuvent pas concourir à égalité avec les autres sur le marché du travail. Il s’agit d’un système de discrimination positive ».

 

Une loi pour garantir une égalité réelle, en tant qu’individu

 

L’obligation d’aménagement raisonnable prend sa source dans la Convention internationale des droits des personnes handicapées (CIDPH) et dans la directive de la Commission européenne du 27/11/2000 (2000/78/CE). En France, la transcription a été faite dans la loi du 11 février 2005 sous le terme de “mesures appropriées”. Si quelques dérogations existent (appel à la sous-traitance, à la prestation de services avec des structures de travail protégé ou en cas d’accord collectif agréé), elle s’applique à tous les employeurs y compris dans les entreprises de moins de 20 personnes et lors des recrutements.

La mesure permet à un travailleur en situation de handicap de participer de façon égale à une activité dans la sphère professionnelle tout au long de celle-ci : « C’est la première fois qu’on pense le travailleur handicapé dans une perspective d’égalité. La philosophie est différente de la notion d’aménagement de poste en entreprise. Les travailleurs en situation de handicap doivent pouvoir accéder à l’emploi, le garder et travailler à égalité avec les autres à tous les stades de leur vie professionnelle. Pour garantir cette égalité, les employeurs ont pour obligation de produire les aménagements nécessaires en fonction des besoins des personnes concernées afin qu’elles ne soient pas en difficulté (aménagement d’horaires, matériel, par exemple traducteur en langue des signes, travail à domicile, moyens de formations ou d’encadrement, reclassement en cas d’inaptitude, etc.), sauf contrainte excessive, explique la chercheuse. C’est un outil si intéressant que nous avons fait une enquête dans le monde du travail. Personne n’était au courant. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’aménagement raisonnable, mais certains employeurs le font spontanément, pas comme une obligation. »

Le 13/12/2006, la nouvelle Convention internationale des droits des handicapés (CIDPH), ratifiée par la France en 2010, est adoptée à l’ONU. Elle intègre un concept, issu des États-Unis dans les années 1960 pendant les luttes pour les “civil rights” et formalisé dans les années 1980 dans le droit canadien dans le cadre de la lutte contre les discriminations dans l’emploi des minorités religieuses, qui interdit toutes les discriminations relatives au handicap. L’article 2 stipule : « La discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d’aménagement raisonnable. »
« Au titre de la discrimination, le manquement à cette obligation relève de l’infraction pénale », précise Emmanuelle Fillion.

 

Une transposition en droit français qui crée le flou

 

Mais la transposition au niveau national comporte des restrictions et des écarts qui créent un véritable flou juridique (voir encadré).
Dans le concept, l’obligation concerne « les personnes handicapées » alors que les textes français limitent cette obligation « aux travailleurs handicapées »6, ce qui incite les employeurs à ne tenir compte que des salarié.e.s ayant obtenu la RQTH, toutes les personnes en situation de handicap ne bénéficiant pas de ce statut administratif. La reconnaissance de la discrimination ne s’applique en France — à la différence d’autres pays comme le Canada — qu’aux personnes discriminées dans l’emploi au motif du handicap. Cette transcription brouille l’ancrage dans le droit de la non-discrimination élaboré par le CIDPH pour soutenir l’égalité de différents groupes discriminés, quel que soit le motif (convictions religieuses, âge, genre, etc.) et non pour une catégorie spécifique et exclusive. Le législateur précise aussi que le non-respect de l’obligation « peut constituer » une discrimination et non qu’il « constitue » une discrimination. Le juge saisi peut donc constater le non-respect de l’obligation de mesures appropriées sans prononcer de sanction. Les personnes handicapées pourront s’emparer de cet outil juridique pour faire valoir leurs droits, mais avec un risque, celui d’être obligé d’aller jusqu’au tribunal européen pour obtenir gain de cause7.

 

L’emploi au 1er rang des discriminations liées au handicap

 

Selon la Défenseure des droits, en France, la première cause de discrimination est liée au handicap. Et l’emploi privé et public demeure au premier rang des sujets d’inégalité de traitement des personnes porteuses de handicap. Près de 80 % des entreprises de plus 20 salariés emploient au moins une personne handicapée, mais seules 29 % d’entre elles remplissent leurs obligations face à la loi. De nombreux témoignages font état des difficultés d’intégration, de l’obligation pour les personnes concernées de s’investir plus que les autres, des lacunes matérielles et d’accompagnement.

En 2017, Jacques Toubon constatait que dans la majorité des dossiers traités l’employeur ne respectait pas « l’obligation d’aménagement raisonnable » à l’égard des travailleurs handicapés. Cinq ans après, malgré la volonté de l’Union européenne d’intensifier son action pour l’accès aux droits et à l’autonomie des personnes en situation de handicap, les dispositifs mis en place au niveau national, notamment en matière d’emploi, ne sont pas à la hauteur des engagements. Le bilan démontre l’ampleur du travail qu’il reste encore à accomplir.

Sasha Verlei

 


 

L’obligation d’aménagement raisonnable : les limites du droit français

 

L’obligation d’aménagement raisonnable concerne tous les secteurs, privé et public. Elle est étendue aux contractuels, stagiaires, intérimaires, travailleurs indépendants et aux aidants familiaux.

La transcription de la directive sur l’obligation d’aménagement raisonnable a été faite dans la loi du 11 février 2005 sous le terme de « mesures appropriées« , art. 4 : « Les différences de traitement fondées sur l’inaptitude constatée par le médecin du travail […] en raison de l’état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectives, nécessaires et appropriées […] Les mesures appropriées au bénéfice des personnes handicapées visant à favoriser l’égalité de traitement […] ne constituent pas une discrimination […] Ces aides peuvent concerner notamment l’adaptation de machines ou d’outillages, l’aménagement de postes de travail, y compris l’accompagnement et l’équipement individuels nécessaires aux travailleurs handicapés pour occuper ces postes, et les accès aux lieux de travail. Au titre des mesures appropriées […], les salariés handicapés […] bénéficient à leur demande d’aménagements d’horaires individualisés propres à faciliter leur accès à l’emploi, leur exercice professionnel ou le maintien dans leur emploi […] Les aidants familiaux et les proches de la personne handicapée bénéficient dans les mêmes conditions d’aménagements d’horaires individualisés propres à faciliter l’accompagnement de cette personne handicapée. »
L’art. 31 modifie la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires pour intégrer l’obligation d’AR (aménagements raisonnables) dans les 3 fonctions publiques.

Dans le code du travail : « Afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés, l’employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée […] Ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en œuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l’aide prévue à l’art. L. 5213-10 qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l’employeur […] Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d’une discrimination au sens de l’art. L. 1133-3. » (art. 5212-2)

Pour la Fonction publique :
L’Art. 6 sexies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, version en vigueur depuis 2019 reprend le même texte que le Code du travail et ajoute :
– « ces mesures incluent notamment l’aménagement de tous les outils numériques concourant à l’accomplissement de la mission des agents, notamment les logiciels métiers et de bureautique ainsi que les appareils mobiles »
– « tout agent a le droit de consulter un référent handicap chargé tout au long de sa carrière de coordonner les actions […] l’employeur veille à ce que le référent handicap dispose, sur son temps de travail, des disponibilités nécessaires à l’exercice de ses fonctions ».

 


Crédit Photo d’ouverture : Marcus Aurelius (pexels)


 

Article publié en complément d’altermidi Mag#6

dont le dernier numéro (Dec Janv Fev 2023)

est consacré au handicap

5 € disponible en kiosque ou par abonnement


Notes:

  1. Laboratoire Arènes : groupe transversal politique, santé publique, environnement, médias.
  2. ADMDPH – Association des directeurs des maisons départementales des personnes handicapés.
  3. Source : Agefiph, observatoire de l’emploi et du handicap. Tableau de bord national, avril 2022. Ces chiffres sont toutefois susceptibles de sous-estimer la réalité, car ils portent exclusivement sur la population bénéficiant d’une reconnaissance administrative du handicap.
  4. Déclaration obligatoire d’emploi des travailleurs handicapés – DOETH
  5. Source : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1875067220300869
  6. Réf. définition du handicap de la loi 2005, art L114.
  7. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1875067220300869
Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.