1917. Bakaro Diallo, berger sénégalais, s’infiltre dans l’armée pour retrouver son fils Thierno, enrôlé de force. Mais Thierno se laisse embrigader par un officier, pendant que son père fait tout son possible pour l’arracher à cet enfer.


 

La séance du film Tirailleurs a été ouverte par une intervention d’Agnès de France de l’association SOS Méditerranée dont la mission est, rappelle-t-elle, « de sauver, protéger et témoigner ». 73 personnes, secourues les 22 et 23 octobre, sont actuellement sur le navire ambulance de l’association, les chiffres pouvant aller jusqu’à 100, 200 personnes, car les sauvetages se succèdent malheureusement de jour en jour. SOS Méditerranée déplore l’absence de système pour sauver des êtres humains en Méditerranée et appelle au soutien du festival et des citoyens : une journée de sortie en mer coûte à l’association 14 000 euros.

Mathieu Vadepied, venu présenter son film, l’introduit par ces mots : ces personnes ont toutes traversé les océans, même si leur histoire diffère.
La projection a été suivi d’un débat en sa présence.

Tirailleurs est un film franco-sénégalais, co-produit par Omar Sy, deuxième long-métrage de Mathieu Vadepied. Le réalisateur prend à bras le corps le sujet du destin brisé des milliers de tirailleurs sénégalais, ou d’autres pays d’Afrique, alors que l’armée ratissait les campagnes, capturant ces hommes de force pour servir sous l’uniforme français.

Il aborde aussi les relations d’un père avec son fils : Bakary Diallo (Omar Sy) veut l’arracher à l’enfer de la guerre, mais il se retrouve confronté à un vrai problème. Thiano (Alassane Diong) est galvanisé par son ascension au sein de l’armée qui promet aux soldats africains, en récompense, l’acquisition de la nationalité française. Il se laisse convaincre par un jeune officier, perturbé par ses relations avec son père, général du contingent…

L’action se déroule trois ans après la bataille des Ardennes du 22 août 1914, la plus meurtrière de l’histoire de France. Mathieu Vadepied nous plonge avec un réalisme incroyable dans la guerre-boucherie de 14-18, Première Guerre mondiale, dite Grande Guerre. Le terme « chair à canon » prend ici toute sa signification.

Tourné avec la participation des habitants, dans le village de Fouta-Toro, au nord du Sénégal, et dans les Ardennes, le film a mis plus de 20 ans à mûrir, inspiré des voyages en Afrique du réalisateur, de ses questionnements sur ces soldats, conforté dans l’écriture par sa rencontre avec Omar Sy (sur le tournage d’Intouchables) fortement intéressé par le projet.

Le scénario a été rédigé par Mathieu Vadepied et Olivier Demangel, co-auteur, à partir de témoignages, de travaux d’historiens et de quelques archives de l’armée. Birama, qui, au départ, devait être le personnage principal, existe. Le scénario s’est aussi inspiré du procès archivé du tirailleur Birama Keita, condamné à mort pour avoir tué un de ses supérieurs.

 

Le jeune officier, joué par Jonas Bloquet, mène sa troupe à l’assaut, en première ligne, de gré ou de force.

 

Le réalisateur raconte que le visage d’Omar Sy a été retravaillé « pour que l’on voit quelque chose que l’on avait jamais vu chez lui . En effet, l’acteur se distingue par une prestation puissante et totalement crédible dans l’expression dense de son regard et de ses silences. On relève également le jeu intense de tous les acteurs.

Sans faire de revendications politiques, sans partir d’une optique idéologique, les scénaristes ont fait le choix de se mettre dans la peau du tirailleur, d’incarner le personnage d’un point de vue intime dans sa perception des choses : un homme « forcé de partir dans un pays dont il ne connaît pas la norme, la culture, la langue, ni la raison pour laquelle il est venu combattre », résume Mathieu Vadepied.

Le choix de la langue originale (le peul principalement et le wolof) a été décidé par souci de vérité, par respect pour la culture et la dignité de ces hommes. L’idée était « de faire de cette histoire quelque chose de très palpable à travers la relation père-fils, de retrouver un chemin sensible de parcours individuel. C‘est le pouvoir de la fiction d’accéder à un endroit où l’histoire et la recherche n’accède pas ou peu, de ne pas être académique ou pompeux… ».

Tirailleurs est un film « sans rapport de fascination à la mort », vrai, humain, très juste du point de vue historique, des costumes et du ressenti physiologique lors des combats, comme le fait remarquer une spécialiste dans la salle. On apprend que l’élaboration du champ de bataille a été travaillé avec Michel Goya, militaire historien, qui a pris en charge un certain nombre de répétitions sur le tournage.

Mathieu Vadepied accomplit avec ce film un devoir de mémoire. Il le dédicace aux oubliés de la guerre, aux africains qui ont versé leur sang pour la France bien malgré eux et dénonce l’emprise colonialiste sur les hommes, qui les ampute de leurs racines, de leur culture, de leur vie.

Sur les 200 000 tirailleurs africains ayant combattu, 30 000 sont morts sur les champs de bataille et « rares sont les livres et encore moins les films qui retracent leur histoire », explique le dossier de presse. « Ces soldats font partie de notre histoire commune avec une forme de responsabilité », affirme Mathieu Vadepied.

Par son approche intimiste qui permet de  toucher la corde sensible du spectateur, ce film invite à se mettre à la place de l’autre pour le comprendre, pour une vision humaine du monde qui nous entoure.

Sasha Verlei

Tirailleurs : à voir en salle à partir du 4 janvier 2023.

Production: Bruno Nahon, Omar Sy
Scénario : Mathieu Vadepied, Olivier Demangel
Image : Luis Armando Arteaga
Montage : Xavier Sirven
Son : Marc-Olivier Brullé
Interprète(s) : Omar Sy, Alassane Diong, Jonas Bloquet, Bamar Kane
Décor : Katia Wyszkop

Mathieu Vadepied
Mathieu Vadepied est un directeur de la photographie, réalisateur et scénariste français. Après un CAP de photographe, Mathieu Vadepied travaille comme assistant de photographes de mode, puis avec Raymond Depardon. Entre 1991 et 1995, il réalise une dizaine de clips vidéo. En 1995, Il travaille comme directeur de la photo sur Samba Traoré d’Idrissa Ouedraogo et Sur mes lèvres de Jacques Audiard (2001 – nomination aux Césars 2002 pour la meilleure photo). En 1996, il entame une collaboration avec Xavier Durringer comme directeur de la photo sur deux de ses films : J’irai au paradis car l’enfer est ici (1997) et Les Vilains (1999). En 2000, il réalise un documentaire pour Arte, L’Histoire de Bruno. En 2003, il tourne Le Souffle et, en 2005, Mille Soleils, deux courts-métrages de fiction. En 2014 il entreprend son premier long-métrage sous le titre La Vie en grand. Il participe à la réalisation de la série Arte En Thérapie (saison 1) et dirige Omar Sy dans Tirailleurs présenté en ouverture dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2022.

Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.