Nous prolongeons notre dossier sur la décentralisation1 en recueillant le point de vue des responsables politiques en Occitanie et Provence PACA sur la loi 3DS relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration adoptée définitivement par l’Assemblée nationale et le Sénat les 8 et 9 février 2022. Après Georges Méric, président du Conseil départemental de la Haute-Garonne, nous publions le point de vue de Kléber Mesquida, président du Conseil départemental de l’Hérault, sur la loi 3DS.


 

 

Le projet de loi entend donner des marges de manœuvre aux élus locaux, pensez-vous qu’il est à la hauteur des enjeux ? Pourquoi ?

Le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation et la déconcentration venait à la suite du « Grand Débat » pour répondre au besoin accru de proximité exprimé par les élus locaux. Entre temps le début de la crise sanitaire du COVID-19 a montré de manière claire et précise l’importance des collectivités dans le lien avec les usagers. Le Département, en tête, a fait office de bouclier sanitaire en mettant à disposition des masques, des tests et des centres de vaccination de concert avec le SDIS (Service départemental d’incendie et de secours) ; de bouclier économique pour accompagner plusieurs filières agricoles ainsi que la filière du tourisme ; de bouclier social pour protéger les plus précaires de l’extrême pauvreté.

Quelles marges de manœuvre obtient le Département suite à cette loi dans sa version actuelle ? La garantie que les routes nationales soient transférées en concertation avec les départements et en intelligence avec les régions, une meilleure représentation dans certaines commissions départementales et un renforcement de son rôle dans l’adaptation du logement au vieillissement de la population.

Ces mesures sont intéressantes mais ne sont pas suffisantes alors que plus personne ne doute de la pertinence de l’échelon départemental dans les politiques publiques de santé, d’économie et de solidarités.

 

Avez-vous des exemples concrets de besoin accru de proximité et d’adaptation de l’action publique aux spécificités de votre territoire ?

Les départements ne disposent plus de la possibilité de lever l’impôt. Leurs finances et donc leurs marges de manœuvre dépendent complètement de l’État. Ce n’est pas une tocade pour les départements de s’étonner de cette perte de marges de manœuvre fiscales. La constitution de 1958 stipule que les « collectivités s’administrent librement ». Comment s’administrer librement si nous n’avons plus de levier fiscal qui ancre le lien démocratique avec la population ?

Le besoin du Département est de disposer de ce levier, et surtout l’État doit au moins compenser les restes à charge sur les compétences qu’il transmet aux collectivités.

 

La ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, a évoqué un possible transfert aux départements des services de médecine scolaire, y êtes-vous favorable ?

Sur le fond cela fait sens : fusionner la Protection Maternelle Infantile dont dispose déjà le Département avec la Santé scolaire permettra de renforcer la proximité en matière de santé. À titre d’exemple, les professionnels de santé des collèges sont des partenaires de proximité des services sociaux, notamment en matière d’aide sociale à l’enfance à travers le repérage des enfants en difficulté éducatives au sein de leur famille. L’intégration de ces effectifs permettrait donc de développer ces liens pour renforcer le suivi des jeunes collégiens.

Il est néanmoins important de noter que les expériences de transferts de compétences par le passé ont laissé un goût amer à notre institution. Inévitablement, ces derniers se soldent par des restes à charges pour le Département car l’État ne compense jamais, ou presque, intégralement les montants des compétences nouvelles qu’il octroie. Et l’explosion des besoins en matière de santé des adolescents ; le Département sera probablement amené à recruter pour mener une politique efficiente.

 

À titre expérimental, le projet propose la recentralisation du financement du revenu de solidarité active (RSA), seriez-vous candidat pour participer à cette expérimentation ?

Le Département de l’Hérault ne souhaite pas à cet instant expérimenter ce dispositif. Déconnecter le financement de l’insertion à sa politique d’accompagnement peut être défavorable au bon fonctionnement de cette politique publique. La question pourrait alors se poser du devenir de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie et de la Prestation Compensatoire du Handicap ?

La Cour des comptes a publié le 13 janvier dernier un rapport consacré au Revenu de Solidarité Active dans lequel elle souligne la nécessité de faire confiance aux départements dans leur gestion du RSA.

Le bémol est là encore financier. Si au moment de l’octroi de la compétence sur les aides au Département l’État a proposé une compensation correspondant au nombre d’allocataires, ce dernier a désormais augmenté. La prise en charge du financement du RSA par l’État devrait prendre en compte l’augmentation du nombre des bénéficiaires par territoire, sinon il deviendra de plus en plus difficile de faire face.

 

Le texte du projet de loi 3DS apporte-t-il selon vous des réponses à la crise civique que nous traversons qui se traduit notamment par l’abstention ?

Parlant de la décentralisation dès 1966, dans un texte qui fit débuter les travaux à gauche sur ce sujet, Michel Rocard écrivait « C’est à ce niveau que se joue la confiance d’un peuple dans ses institutions, son apprentissage pratique de la démocratie, en même temps que la qualité de l’information qui monte vers les pouvoirs supérieurs et peut contribuer, ou non, à leur permettre de gouverner ».

La décentralisation est un pilier fort de la démocratie française et de la plupart des démocraties Européennes par ailleurs. Ce texte apporte quelques ajustements techniques mais peu de fond.

 

Voir aussi : Décentralisation Haute-Garonne : Entretien avec Georges Méric

Notes:

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.